Lecture Juin 2022

RÉSURRECTIONS
Traverser les nuits de nos vies
DENIS MOREAU
Seuil, 2022, 300 pages, 22 €

« Il est indiscutable que la bonne nouvelle de la résurrection de Jésus a modifié l’existence d’innombrables personnes. La foi placée en la résurrection du Christ n’est pas un néant inefficace, elle est quelque chose et, comme telle, possède une efficacité transformante, produit des effets notables » (p. 239). Tel est le propos de ce livre magnifique, animé d’une belle foi et d’une non moins belle humanité. Pour convaincre son lecteur, Denis Moreau procède en deux parties. La première, théorique, explicite d’une façon rationnelle la thèse ici défendue. Il le fait non pas en discutant de la vérité ou de la crédibilité de la foi en la résurrection – approche évidemment nécessaire qui a toute sa pertinence mais ce n’est pas son propos –, mais en questionnant « dans une optique “pragmatique” son efficacité pratique », c’est-à-dire les effets que cette foi produit sur le « croyant » ; bref, « on interroge alors moins l’origine (les raisons, les preuves, les justifications) de la croyance que son résultat » (p. 38). Approche qui permet au demeurant de mieux répondre aux critiques d’un Nietzsche contre le christianisme, lui qui voyait les effets de la foi comme désastreux.

Denis Moreau en vient donc à développer sept principes « résurrectionnels » que l’on peut résumer à grands traits ainsi : la mort n’est pas la fin de tout ; on peut se relever de ses chutes, rien n’est définitivement perdu ; il y a une dimension corporelle dans la vie de ressuscité (d’où l’importance souvent négligée du corps) ; on ne se relève pas seul ; la puissance de la résurrection nous rejoint dans nos enfers existentiels pour nous aider à en sortir, mais il faut accepter que cela prenne du temps…

La seconde partie de l’ouvrage met en œuvre ces principes à travers des exemples de résurrections puisés dans les cas les plus habituels de souffrances auxquelles nous sommes confrontés : le deuil, la dépression, la faute qui exige le pardon, l’épuisement de l’amour conjugal. Cette partie très émouvante est d’une grande force spirituelle, elle s’appuie notamment sur une grande connaissance des psaumes, de nombreux passages d’Évangile toujours opportunément choisis, l’auteur étant d’une grande délicatesse dans ses approches, évitant tout jugement, ne fournissant aucune solution toute faite, mais proposant des voies éclairées par une belle foi qui ne cherche jamais à s’imposer lourdement. À l’arrivée un beau livre d’apologétique, intelligent et accessible à toute âme de bonne volonté. À recommander.

Christophe Geffroy

DIRE OUI AU MONDE
Une théorie de la fête
JOSEF PIEPER
préface de Fabrice Hadjadj, Salvator, coll. Philanthropos, 2022, 150 pages, 16 €

Confessons que le mot « fête » nous fait fuir plus souvent qu’il ne nous attire. Entre celui qui « fait la fête » sans qu’on sache ce qu’il s’agit de fêter, celui qui la rebaptise « teuf » par jeunisme en croyant que ça suffira à la revitaliser, l’homo festivus de Philippe Muray, sans même parler des Joe Dassin liturgistes entonnant « Viens à la fête, la table est prête », on finirait par se réjouir, contre le sens courant de l’expression, de « ne pas être à la fête ».

Parue en 1963 et proposée ici dans une traduction extrêmement fluide de Fabrice Hadjadj et Jean Granier, la magistrale « théorie de la fête » de Josef Pieper n’ignore rien des impasses de la joie artificielle. Toutefois, elle dépasse le ressentiment pour « dire oui » à ce qu’il est juste et bon d’offrir en action de grâce, à commencer par le travail que la fête suspend. Cela suppose de ne pas assimiler le festif au gai, quand ce n’est pas au gay, par le biais de Prides en tout genre. Pieper rappelle d’ailleurs que la légende grecque faisait remonter l’origine de toutes les grandes fêtes aux cérémonies funèbres…

