Mgr Dominique Rey © Ludovic Margot

Le christianisme est devant nous

Le contexte de déchristianisation et de la baisse du nombre de chrétiens en France invite à réfléchir à frais nouveaux sur l’avenir des paroisses et de la mission.

I. Un constat. En août 2021, une étude de l’Ifop montrait que, pour la première fois, plus de la moitié des Français déclaraient ne pas croire en Dieu contre seulement un sur cinq au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Seulement 2 % des Français participent à la messe tous les dimanches, contre 25 % dans les années 1950 ; une situation qui n’est pas seulement due au manque de fidèles, mais aussi au manque de prêtres, surtout dans les zones rurales. Dans le diocèse de Fréjus-Toulon, le nombre de baptêmes a presque été divisé par deux en quarante ans, les mariages ont connu une baisse encore plus accentuée ; tous les diocèses de France connaissent une dynamique similaire. Il est donc difficile de ne pas envisager l’écroulement du mode de fonctionnement actuel de l’Église, à commencer par sa structure paroissiale.
Mais tous les secteurs d’activité de l’Église ne sont pas en crise. En moyenne, en France, 40 % des jeunes ont effectué une partie de leur scolarité dans l’enseignement catholique. Les services d’aides aux plus démunis manifestent aussi de plus en plus leur caractère nécessaire : hébergements, repas, accompagnement, etc., sont autant de moyens de rejoindre ceux qui n’ont aucun contact avec l’Église. La diaconie du Var, qui a fêté le mois dernier ses quarante ans, manifeste ce besoin toujours plus pressant de témoigner de la foi au Christ par la charité envers les plus petits. La mutation des points de contact entre l’Église et les personnes dont elle doit prendre soin nous invite à questionner notre mode d’organisation.
Dans les tout premiers siècles, l’évêque était le pasteur direct de son peuple ; les chrétiens vivaient alors surtout en ville. À partir du IVe siècle, le développement de nouvelles communautés, notamment à la campagne, a conduit à l’apparition de nouvelles structures pour rendre présentes auprès des fidèles l’Église diocésaine : la paroisse était née, réunissant en elle la quasi-totalité de l’organisation sacramentelle, qu’elle développait au plus près des gens sous la conduite d’un pasteur propre : le curé. Toutefois cette structure peut aujourd’hui sembler inadéquate aux exigences de notre temps.

II. Les défis. Mais il ne faut pas se laisser décourager par la baisse des chiffres ; c’est plutôt l’activisme qui devrait nous rebuter : nous devons privilégier le travail de fond, au-delà des vues humaines immédiates, et nous souvenir que Dieu a toujours mis à l’épreuve son peuple pour que, à travers sa faiblesse, il renouvelle l’expérience de sa dépendance envers son Créateur et Rédempteur. Il faut également se souvenir que la remise en question du modèle paroissial n’est pas une idée nouvelle : déjà dans les années 1930, la question avait été posée de savoir s’il n’y avait pas dé­sormais des moyens de rassembler les fidèles de façon plus pertinente, notamment avec les mouvements d’Action catholique.
Dans l’idée de « communion missionnaire », chère au pape François, l’aspect missionnaire pousse, en effet, les fidèles à aller vers l’extérieur, vers les périphéries. Mais la dimension de communion, elle, ancre les fidèles dans leur appartenance à l’Église universelle, dont il n’est pas de meilleure image au plus près d’eux que la paroisse qui « rend l’Évangile proche du Peuple, par l’annonce de la foi et la célébration des sacrements », qui garde donc toute son actualité, comme le rappelle le Saint-Siège dans son instruction sur La conversion de la communauté paroissiale au service de la mission évangélisatrice de l’Église de juin 2020 (1). « Visiblement représentée par l’édifice du culte, elle est ainsi le signe de la présence permanente du Seigneur ressuscité au milieu de son peuple », qu’il faut réenvisager selon les défis propres à notre époque, en particulier le fait que « la mobilité accrue et la culture digitale ont repoussé les frontières de l’existence [et] transforment la perception de l’espace et du temps » (n. 8).
Toutefois, « la célébration du Sacrifice eucharistique [reste] l’acte missionnaire le plus efficace que la Communauté ecclésiale puisse proposer dans l’histoire du monde », ainsi que le rappelait saint Jean-Paul II (2). La paroisse entendue comme « communauté convoquée autour de la Table de la Parole et de l’Eucharistie » (n. 6) conserve donc toute sa pertinence évangélisatrice dans notre monde actuel.

