Statue du bienheureux Noël Pinot © Wikimedia

Histoire du Bienheureux Noël Pinot

La France, cette fille aînée de l’Église, donna naissance à ce que le catholicisme a de meilleur : les cathédrales pleines de bouquets vitrés, des nefs blanches, les théories de littérateurs et de théologiens, des monastères fameux, des moines burinés par la prière ; à la suite de Saint Louis quelques rois chrétiens et quantité de religieux et de fidèles mus par le Sacré-Cœur de Jésus, ivres de la miséricorde divine, passionnés par le feu sacré de l’Esprit saint. Et dans le même temps, cette même France, engrossée, fit sortir d’elle-même l’instrument de son malheur. Le soleil s’est ouvert en une plaie. Le baptême d’eau pure est devenu un baptême de sang quand la révolution avec son cortège d’heurts et de malheurs annonça la République par les armes, vida couvents et prisons, passa par la lame Vendéens, catholiques et résistants, dévasta la Charente, l’Anjou, la Bretagne. Cholet fume encore. De Lescure sur la route de Fougères meurt. Les familles que l’Alsacien Kléber a fait couler dans des barques font des bulles. Les Seize carmélites de Compiègne, raccourcies une par une, à la file, chantent hymnes, odes, psaumes, devant le couperet de la Raison.

Et parmi ces martyrs, éclos comme la rose d’un sang vermeil, figure le Bienheureux Noël Pinot. C’est un simple prêtre. Il ne voit ni la Vierge, ni Jésus. Il ne tombe point en extase. Il n’a ni le verbe d’un Massillon, ni la sagesse d’un moraliste. On n’a retenu de lui aucune homélie, aucun traité, pas une leçon. Il prêche comme il peut. Son œuvre est sa vie coulée dans le sang du Christ. Sans histoire. Sans gloire. Il aime la pauvreté et trempe l’acier de son caractère dans une foi virile, inaliénable, déterminée. Il a le génie du christianisme. Reculé très loin dans l’Anjou, les évènements sont venus le chercher et en ont fait un grand.

Noël Pinot est ordonné prêtre en 1770 dans le diocèse d’Angers. D’abord Vicaire à Bousse ; il est, en 1781, aumônier à l’hôpital des incurables. Il y rencontre les mourants, les invisibles malades, vaincus par la gangrène, la folie, les fous furieux prêts à sauter à la gorge, les tumoraux rongés jusqu’à l’os. Nommé curé en 1788, il se pose au Louroux-Beconnais, paroisse recouverte de forêts, de landes et de pauvres. La misère est répandue là-bas comme la petite vérole sur le bas clergé. Longtemps, il avait contemplé les verrières de l’église de sa paroisse natale figurant saint Martin. Alors, il s’abandonne, se dépouille de ses vêtements qu’il donne aux mendiants, distribue ses revenus jusqu’à son linge personnel. Ce premier pauvre parmi les pauvres, vit dans un dénuement complet, dort dans une petite chambre basse sans feu pendant l’hiver. Il épouse la pauvreté, il est à elle, elle est à lui, comme la pustule sur le dos du pestiféré. Et il l’aime.

Les évènements de 1789, date à laquelle on parle de la révolution, ne font que confirmer la décomposition avancée de la société organique de l’ancien régime. L’abbé Pinot enterré dans la nature angevine voyait les évènements bourgeois de Paris d’assez loin pour en avoir tout le recul et réagir sans passion. Sentait-il sûrement que ce que l’on appelle la révolution n’était pas tant le sursaut soudain des pauvres contre les riches, du peuple contre les hommes en perruque, comme les contemporains veulent le croire, mais les conséquences inévitables, historiques, du cours des choses. Sans doute, ce prêtre avait-il aussi en tête qu’il y avait du bon à l’idée d’en finir avec cette vieille société autiste et moisie ; que les pauvres deviendraient moins pauvres et que la justice sociale ferait son œuvre dans une société recomposée. Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. C’est en optimiste qu’il concevait ses lointains changements.

Quand en 1790 paraît la Constitution civile, il en étudie les clauses et la juge schismatique. Ce texte est déjà l’abus d’une société qui prend pour fondement l’Être suprême. Les évènements arrivent jusque dans sa paroisse. Alors qu’il est pressé comme tout prêtre de jurer le serment de fidélité à la Constitution, le 27 février 1791, il monte en chaire et exprime son refus. Il est dénoncé, travers français, et les gendarmes l’arrêtent. On l’écarte de sa paroisse. Il mène alors une vie de proscrit, va de village en village, en marginal, sans abri, sans papier. Résident sans paroisse, c’est un clochard céleste qui œuvre pour le Royaume céleste. Il se meut, tout clodo, là où la Providence le veut. Une fois que les Vendéens ont délivré le Louroux et pris Angers, l’abbé revient dans sa paroisse, le 24 juin, un dimanche de la Fête-Dieu. Temps de roses, de fleurs blanches et jaunes. Le parfum de l’encens et des fleurs embaument l’église.

