Lectures Juillet-Août 2022

LES GRANDES HÉRÉSIES
L’Église dans la tourmente
HILAIRE BELLOC
Artège, 2022, 300 pages, 19,90 €

D’Hilaire Belloc, son grand ami Chesterton disait qu’il était français comme révolutionnaire et comme soldat, mais anglais comme traditionaliste et comme poète. La très opportune édition des Grandes hérésies par Artège, traduit pour la première fois en français par Benjamin Ferrando – qui signe aussi un riche prologue –, pousse à ajouter que, comme chrétien, Belloc était romain.

« L’Église dans la tourmente », dit le sous-titre. Cette tourmente a cinq noms successifs : l’hérésie arienne, « la grande et durable hérésie mahométane » (dont Belloc annonce la résurgence), l’attaque albigeoise, la Réforme et l’assaut moderne. L’hérésie détruit subrepticement l’édifice entier de la foi, prétendant n’en contester qu’une partie pour réformer l’ensemble. De l’intérieur ou du dehors, chacune a prétendu purifier les corruptions chrétiennes, mais chacune aurait mené l’Église à sa perte si elle s’était imposée. Sans négliger les spécificités, Belloc raconte et commente ce perpétuel combat de l’Église contre ses faux amis et ses authentiques ennemis. Pour le lecteur, le bonheur vient de la tranquille certitude qui unifie l’ouvrage : chaque fois que l’Église est sortie triomphante, parfois in extremis, le monde a évité le pire.

Quand il en vient à l’assaut moderne, Belloc a déjà offert bien des armes éternelles pour mener les combats temporels. Prophétique – nous sommes en 1938 –, il écrit : « Soit nous autres catholiques finirons par former un archipel marginal et persécuté, soit nous serrons les rangs pour faire résonner au terme du combat notre vieux cri de ralliement : Christus imperat ! » Nulle fanfaronnade dans cet appel, car Belloc envisage très sérieusement les deux termes de l’alternative. Pire que les autres et imprégnant déjà largement la société (en témoignent les nouveaux esclavages salarial ou étatique), l’assaut moderne a un mérite. En s’en prenant sans masque à tout ce qui fait notre civilisation, il rend plus clair le clivage entre les deux camps : « C’est l’Église catholique face à son ennemi mortel. » Cet ennemi est légion, mais l’Église ne mourra pas, elle qui a « une affinité certaine avec la résurrection ».

Henri Quantin

AU MATIN DE LA FRANCE CHRÉTIENNE
Les premiers évangélisateurs de la Gaule
FRANCINE BAY
Transmettre, 2021, 226 pages, 22 €

À l’heure où la France oublie ses racines chrétiennes, la parution de ce livre est particulièrement opportune. En se référant à des sources historiques irréfutables, son auteur met en évidence l’extraordinaire action de l’Esprit Saint qui, dès les premières années ayant suivi la Pentecôte, a dirigé des missionnaires vers la Gaule, alors partie de l’Empire romain, pour y poser les fondements du christianisme sur cette terre matrice de la nation française qui engendra la « fille aînée de l’Église ». La Provence, première étape de l’évangélisation, s’honore d’avoir accueilli les hôtes de Jésus à Béthanie (Lazare, Marthe et Marie-Madeleine) accompagnés de leurs amis (Maximin et Sidoine, l’aveugle guéri) et même de deux parentes de la Sainte Vierge, Marie Jacobé et Marie Salomé, également mères d’apôtres (Jacques le Mineur et Thaddée pour l’une, Jean et Jacques le Majeur pour l’autre). Le petit groupe avait été chassé de Palestine vers l’an 42. Lazare et Maximin furent les premiers évêques de Marseille et d’Aix-en-Provence. Dans leur sillage, d’autres missionnaires furent chargés d’annoncer le Christ dans toute la Gaule, de l’ouest au nord en passant par le centre et l’est. Certains faisaient partie des 72 disciples du Christ, d’autres étaient des compagnons de saint Paul. Qui sait aujourd’hui que le soldat saint Tropez s’était converti au contact de l’Apôtre qu’il était chargé de surveiller pendant sa détention à Rome ?

Trente-trois diocèses ont été fondés dans cette période lointaine par des évêques dont certains furent consacrés par saint Pierre. Ils accomplirent de nombreux miracles, mettant fin au culte des idoles en se servant notamment du bâton que le premier pape leur avait remis. Quelques-uns subirent le martyre, comme saint Denis, premier évêque de Paris, décapité à Montmartre, ou saint Pothin, envoyé par saint Polycarpe, évêque de Smyrne (Asie Mineure) pour fonder le diocèse de Lyon où il fut exécuté avec 48 autres chrétiens. Francine Bay évoque l’apostolat d’autres personnages présents dans l’Évangile, tel Zachée, le collecteur d’impôts de Jéricho, qui mourut ermite à Rocamadour. Elle relate aussi les circonstances de l’arrivée en Gaule de reliques illustres, comme celle de sainte Anne à Apt. Assorti de très belles illustrations, ce livre est une invitation à reprendre « l’épopée missionnaire » des premiers temps, comme y invite le cardinal Robert Sarah dans sa préface car, insiste-t-il, « l’avenir de la France et son rayonnement spirituel » en dépendent.