Nourri autant de Nietzsche ou de Heidegger que des Pères de l’Église, Pieper ne se contente pas de rejeter la falsification de vraies fêtes (Noël consumériste) ou l’instauration autoritaire de fausses fêtes (des « autels de la Patrie » révolutionnaires au 1er Mai du « travail volontaire » de l’Union soviétique). Il démontre, avec acuité et finesse, qu’un moment festif authentique unit l’action de grâce pour ce qui nous précède et la promesse de ce qui nous dépasse : « Le bonheur d’être créé, la bonté essentielle des choses, la participation à la vie de Dieu, le dépassement de la mort – ces raisons des grandes fêtes traditionnelles sont tout simplement des dons. Et comme nul ne peut se faire un don à soi-même, il ne peut y avoir de véritable fête dont le fondement serait exclusivement humain. »

En somme, la pensée lumineusement profonde de Pieper, qui influença Benoît XVI, suggère que la fête véritable conduit plus sûrement au visage du Christ qu’à la gueule de bois. De quoi entonner quelques alléluias.

Henri Quantin

BENOÎT XVI. UNE VIE
Tome 1. Jeunesse dans l’Allemagne nazie jusqu’au Concile Vatican II, 1927-1965
PETER SEEWALD
Chora, 2022, 590 pages, 24,80 €

Après la biographie récente sur Benoît XVI de Elio Guériero (Mame, 2016), voici celle de Peter Seewald, on ne peut plus qualifié pour traiter d’un tel sujet si on considère le nombre de ses entretiens avec J. Ratzinger/Benoît XVI, publiés ou non. Nous réservons à la parution du second tome un article global consacré à cette vie. En attendant, nous (re)découvrons avec le plus grand intérêt l’itinéraire du jeune villageois bavarois, mélomane avide de littérature, confronté pendant sa jeunesse à la montée du nazisme jusqu’à être enrôlé dans les Jeunesses hitlériennes alors qu’il était séminariste. Nous le suivons pas à pas dans ses études universitaires, puisant à différentes sources pour façonner sa pensée. Seewald prend le temps de présenter les auteurs que Ratzinger assimile, quitte à se démarquer d’eux sur tel ou tel aspect. Après son ordination en 1951, on imagine, peut-être difficilement, Ratzinger vicaire et aumônier étudiant. Nous retrouvons ensuite Ratzinger chargé de cours et jeune conférencier, s’imposant d’emblée par « la clarté de son langage, l’acuité de son intelligence, le talent inouï et la fluidité de son expression » (p. 343). On est abasourdi avec lui du rejet de sa thèse d’habilitation sur Bonaventure. Le professeur Ratzinger, enfin, dont l’audience ne cesse de croître, repéré par le cardinal Frings, devenu expert au concile Vatican II. Là encore, Seewald développe les rencontres de Ratzinger avec ses pairs théologiens : Lubac, Rahner, Küng, Balthasar, et tant d’autres. Tout cela, certes, est assez connu pour qui s’intéresse un tant soit peu à Benoît XVI, mais cet ouvrage représente un effort considérable de mise en contexte pour comprendre de l’intérieur un maître lumineux qui a traversé les vicissitudes du siècle et de l’Église et dont nous serions avisés de retenir l’enseignement aux accents prophétiques.

Abbé Christian Gouyaud

L’ISLAMO-GAUCHISME NE M’A PAS TUÉ
KLAUS KINZLER
Éditions du Rocher, 2022, 342 pages, 19,90 €

Les ennuis de l’auteur, professeur de langue et de civilisation allemande, commencent à l’automne 2020 lorsqu’une Semaine de l’égalité ayant pour thème « Racisme, islamophobie, antisémitisme » est annoncée à l’Institut d’Études politiques (IEP) de Grenoble où il enseigne. Cette initiative, inspirée par l’assassinat de Samuel Paty près de son lycée à Conflans-Sainte-Honorine après qu’il eût promu durant son cours la liberté d’expression en utilisant des caricatures de Mahomet, devait permettre de réfléchir à diverses formes de discriminations. Or, Klaus Kinzler refuse l’équivalence des trois termes et le fait savoir, arguant que le concept d’islamophobie n’équivaut pas à un racisme antimusulman, qu’il ne vise pas des personnes mais le contenu d’une religion ou d’une idéologie et qu’il doit donc pouvoir être examiné en recourant à la critique scientifique associée au principe de la liberté d’expression.

