Mgr Dominique Rey © Ludovic Margot

Un gouvernement à deux vitesses

L’affaire du diocèse de Fréjus-Toulon révèle un mode de gouvernement qui tend à se développer, opaque et sévère dans certains cas, laxiste dans d’autres (cf. la situation de l’Eglise en Allemagne).

Si l’Église catholique se revendique, pour reprendre les termes de Paul VI, comme « experte en humanité », il s’en faut de beaucoup qu’elle puisse se prévaloir d’une pareille expertise dans le domaine juridique, comme vient de l’illustrer éloquemment la malheureuse et confuse affaire de Toulon.
Parmi les différents principes à l’étude desquels tout étudiant en droit doit se consacrer figure celui de la motivation des décisions défavorables. Ce principe, reconnu dans tous les systèmes juridiques dignes de ce nom, est consacré dans le droit français, celui-ci faisant obligation à toute administration qui entend prendre une telle décision d’informer sans délai et par écrit la personne physique ou morale concernée des motifs d’une telle décision. Ce principe est également consacré dans le droit européen et figure tant dans la charte des droits fondamentaux (article 41) que dans le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (article 296). Ainsi, selon la jurisprudence de la Cour européenne de Luxembourg, « il convient de faire apparaître d’une façon claire et non équivoque le raisonnement de l’auteur de l’acte, de façon à permettre, d’une part, aux intéressés de connaître les justifications de la mesure prise afin de faire valoir leurs droits et, d’autre part, au juge d’exercer son contrôle ».
Or, c’est, selon toute vraisemblance, en méconnaissance absolue d’un tel principe qu’est intervenue la décision du cardinal Ouellet faisant interdiction à l’évêque de Toulon, Mgr Rey, de procéder aux dix ordinations sacerdotales et diaconales initialement prévues pour le 26 juin 2022. À cette décision exceptionnelle et dont le caractère punitif n’a échappé à personne, aucune justification écrite et circonstanciée n’a été apportée, ni à Mgr Rey, la principale cible dans cette affaire, ni aux ordinands, contraints de décommander une cérémonie prévue de longue date, ni au diocèse, dont la vigueur missionnaire tranche avec l’atonie du reste de l’Église de France, ni enfin aux catholiques de ce pays, dont 10 000 d’entre eux ont vainement adressé une supplique au Saint-Père. Face à ce silence, chacun y est allé de ses suppositions : le couperet romain trouve-t-il son origine dans le fait que Mgr Rey ordonne, depuis des années, des séminaristes formés hors du diocèse et de son contrôle ? Ou est-ce la présence de certaines communautés nouvelles soupçonnées de dérives sectaires qui a justifié cette décision (Point-Cœur, Communauté Saint-Jean, Eucharistein, Fraternité missionnaire Marie mère des apôtres, monastère de Saint-Benoît à Brignoles) ? Ou encore Mgr Rey paye-t-il, dans le contexte de Traditionis custodes, l’accueil généreux qu’il offre à la sensibilité traditionaliste et sa volonté de bâtir des ponts avec celle-ci ?
Mais il y a pire : le seul communiqué public dans cette affaire, celui de Mgr Rey, aurait été écrit à la demande et en concertation avec le Vatican. Cette pratique détestable, qui consiste à exiger de la personne mise en cause qu’elle explique elle-même les motifs de la sanction qui la frappe, a un nom – l’autocritique – et une histoire bien peu glorieuse.

Pas une exception
Enfin, loin d’être une exception, l’affaire de Toulon semble plutôt refléter un mode habituel de gouvernement qui ne répugne pas devant la culture du secret et à un certain autoritarisme. Citons, pêle-mêle et de manière non exhaustive : l’affaire des Franciscains de l’Immaculée, florissante congrégation d’inspiration franciscaine, décapitée après la désignation d’un commissaire apostolique, sans que les motifs (légitimes ou non) de cette désignation soient exposés ; l’affaire de l’Ordre de Malte, dans laquelle le pape François a contraint, en 2016, le grand maître d’alors, Fra’ Matthew Festing, à la démission, sans que les raisons en aient été dûment exposées ; l’affaire de la communauté monastique de Bose, dont le fondateur, Enzo Bianchi, pourtant proche du pape, a été interdit de séjour dans celle-ci par un décret adopté hors de toute procédure contradictoire et qui se bornait à faire état d’une « situation tendue et problématique dans la communauté en ce qui concerne l’exercice de l’autorité du fondateur, la gestion du gouvernement et le climat fraternel » ; enfin, l’affaire de Pontcalec où une ancienne religieuse a subi des sanctions d’une rare dureté sans motivation explicitée pour éclairer le public incapable de comprendre les raisons de cette sévérité romaine.
Une sanction non motivée, même justifiée par des motifs légitimes, reste une mauvaise décision. Cette évidence, valable pour les États, devrait l’être aussi pour l’Église.

Jean Bernard

© LA NEF n°349 Juillet-Août 2022