III. Perspectives. C’est donc justement dans un renouveau eucharistique que doit se penser la nouvelle évangélisation, renouveau qui passe à la fois par la promotion d’une véritable catéchèse eucharistique et le respect de la dignité des célébrations contre certaines « déformations à la limite de ce qui est supportable », ainsi que le rappelle le pape François (3) ; dignité à laquelle les nouvelles générations, en quête d’une sacralité dont le monde semble ne plus vouloir, sont particulièrement sensibles. Le concile Vatican II enseigne que « aucune communauté chrétienne ne s’édifie si elle n’a pas sa racine et son centre dans la célébration de la très sainte Eucharistie » (4). C’est, en effet, dans le « Sacrement de l’amour » (5) que l’Église trouve « son centre vital » (6) et sa fertilité. Et puisque c’est l’amour qui fait ainsi vivre l’Église, elle tend naturellement à toucher tous ceux qui sont en situation de souffrance, comme le Christ allait à la rencontre des lépreux, des malades, des paralysés, de tous ceux qui vivaient en marge de la société. À travers leur quête de guérison, l’Église vient leur offrir des propositions de salut par son appareil sacramentel : baptême, réconciliation, onction des malades, exorcismes, etc.
Cette fertilité conduit à l’éclosion de nouvelles réalités ecclésiales, qui viennent un peu « mettre le bazar » au sein des structures traditionnelles, comme le pape François invite les jeunes à le faire (7) ! Et c’est un signe favorable : les charismes, entendus comme des dons spirituels pour le bien du prochain, sont nécessaires à l’édification de l’Église et à sa croissance. Accueillir le fruit de cette fertilité réclame à la fois une vraie disponibilité ecclésiale et un discernement éclairé en même temps qu’une pédagogie pastorale charitable. La « biodiversité » doit aussi se penser dans l’environnement de l’Église ! C’est tout l’enjeu de la transformation pastorale que nous sommes appelés à réaliser.
Ces nouvelles réalités ecclésiales rendent aussi un témoignage par leur vie de fraternité, au-delà de la simple solidarité, dans un monde fragmenté. Par leurs charismes propres, elles viennent au contact de tiers-lieux constitués en fonction d’affinités culturelles, professionnelles, etc., et permettent de pallier l’affaiblissement de la caractéristique territoriale des paroisses. Faire que ces réalités forment une Église une est tout l’enjeu de la communion.
Si la baisse des moyens humains et matériels de l’Église peut nous amener à reconsidérer nos possibilités d’action, il faut se garder du danger de l’effacement et du risque de voir l’impératif de la charité évangélique se diluer dans un humanisme horizontal. Les signes des temps nous poussent, au contraire, à redécouvrir la radicalité de l’Évangile et sa force provocatrice. Le christianisme doit donc rejeter toute mondanité et retrouver une posture critique et parfois de contestation. Contrairement à d’autres pays européens, la France n’admet pas sans débats houleux les projets de lois touchant la bioéthique. La mobilisation pour la défense du mariage en 2012 est encore un signe montrant que l’Église peut faire entendre la « joie de l’Évangile » dans le monde actuel.
Le renouveau ne peut reposer que sur la centralité du salut en Jésus-Christ, qui s’offre à nous par amour dans l’Eucharistie. C’est tout l’enjeu de la prédication kérygmatique, qui doit se déployer à tous les âges de la vie chrétienne. Son moyen privilégié est l’expérience de la miséricorde divine, à travers le sacrement de l’Eucharistie, et celui de la réconciliation, qui doivent s’accompagner de toute une dimension catéchétique et apologétique. Car la foi éclaire la raison, tant en ce qui concerne « les racines les plus profondes de l’être humain », que « tout le cours du monde créé » (8) et tous les enjeux de société. Nos contemporains sont en quête de sens et de transcendance, dans une société qui a perdu tout horizon eschatologique. Ceux qui se posent les bonnes questions ne trouvent pas de réponse satisfaisante. Le christianisme commence avec la découverte du tombeau vide et se présente ainsi à la fois comme une question sur le sens de la vie et la fin ultime de l’homme et la réponse parfaitement adéquate.
La conversion pastorale passe toutefois avant tout par la conversion des pasteurs ! Cette conversion procède de la prise de conscience de l’urgence de renouveler notre action pastorale et entrer dans une nouvelle intelligence de la mission. Pour qu’elle soit efficace, et véritablement inclusive, elle devra en premier lieu toucher la façon dont s’exercent les responsabilités dans l’Église. Il s’agit, pour les pasteurs, de relire les principes évangéliques et y puiser, comme une nouveauté qui y était en fait déjà présente, l’importance du travail en équipe et de la délégation des tâches, en particulier en encourageant de nouvelles formes de collaboration avec les laïcs en coresponsabilité. Ces derniers viendront, autour du curé, des autres prêtres de la paroisse et des consacrés, former le noyau de la fraternité paroissiale, unie dans la prière et partageant la même vision pastorale.

Mgr Dominique Rey
Evêque de Fréjus-Toulon

(1) Dans la suite les références sans autre mention renvoient à ce texte.
(2) Audience générale du 21 juin 2000.
(3) Traditionis custodes, 16 juillet 2021, citant Benoît XVI, Lettre aux évêques de l’Église catholique de rite romain, 7 juillet 2007.
(4) Décret Presbyterorum ordinis, n. 6, cité par Jean Paul II dans Ecclesia de Eucharistia, n. 32.
(5) Expression que Benoît XVI emprunte à saint Thomas d’Aquin : Somme théologique, IIIa pars, q. 73, a. 3.
(6) Benoît XVI, Sacramentum caritatis, 22 février 2007.
(7) Discours au Paraguay, 12 juillet 2015.
(8) François, Lumen fidei, 29 juin 2013, n. 11 et 28.

© LA NEF n°349 Juillet-Août 2022