Cible d’une campagne de diffamation menée par des étudiants soutenus par une partie du corps enseignant, le professeur doit aussi affronter la lâcheté de sa direction, l’enquête gouvernementale et l’emballement médiatique, au point que cette affaire prend une ampleur nationale. Le récit de cette mésaventure offre à Kinzler l’occasion d’apporter un éclairage hallucinant sur l’ambiance vécue à l’intérieur du système universitaire, miné par les dérives idéologiques (écriture inclusive, absence de débat et d’humour) mais aussi de mettre en valeur la sincérité et le courage de certains acteurs concernés par cette triste affaire. Permettra-t-il à l’Université de retrouver sa vocation ?

Annie Laurent

COMBATTANTS FRANÇAIS EN PALESTINE 1917-1918
DENIS CHEVIGNARD
Via Romana, 2022, 100 pages, 18 €

Contexte : l’entrée en guerre, début novembre 1914, de l’Empire ottoman qui officialise son alliance avec l’Allemagne et va devoir faire face à la Triple Entente. On veut dire les Russes, presque tout de suite victorieux sur le front du Caucase. Aussi les Anglais, tout de suite maîtres de Bassora, au fond du golfe Persique, et qui stoppent une tentative turque contre le canal de Suez. Quand même, à l’actif de l’Empire, outre le cuisant échec franco-britannique des Dardanelles en 1915, se produisit la reddition anglaise de Kut el Amara en avril 1916. Mais un sursis cela. Car le ratage d’une seconde offensive vers Suez préparait la campagne britannique du bout de l’année en direction de la Palestine – campagne d’ailleurs soutenue par le panarabisme, au service celui-ci d’Hussein ibn Ali, chérif de La Mecque, et de ses fils Fayçal et Abdallah. Lesquels engagèrent la lutte avec, à leurs côtés, le légendaire T.E. Lawrence. En 1917 donc, Gaza et Jaffa conquises, l’armée anglaise d’Égypte du général Allenby s’empare le 9 décembre de Jérusalem. Puis en 1918, devenue armée anglo-arabe, le 1er octobre elle prend Damas, future capitale d’un grand royaume que l’émir Fayçal ne put décrocher. En effet, selon les accords secrets Sykes-Picot de 1916, la France ayant obtenu mandat sur le Liban et la Syrie après la défaite ottomane, Fayçal et Abdallah durent se contenter respectivement de l’Irak et de la Transjordanie placés, comme la Palestine, sous mandat britannique.

Et le Détachement français, appelé à partir de janvier 1919 Troupes françaises du Levant ? Et son chef le colonel Philpin de Piépape ? Intégré dans le corps expéditionnaire anglais, c’est l’histoire, mal connue, que retrace le petit livre d’un auteur très renseigné.

Michel Toda

LA TURQUIE D’ERDOGAN
ANNE ANDLAUER
Éditions du Rocher, 2022, 250 pages, 19,90 €

Établie en Turquie depuis 2010, la journaliste Anne Andlauer livre ici le résultat d’une enquête fouillée sur ce pays dominé par la figure de son chef, Recep Tayyip Erdogan, qui détient le pouvoir depuis 2014. L’auteur entraîne d’abord le lecteur à la rencontre d’une jeunesse tentée par l’émigration pour résoudre son inquiétude croissante face à la récession économique, au durcissement d’un régime qui limite de plus en plus les libertés et exerce une tutelle idéologique sur l’université. Quant aux femmes, elles subissent les effets de la réislamisation des mœurs et d’une législation qui respecte de moins en moins leur dignité, leur liberté et même leur sécurité. À cela s’ajoute le « grand nettoyage » qui affecte tous les secteurs de la société depuis le coup d’État manqué de 2016 et l’instauration du système présidentiel qui l’a suivi.