Après forces défaites et moult retournements, les Vendéens, prenant une peignée, se retirent vite de l’Anjou. Tout repart de plus bel, pis encore, la république se durcit, la cruauté est un commandement, les lames se liment, les plombs se fondent, la poudre se moud. La folie républicaine boit du sang des catholiques déterminés comme des campari spritz en terrasse piazza grande. Le curé maquisard continue son ministère, caché par les habitants. Incognito, il vit en cachette, dort dans une cabane abandonnée pendant l’hiver 1793. Il s’habille en paysan, se laisse pousser la barbe. Sa tête est mise à prix. Il se réfugie en plein bourg, dans un petit réduit où il reçoit des gens sûrs. On lui passe la nourriture par un petit soupirail. Il dit la messe dans les fermes, les granges ; quand il est inquiété, il se cache sous une panne, dans un râtelier d’étable. Les Bleus le pistent, le nez à la trace, le flairent mais ne le trouvent pas. Il n’est pas loin. Have, il est épuisé. Il s’effondre. À quoi bon continuer ? S’il renonçait, s’il descendait au sud ? Il passerait le Rio Grande, à la frontière passée, il sera blanchi, sauvé ; le temps va s’arrêter pour mieux l’oublier. À peine cette idée passe dans son imagination qu’il se redresse, relevé par l’Esprit saint.

Un soir, alors qu’il sort dans la petite cour de la ferme, il est aperçu par Niquet, son ancien protégé qui le dénonce aux militaires pour quelques argents. Les Judas courent toujours même en rase campagne. Il est minuit ce 8 février 1794, l’abbé Pinot s’apprête à dire la messe, revêtu d’une chasuble rouge, le calice prêt, la patène, l’eau et le vin, quand les gendarmes entourent la ferme. Caché dans un coffre, la maison est retournée. Il est découvert.

Garrotté, on le frappe, on l’insulte, on lui crache au visage. Une des racailles fait des blagues obscènes. La crapule du corps de garde profane les hosties consacrées qu’il portait sur lui. Devant lui, on les souille en les trempant dans du vin de table, en ricanant, on l’imite « ecce, Anus Dei… » Le bon curé demeure digne. Un forcené lui serre les doits avec une corde, à faire couler le sang, il reprend les mots de son divin Maître : « mon ami, je ne t’ai pourtant fait que du bien ». Un cortège le conduit hors du bourg vers Angers. La foule salue son curé dans un silence lourd de tristesse et de tendresse. Noël voit une petite fille et lui donne son chapelet en souvenir de lui.

À Angers, on le met au trou, dressé au pain sec et à l’eau. Il est isolé. Il attend l’esprit souffler. La petite bougie dans sa cellule ne faiblit pas malgré les longues nuits humides à faire pourrir les poumons. Le 21 février il est condamné par le tribunal révolutionnaire d’Angers ces freluquets au panache bleu blanc rouge, sec et raide l’envoi à la mort. Le jour même il est conduit à l’échafaud. Une procession l’y mène, parodique, mêlée de rires gras et de chants paillards entonnés à tue-tête par des bouffons, des dondons babillardes, des badauds rabides et de soldats vulgaires. L’abbé arrive place du Ralliement. Ses mains sont liées dans le dos. Le vent passe sur son crâne dégarni. Ses yeux, deux billes bleu royal, se lèvent et se jettent sur la guillotine. Il ne tremble pas. Il n’a pas froid. Fortifié par l’Esprit Saint, il lance : « Introibo ad altare Dei, ad Deum qui laetificat juventutem meam. » Les premiers mots de la messe. Toujours vêtu de la chasuble rouge couleur de sang, il va à la mort, et se donne en sacrifice. Il monte, un pied sur la rampe. Son corps ne lui appartient plus, il est déjà au ciel, dans la patrie céleste. C’est le Christ crucifié qui l’attend sous le couperet. Ainsi sa mort est sa dernière messe, un sacrifice sanglant et authentique sur un autel de mort. Tout est accompli. Il lavera le calice, refermera le missel dans le Royaume. Le couperet tombe, le sang souille la lame lourde qui remonte. La tête du prêtre tombe dans le panier plein de chaux. Lavoisier, chimiste, meurt quelques mois plus tard.

Quelle leçon donc de courage et de virilité que ce prêtre qui va à la mort les yeux ouverts et qui nous enseigne à ne pas la craindre, à ne pas la redouter mais à la désirer car, au bout, il y a le Christ ! Quelle vertu de ce prêtre qui n’a pas peur, confiant, serein, en paix avec lui-même, soutenu par la Grâce divine, alors que tous les stoïciens de pacotille, les maîtres yogas en toc, les athées jouisseurs lecteurs de quelques absurdes Camus, se pisseraient dessus rien qu’à voir la lame. Il en faut de la force surnaturelle pour supporter pareillement un cœur et se laisser à l’abandon, accepter la mort et offrir son corps comme le Christ sans parler s’est étendu sur la croix. Sage et grand disciple du Christ qui nous ouvrez la voie !

L’abbé Noël Pinot a été béatifié par Pie XI en 1926, à sa suite les Quatre-vingt-dix-neuf autres catholiques, prêtre et fidèles, le seront sous Jean-Paul II, qui connurent la mort et la torture. Le Bienheureux Pinot et le Saint Curé d’Ars forment un tandem qui inspire nos vies égarées et nous invitent à l’abandon de nos cœurs et de nos corps pour Dieu au nom de l’amour et de la charité ; et de même fortifient et lèvent le cœur courageux de nos prêtres pour en faire des saints dans la vie comme dans la mort. C’est ce génie-là du christianisme qui a l’honneur d’être français.

Nicolas Kinosky

© LA NEF le 15 juin 2022, exclusivité internet