TRIBUNE LIBRE
Alors qu’il s’était montré remarquable journaliste, édifiant essayiste, habile et doué polémiste, Éric Zemmour, qui s’est lancé en politique, a échoué. Recalé dès le premier tour à la présidentielle comme aux législatives. 7 %. C’est le désaveu de la population française. La défaite suivante à la députation en découle et relève d’une guerre politique sur fond de revanche et de vengeance propres aux querelles de partis. Rien de glorieux n’en sort pour la France. Et le Mexicain basané sous son sombrero se désespère : « caramba…encore raté ! »
Il y en a qui se féliciteront de cette première tentative prometteuse car toute une jeunesse s’est réveillée, a pris conscience qu’on lui mentait et que la France actuelle, plus poubelle que Reine, était la conséquence de cinquante ans de déconstruction économique, sociale et morale. Oui, il faut un millénaire pour faire une nation et cent ans pour l’effondrer. Nous sommes à la moitié. Le temps urge, de jeunes gens vaillants, courageux, amoureux de leur pays l’ont compris. D’autres ont quitté le navire, trouvant l’herbe plus verte ailleurs.
Zemmour, dont beaucoup s’accordent à dire qu’il a raison, a perdu. Les Français pensent comme lui, selon les sondages exprimant leur inquiétude face à l’islam et l’immigration. Alors, pourquoi donc ces deux échecs successifs alors que tout semblait annoncer, il y a quelques mois encore, une victoire et même une recomposition de la vie politique autour de ses idées et de son parti ?
La France devenue un archipel a succombé à l’archipélisation. Chacun est persuadé que le pays pense et vote comme lui-même. Non, tout le monde n’est pas contre l’immigration, le vivre ensemble, la diversité, le mélange, l’ouverture, l’union européenne et la mondialisation heureuse. Il y a des gens qui, au nom du progrès, veulent changer de société, de pays, même de civilisation. Malgré une énorme campagne de propagande sur fond de Unes, d’interviews et de buzz, Zemmour a été berné par le miroir médiatique en croyant que ses scores à la télévision, son succès sur Cnews et sa popularité sur internet, étaient les reflets d’une adhésion massive de la population française à sa personne et à ses idées. Mais, hélas, le youtube game et les prime time ne sont que des miroirs aux alouettes et le Z s’est confronté à un réel bien plus éclaté, nuancé et divisé. Les Français sont irréconciliables. L’ouest breton, bordelais, landais, jusque dans les terres vers les Pyrénées et la Normandie, n’a pas voté pour Zemmour. Les Français d’origine étrangère non plus. Les jeunes non plus. Les fonctionnaires non plus. Les habitants des grandes villes non plus. Et c’est tout pareil pour les campagnes, la France périphérique, les villes petites et moyennes acquises à Marine le Pen. Le champ médiatique du Z était énorme, sa force politique conséquente mais sa fenêtre de tir plutôt étroite. 7 %. Encore raté.
Zemmour a tout d’abord parié sur l’alliance des droites. Au Front national, dès 2012, on se demandait s’il fallait arrimer le parti aux idées souverainistes de Florian Philippot, ou s’il fallait plutôt s’associer aux libéraux conservateurs de la droite. Zemmour a voulu de cette alliance des partis pour allier les classes populaires issues de la France périphérique aux classes supérieures allant de la bourgeoisie catholique enracinée aux retraités propriétaires en passant par les jeunes cadres, les CSP+. L’alliance des droites a été un échec qui lui a sauté au visage. Elle s’est heurtée à la logique terrible des partis devenues des PME. À l’incompatibilité sociologique induisant une incompatibilité des programmes et des idées, Zemmour n’a pas su réunir, en un grand écart, toutes les tendances de la droite : plus de social et de souveraineté pour les uns, plus de réformes et d’anti islamisme pour les autres. Cet RPR deuxième manière qui souffrait de ces contradictions dans les années 90 sur fond de cordon sanitaire contre le Menhir et de « oui » au traité de Maastricht, a fait pschitt.