Erdogan songe-t-il à restaurer le califat, l’alphabet arabe et la polygamie, comme on le croit souvent en Occident ? Non, pense A. Andlauer. Par ses références constantes à l’héritage ottoman pour justifier sa politique (retour de Sainte-Sophie au statut de mosquée, interventions militaires en Méditerranée, en Syrie ou en Arménie, etc.), le réis entretient auprès de son peuple, frappé par le doute et l’inquiétude, la fierté d’une continuité historique tout en le persuadant des menaces que les Occidentaux font peser sur la Turquie. Erdogan entend ainsi assurer la continuité de son pouvoir et cela est d’autant plus important que les relations avec l’Union européenne s’enfoncent dans l’ambiguïté, compromettant l’avenir de ces « éternels fiancés », tous deux étant par ailleurs confrontés au défi de l’émigration syrienne.

Il faut souligner l’utilité de cet essai pour comprendre la situation actuelle de la Turquie, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Annie Laurent

GEOPOLITIQUE DE L’ARMENIE
TIGRANE YEGAVIAN
Éditions BiblioMonde, 2022, 176 pages, 17,50 €

C’est un hommage appuyé que Gérard Chaliand, conseiller auprès du Centre d’analyse et de prévision du ministère français des Affaires étrangères, rend, dans sa préface, à Tigrane Yégavian, chercheur au Centre français de recherche sur le renseignement. Outre qu’il voit dans son livre « la plus remarquable des analyses critiques de l’histoire arménienne depuis la concrétisation du nationalisme par la création d’un État qui se veut souverain », Chaliand insiste sur la « grande rigueur » et la « probité » de l’auteur, considérant enfin que, « par sa lucidité [l’ouvrage] représente un tour de force ».

Il est vrai que le sujet est particulièrement complexe. Malgré son origine très ancienne, la nation arménienne, qui puise ses racines dans le baptême de son roi, Tiridate IV, en 301, n’a que très éphémèrement connu la stabilité territoriale et politique. Pour l’auteur, sa géopolitique « est un paradoxe stratégique permanent ». Ballotée, enclavée, déplacée, dominée, dépendante d’un environnement incertain, l’Arménie n’a obtenu qu’en 1991 la reconnaissance de sa souveraineté comme État, avec Erevan pour capitale. Mais sa situation demeure fragile comme l’ont montré la guerre qui lui a été faite par l’Azerbaïdjan à propos du Haut-Karabagh durant l’automne 2020 et les diverses ingérences étrangères qui ont accompagné ce conflit. Yégavian consacre à cet épisode des pages très éclairantes. Mettant en évidence le jeu des différents acteurs tout en évitant une approche victimaire, il n’hésite pas à relever les faiblesses et les imprudences des dirigeants arméniens, qu’il invite aujourd’hui à relever plusieurs « défis existentiels ». De nombreuses cartes ainsi que des encadrés (histoire de l’Église arménienne, portraits, chronologie) illustrent cet ouvrage précis et très documenté.

La proximité des relations entre les Arméniens et la France, fixée dès le temps des croisades, est une réalité connue et appréciée. Aujourd’hui, avec 500 000 membres, descendant pour la plupart des rescapés du génocide commis par les Turcs en 1915, cette communauté constitue la principale diaspora arménienne d’Europe. Elle sait conjuguer une « intégration républicaine réussie » à des liens constants avec sa terre ancestrale. Pour mieux connaître ce peuple si particulier et si éprouvé, la lecture de ce livre est donc vivement recommandée.

Annie Laurent

LES LUMIERES D’UN PHARE
CHARLES DE FOUCAULD
PIERRE SOURISSEAU
Salvator, 2021, 232 pages, 18,80 €

La récente canonisation de Charles de Foucauld est une invitation à mieux connaître le parcours spirituel de cet Alsacien qui, après avoir perdu et retrouvé la foi, l’a approfondie et lui a donné chair grâce à des expériences peu ordinaires vécues en Terre Sainte et en Syrie, mais surtout en Afrique du Nord. « Le christianisme retrouvé dans l’Église catholique était devenu pour lui plus qu’une religion, c’est désormais une relation avec Jésus, avec une Personne à aimer et à imiter », observe ici l’auteur qui avait déjà publié en 2016 une biographie de référence du nouveau saint.

Mieux le connaître pour mieux s’en inspirer. Tel est l’objectif de ce nouveau livre, qui se présente comme un guide spirituel. Pierre Sourisseau y scrute les aspects essentiels de l’expérience et des enseignements foucauldiens pour en conseiller l’imitation aux catholiques d’aujourd’hui appelés à œuvrer à l’émergence d’une « Église-fraternité au service de l’Évangile ». Confrontés à la déchristianisation et à la rencontre avec les musulmans, les baptisés doivent être des « disciples-missionnaires », conseille-t-il, tout en rappelant les trois piliers sur lesquels reposait l’apostolat de l’ermite du Sahara : « imiter Jésus dans sa vie de Nazareth, le retrouver dans l’Eucharistie, l’annoncer à tous les humains comme le Sauveur universel. » Une précieuse invitation pour se mettre à l’école de Frère Charles.

Annie Laurent

TOUT CE QUE J’APPRENDS
Confessions croisées d’un chrétien et d’un citoyen
Mgr CLAUDE DAGENS
Cerf, 2022, 296 pages, 24 €

Mgr Dagens aura eu plus de titres prestigieux dans le siècle (normalien, agrégé de lettres, membre de l’Académie Française) que dans l’Église : évêque d’Angoulême, il a refusé à deux reprises des sièges métropolitains (Tours en 1999, Rouen en 2003). Dans ce livre de mémoires discontinus, les pages personnelles sur son présent difficile dans un EPHAD à Paris se mêlent constamment aux évocations du passé. On passera sur les erreurs de dates (sur la condamnation de l’Action Française, p. 173, ou sur le Syllabus, p. 176) – déficience de la mémoire ou faute de frappe. Plus intéressants sont les passages où Mgr Dagens expose ses dissentiments avec l’option socialiste de l’épiscopat en 1972 ou évoque les « premières manifestations » du Renouveau charismatique en France. À deux reprises, il croit nécessaire de dire son désaccord avec le cardinal Sarah (p. 79 et p. 247). On ne sera pas étonné de sa prise de distance d’avec la Manif pour tous, justifiée par son adhésion aux thèses de Marcel Gauchet sur la nécessaire sécularisation (p. 167-171).

Yves Chiron

COMMENTAIRE DE JOB
SAINT THOMAS D’AQUIN
Traduit par Fr. André Aniorté avec le texte latin de Job en regard, introduction de Gilbert Dahan, Éditions Sainte-Madeleine, 2022, 406 pages, 35 €

Il faut vraiment savoir gré au Fr. André Aniorté de nous offrir à intervalles réguliers de nouvelles traductions, notamment d’œuvres de saint Thomas. On sait que le latin du Docteur angélique passe souvent mal en français et que le sabir rébarbatif qui en résulte la plupart du temps constitue plutôt un obstacle pour accéder à sa pensée qui peut cependant parfois être lyrique ! La traduction limpide du Fr. Aniorté représente à cet égard une contribution exceptionnelle au renouveau des études thomistes.

Il n’est pas anodin que, parmi les commentaires bibliques de l’Aquinate, le choix du traducteur se soit porté d’abord sur celui du Livre de Job. L’enjeu est signalé par saint Thomas lui-même dès son Prologue. Le Livre de Job pose la question de savoir « si les réalités humaines [sont] l’œuvre du hasard ou [si elles sont] gouvernées par quelque providence ou un ordonnancement supérieur » ? À cette question, le Livre de Job répond « par des raisons probables que les réalités humaines sont gouvernées par la divine providence » alors même que le fait que « des justes soient affligés sans cause semble totalement renverser le fondement de la providence ». Cette question est au fond très moderne en ce qu’elle nous confronte au problème du mal et de l’absurde.

Saint Thomas n’entend pas entrer dans une critique historique du Livre de Job, et ce serait un anachronisme que de lui intenter un procès à ce sujet. On lira avec grand intérêt l’introduction du médiéviste G. Dahan. Thomas présuppose la vérité historique de ce livre biblique. Il en propose un commentaire « littéral », soit une analyse linguistique et rhétorique/poétique et excelle dans l’exégèse théologique. Ceux qui connaissent déjà saint Thomas seront heureux de ce « retour aux sources » – un de ses commentaires de la Parole de Dieu – et ceux qui ne le connaissent pas encore trouveront ici une porte d’entrée aisée à franchir – en raison notamment de la fluidité de la traduction.