El famoso bourgeoisie patriote est un concept erroné. Zemmour n’a cessé de l’employer. La bourgeoisie, qu’elle vienne du Paca ou de Sablé sur Sarthe, qu’elle soit illustrée par les boomers ou par les métropoles, n’est pas acquise aux idées nationales. Elle est principalement hors-sol, consumériste, cherche surtout à sauver ses profits et continue à bénéficier de la mondialisation. Elle se protège encore. Croit-on vraiment que les familles dont les enfants font leurs études à Columbia ou des stages à la Washington ambassy votent pour les idées de Zemmour ? Elles souscrivent à cette idée flottante dans l’air comme un jet privé : libérale et flexible quant aux réformes, progressiste sur le plan sociétal. La Macronie, en somme. Zemmour est allé chercher la bourgeoisie en lui vendant la civilisation. Mais qu’en a-t-elle à faire, la bourgeoisie ? Rien. Après moi le déluge. La bourgeoisie se moque du grand remplacement, elle a peur seulement du grand côtoiement.
Cette même bourgeoisie de droite, héritière du sarkozysme, nous a vendu l’intégration et non l’assimilation. Or, il ne suffit pas de travailler en France pour être français ; à ce compte-là, les livreurs Uber sont parfaitement assimilés. Cette même bourgeoisie encore joue du Buisson : mettre dans la tête des Français de classe moyenne qu’elle méprise et dont elle est parfaitement détachée que toute solidarité, toute aide sociale est de l’assistanat, que les allocations, le chômage et le Rsa ne reviennent qu’aux étrangers et qu’il faut les supprimer. La droite a changé le travailleur en un champion du libéralisme. Et c’est elle, la droite qui, dans le même temps, inaugure des mosquées, accueille, comme Merkel, des migrants, flirt au Qatar, se dit prophète du bonheur. Cette même droite qui avec Charles Pratz a parlé de la fraude à la sécurité sociale n’a jamais parlé de la fraude fiscale mais veut réduire la dépense publique, allonger la retraite à soixante-cinq ans, au nom de la réforme, sorte de concept vague qui consiste à assurer toujours un peu plus le déclassement économique de la base au profit de l’élite.
Quand on voit ce que sont devenus les conservateurs en Europe, il y a de quoi les redouter : paralysés par leurs contradictions, pétrifiés par leur lâcheté, arrimés à l’Allemagne, changés en tapis de souris des Américains, cocus du monde moderne. Ils valident le choc des civilisations mais renoncent à leur souveraineté. Ils sont parfaitement libéraux et finalement peu patriotes. Ils aiment leur pays du moment qu’il se réforme et qu’il produise ; et quand la population n’est pas vaccinée, ils la confinent, lui imposent le pass vaccinal, la menacent d’amende. Regardez ce qui s’est passé en Autriche. Après Sébastian Kurz, adoubé par le Forum économique mondial de Davos, Karl Nehammer, le nouveau chancelier, s’est montré comme le pire fasciste à l’encontre des citoyens récalcitrants au Pfizer. Cette droite qui vend la peur de l’islam a renoncé à tout, accepte tout ce que préconise Davos mais répète à qui veut l’entendre que le problème central de la nation est le halal à la cantine. Du Macron sans les Arabes. Cocue et contente.
Éric Zemmour a tout misé sur l’identité et le grand remplacement au point même de laisser le reste de son programme secondaire, presque flottant, flou et hésitant. On ne sait pas trop bien ce que Zemmour a voulu faire pour les retraites, contre le chômage, pour l’agriculture. Si toutefois il y a bien un problème en France liée à l’immigration actuelle, sorte de flux tendu, et à l’impossible assimilation d’une quantité à un endroit donné d’une immigration de travail devenue une immigration de peuplement depuis un demi-siècle ; et que Zemmour a raison d’y pointer les dangers de la sécession et du communautarisme, une campagne identitaire, donc sociétale, ne rassemble ni l’ensemble des Français, ni une partie conséquente d’un corps électoral reparti sur toutes les couches de la population. Comme une marotte, Zemmour est revenu à l’islam comme un fumeur à sa cigarette, tout le temps, à chaque fois, de manière excessive et presque ridicule. L’armée ? Les Arabes ; l’éducation ? Les Arabes ; le réchauffement climatique ? Les Arabes. Mais sont-ce les Arabes qui ont imposé l’euro, qui sont à la tête de la commission européenne, ont voté pour l’identité numérique commune ? Sont-ce les mêmes Arabes qui ont participé à l’effondrement du catholicisme, au génocide vendéen, aux lois de 1905, au refus de marquer dans la constitution européenne que l’Europe était chrétienne ? Sont-ce les Arabes, toujours, qui ont conclu un pacte de corruption, vendu Alstom, employé McKinsey, un agent américain ? Zemmour est allé jusqu’à vanter le modèle socio-économique japonais car il n’y a pas là-bas d’immigration et pas d’Arabes. Ce n’est pas bien sérieux.