Abbé Christian Gouyaud

CHRONIQUE DE LA GUERRE CIVILE EN FRANCE
RICHARD MILLET
La Nouvelle Librairie, 2022, 610 pages, 28 €

Aller prendre la mesure du globe, cela dé­sormais a-t-il de l’intérêt ? Car si, autrefois, on pouvait se réjouir d’un périple, l’étroitesse dudit globe, à présent, nous apparaît flagrante, c’est-à-dire son caractère de « compartiment fermé à clé ». D’ailleurs, observait déjà Paul Morand en 1926, « seuls les bateaux sont encore lents et permettent d’en douter ». Bref, considérant cette planète rétrécie, le voyageur ajoutait : « Un jour prochain, on s’apercevra que les Compagnies de navigation nous ont trompés. Alors les Chinois et les nègres viendront nous disputer les bonnes terres… » Renversante prophétie ! Dont la réalisation, taxée à l’époque de folle, d’ébouriffante, s’étale sous nos yeux. Plus complète sans doute que Morand ne l’imaginait. En effet, dans la France actuelle, ou dans l’espace incertain ainsi désigné, ce qui fut un peuple n’est plus qu’une population.

Écrivain de talent, Richard Millet le constate et s’en afflige. Pas facile cette attitude. Si peu facile même qu’une cabale montée contre lui a sciemment détruit ou compromis ses moyens d’existence. Car refuser, ici et maintenant, de s’aveugler et de se censurer expose, en particulier au sein du milieu littéraire, à l’étranglement pur et simple. De toute façon, symptôme parmi cent autres de l’ubiquitaire Propagande, unie au gauchisme culturel (bras armé, ce dernier, du capitalisme mondialisé). Et à laquelle participent « ce que le catholicisme a produit de pire », accuse Millet : les cathos de gauche – qui « voudraient être protestants tout en lorgnant vers l’islam »… Mais peu leur importent, aux fourriers et adeptes d’une « immigration massive et continue », aux apôtres du « repeuplement quasi général » de notre pays et de l’Europe par des multitudes exotiques, aux démolisseurs de la conscience nationale, les ravages et les dégâts amoncelés. Maîtres de l’opinion, sûrs de le rester, ils s’en moquent, ils s’en fichent, ils s’en tamponnent. Richard Millet pourtant n’a pas renoncé au combat. Rendu ingagnable ? Au moins s’opposer, résister. Au moins, dans les limites du possible, tenir tête à l’ennemi.

Michel Toda

LA NATION
Une ressource d’avenir
BERNARD BOURDIN ET PHILIPPE D’IRIBARNE
Artège, 2022, 116 pages, 11,90 €

La nation est aujourd’hui largement décriée en Europe, jugée responsable des deux guerres mondiales, d’où le projet européen de la dépasser dans le contexte d’une société « liquide » et d’une vision mondialiste sans frontières. Après avoir posé ce constat, nos deux auteurs rappellent que la nation a pourtant été historiquement un facteur d’émancipation et qu’elle pourrait surtout redevenir la solution au problème inextricable dû aux dérives de nos démocraties modernes qui n’ont cessé de favoriser l’extension sans fin des droits individuels au nom d’une conception erronée de la liberté. « La défense des droits de l’individu n’est plus suffisamment contrebalancée par l’attachement aux devoirs du citoyen », écrivent nos auteurs. Cette dérive se manifeste d’une part sur le plan anthropologique par l’effacement des normes morales héritées du christianisme, donnant lieu à des revendications de plus en plus ubuesques, d’autre part sur le plan politique par l’apparition d’un communautarisme islamique, conséquence d’une immigration massive jamais maîtrisée, qui avance ses pions en jouant sur le droit à la liberté de religion.

Tout cela pose la question de ce qu’est un peuple et montre le besoin de cohésion nationale qui ne peut être retrouvé que par la nation, ce qui suppose de sortir des utopies fédérales européennes et de retrouver l’héritage chrétien en ce sens que lui seul permettrait de sortir du « moralisme ambiant (qui) entretient des rapports d’opposition binaires entre le camp du bien et le camp du mal » : en effet, le christianisme met de la nuance quand il s’agit de juger autrui et, surtout, introduit le pardon auquel une vision manichéenne du monde est réfractaire, pardon pourtant indispensable pour agir dans « un espace de paix et d’amitié civique ».

Ces réflexions passionnantes ne sont qu’une piste qu’il convient assurément de suivre et d’approfondir.

Christophe Geffroy

A signaler

JUSTE UN PEU D’AMOUR, CD du Père Michel-Marie Zanotti-Sorkine, Artège, 2022, 19 €. Le Père Zanotti-Sorkine nous avait déjà gratifiés en 2017 d’un CD de chansons qu’il avait composées, Bonjour la vie ! Il remet cela aujourd’hui avec un nouveau CD de la même veine, Juste un peu d’Amour. On y retrouve le même style enjoué, léger et poétique, délicieusement « rétro » à la mode Charles Trénet ; nul doute que le Père a un don pour la chanson avec une voix mélodieuse et des chansons qui chantent la vie, l’amour qui est à la portée de tous. Bref un vrai petit moment de bonheur dans la grande tradition de la chanson française.

TRÉSORS SPIRITUELS DU CARMEL Pour l’année liturgique, par la Province des carmes de Paris, Artège, 2022, 594 pages, 25 €. Ce bel ouvrage reprend tous les dimanches de l’année liturgique sur trois ans (années A, B et C) et propose un commentaire spirituel inédit des textes de la messe de chaque dimanche. Inspirés par les maîtres du Carmel, les pères qui ont écrit ces méditations nous offrent là un magnifique travail très inspirant, à lire chaque dimanche avant la messe. Une réussite à recommander.

LA GRÈCE CLASSIQUE D’HÉRODOTE À ARISTOTE 510-336 avant notre ère, de Catherine Grandjean (dir.), Belin, 2022, 528 pages, 44 €. Ce livre magnifiquement illustré relate d’une façon très didactique et cependant substantielle la période de l’apogée d’Athènes où émergent les figures de Périclès, Platon, Aristote, Hérodote, Thucydide, Sophocle, Aristophane… Un livre passionnant pour mieux comprendre l’une des sources de nos racines européennes.

BIBLIOGRAPHIE GENERALE DES DROITES FRANÇAISES n°5, d’Alain de Benoist, Dualpha, 2022, 640 pages, 56 €. Ce volume 5 regroupe les bibliographies exhaustives, année par année, des auteurs suivants : Berth, Céline, de Roux, Abellio, Monnerot, Sérant, Mabire, Madiran, Venner et Raspail. Un monument pour les chercheurs.

Patrick Kervinec

Roman à signaler

LES MORTS DE RIVERFORD
TODD ROBINSON
Gallmeister, 2022, 396 pages, 24,50 €

Riverford, petite ville de Nouvelle Angleterre, a durement été touchée par la crise, la population est pauvre et endettée, largement dépendante d’une famille riche, les Davoll, qui possède tout ce qui reste de cette ville et est impitoyable face aux impayés. Aussi, lorsque le fils unique de l’homme le plus puissant de la ville est assassiné, les habitants ne le pleurent-ils pas. C’est à deux enfants de Riverside, les policiers Frank Yamaguchi, d’origine japonaise, et Julius Franco, seul Noir de la ville, qu’il revient d’élucider ce meurtre.

Plus qu’une enquête policière au sens strict du terme, ce roman vaut surtout pour ses personnages attachants hauts en couleur et la description de cette ville économiquement sinistrée ; cela aurait pu être glauque, mais ce n’est pas le cas du tout, l’humour étant omniprésent. Si nos deux policiers ne sont pas des inconditionnels du respect de la lettre de la loi, ils manifestent en revanche une réelle empathie envers les victimes et révèlent au final une belle humanité.

Christophe Geffroy

© LA NEF n°348 Juin 2022 mis en ligne le 1er juillet 2022