La dénonciation légitime du grand remplacement aurait dû s’inscrire dans un ensemble plus large, plus manifeste, souverainiste, social et patriote. Tout patriote a une conscience sociale, ce qui n’implique pas qu’elle devienne socialiste. Les Français ont fait face à deux fins du monde, celles que les écolos prophétisent par le réchauffement climatique et celle du grand remplacement annoncé par le Z. Mais aux fins du monde, l’ont emporté les fins du mois. Oui, cent euros en plus vaut mieux qu’une vague idée sur la réemigration impraticable dans le contexte européen. Zemmour a annoncé au Médef la couleur, tout poulain de Bolloré qu’il est : ni changements ni révolutions économiques. Les Français l’ont senti. Et puis annoncer de l’autre côté la guerre civile comme un horizon possible est une erreur stratégique et politique. Tout d’abord, cette idée fait peur, immanquablement. Les boomers qui tiennent la démocratie n’ont aucune envie d’en entendre parler. Ensuite, la guerre civile ne peut pas être une solution. C’est au politique de l’éviter et non de la souhaiter tout en prétextant ne pas la vouloir, tout en continuant, avec rhétorique, d’en parler ardemment. Quel est l’objectif à la fin ? 7 %.
Au moment des élections européennes de 2019, lors d’un entretien sur Paris Première, le Z avait dit à François Xavier Bellamy : « en ne faisant que du sociétal, vous ferez 6 % » il avait vu très juste, mais c’est, exactement, ce qui lui est arrivé. Zemmour a fait un programme de « droitards ». Dans les années 2000, il était réactionnaire et souverainiste, dénoncé le libre-échangisme, l’union européenne et l’euro. À partir du Suicide français, il a validé le conflit de civilisation et y est revenu parfaitement. Zemmour souffle le chaud et le froid, tantôt critique l’OTAN sans vouloir en sortir, tantôt se méfie de l’Union européenne sans vouloir la quitter. Plus un mot sur l’Euro. Plus un mot non plus sur l’OMS et sur l’Allemagne. Certains ont prétexté qu’il amorcerait le Frexit une fois élu mais qu’il ne pouvait pas le dire en campagne. Cela fait beaucoup de choses vagues en suspens.
Le reste est de la politique politicienne. Du mauvais timing. De la lutte de partis. Une élection n’est pas logique. Ce n’est pas celui qui est le plus intelligent, le plus cultivé, celui qui parle le mieux en vérité qui est élu. Zemmour est tombé dans le panneau. Quand Zemmour fut donné très haut dans les sondages au mois de novembre, ils furent nombreux ceux qui voulurent qu’il siphonnât les voies de Marine le Pen. Tout s’est accéléré dès janvier. Les médias ont préféré le Pen, battable face à Macron au deuxième tour. Zemmour a chuté gravement sur l’affaire ukrainienne, perdant crédibilité chez ses électeurs et aux yeux de l’opinion par ses reculades, ses excuses. Se rétracter, alors que Trump au téléphone lui avait dit justement de ne pas le faire, pour faire plaisir aux gens, a des conséquences cruelles et fâcheuses. L’annonce plus tard de la création d’un ministère de la réémigration a plus déconcerté qu’enchanté. Zemmour n’est pas paru non plus dans sa gloire de Zemmour. Le flingueur de Cnews qui mettait knockout à toute l’intelligentsia de Paris n’a pas brillé. Le Z a retenu ses coups, il s’est abstenu, il a voulu bien paraître, paraître moins clivant, et conforme dans la vitrine. Il fut plutôt indécis dans les débats, assez moyen. Il n’a pas osé. Il a voulu être touchant, rassurant, comme un bon père alors qu’on aurait voulu le daron, le vrai Z. Mais c’est là tout compte fait aussi la farce démocratique qui consiste à plaire à la majorité, aux boomers, les principaux électeurs, à Madame Michu qui n’aime pas trop les radicaux.
Zemmour en définitive a échoué à allier les droites, à mettre en pension Marine le Pen et à siphonner son parti. Il a échoué à être une force d’attraction. Il est resté dans les marges. C’est au LR qu’il doit sa meilleure réussite en le divisant. Zemmour n’aura pas été le Trump français, pas même le général Boulanger du XXIe siècle. Seul l’avenir nous dira si Reconquête est prête à un brillant avenir. Qu’elle fasse mieux.
Nicolas Kinosky
© LA NEF le 29 juin 2022, exclusivité internet