Annie Laurent

HISTOIRE DU MJCF
Une jeunesse missionnaire au service du Christ
CHARLOTTE NEIL ET DOMINIQUE VANINI
Contretemps, 2022, 260 pages, 28 €

Mouvement… Le mot est faible pour exprimer l’élan d’une jeunesse à la conquête des âmes en ces temps de désert spirituel et moral propres aux années 1970 : plus qu’un mouvement, le Mouvement de la Jeunesse catholique de France (MJCF) a été une épopée remplie de camps, de récollections, de retraites, de veillées imprégnées de joie et de sainteté pour apporter la bonne odeur du Christ. Faire des amis de Jésus pour la vie et transformer le monde à son image. Forger des âmes de feu pour rebâtir la chrétienté bafouée. Pour que France fille aînée de l’Église se relève.

Tout a commencé par un jeune. Plus exactement par l’intuition d’un gaillard de 20 ans, Christian Marquant, étudiant en histoire de l’Art, qui mesure l’ampleur de la crise de l’Église et du déclin sociétal. On ne va plus à la messe devant le spleen existentiel du prêtre qui navigue entre l’ouvrier et l’assistant social pendant que sévit la crise de la famille : Antoine le chanteur ânonne ses élucubrations libertaires tandis que Dutronc répète à l’envi qu’il aime les filles. Et Dieu dans tout ça ? Marquant et une poignée d’irréductibles lancent le mouvement placé sous l’invocation de saint Dominique pour ne pas laisser sur la route ces pauvres pécheurs assoiffés de l’amour de Dieu. Leur levier pour rayonner ? Les camps, articulés autour de quatre piliers : l’amitié, la prière, la formation et l’action. L’œuvre du Bon Dieu à l’état pur dans la joie de la mission. Bonheur d’évangéliser autour de veillées ou de banquets gargantuesques. Le mouvement, parce qu’humain, n’était pas parfait. Des ruptures causées par l’ADN liturgique selon le rite tridentin : choisir c’est renoncer. Et un regret subsiste quant à sa décision de rester dans l’obédience de Mgr Lefebvre au moment des sacres des évêques en 1988. Qu’importe, le MJCF aura été cette école de vie chrétienne d’une impressionnante fécondité pour l’Église avec des familles catholiques et des vocations religieuses par centaines. Humour, panache : l’aventure du MJCF se dévore comme le roman de la vraie vie, celle de saints au service des âmes.

Caroline de Fouquières

UN FORMIDABLE SYSTÈME RÉPRESSIF
GREGOIRE FINIDORI
Dominique Martin Morin, 2022, 502 pages, 28,50 €

Commencée le 1er novembre 1954 par quelques attaques sporadiques dans le Constantinois, achevée en théorie le 19 mars 1962 par l’entrée en vigueur du cessez-le-feu résultant des accords d’Évian conclus entre le gouvernement français et le FLN, mais violé une semaine plus tard, ce cessez-le-feu, par la fusillade de la rue d’Isly et, le 5 juillet suivant, à Oran, par l’enlèvement et le massacre de centaines d’Européens, la guerre d’Algérie fut de bout en bout une douloureuse épreuve. Et qui allait tourner au tragique à mesure que se dévoilèrent, aux mois de septembre puis de novembre 1959, les intentions véritables de De Gaulle concernant ce territoire. Car à la stupeur devant des paroles qui semblaient enclencher un processus d’abandon succéda bientôt la fureur algéroise causée par le rappel en métropole du général Massu – fureur à l’origine de la meurtrière affaire des barricades du 24 janvier 1960. Postérieurement, il y eut aussi, épisodes notables, le putsch (Challe, Zeller, Jouhaud, rejoints par Salan) du 22 avril 1961 et son échec, les attentats contre de Gaulle de Pont-sur-Seine, le 8 septembre 1961, et du Petit-Clamart, le 22 août 1962, dirigés par le lieutenant-colonel Bastien-Thiry.

Si le dossier, dans la triste péripétie des barricades, avait été transmis pour jugement au tribunal permanent des forces armées de Paris, lequel acquitta tous les accusés présents en salle d’audience, lors des procès consécutifs au putsch des généraux, et afin d’éviter une « indulgence scandaleuse », on eut recours à des juridictions d’exception (Haut Tribunal militaire et « petit » tribunal militaire), c’est-à-dire créées pour la circonstance. Ainsi Challe et Zeller, mais pas Jouhaud et Salan entrés dans la clandestinité, ayant comparu le 29 mai 1961 devant le Haut Tribunal, quinze ans de détention criminelle frappèrent l’un et l’autre. Puis Jouhaud arrêté et jugé à son tour, il serait condamné le 13 avril 1962 à la peine de mort… peu avant la capture de Salan condamné, lui, le 23 mai, à la détention criminelle à perpétuité. Retouche : Jouhaud gracié après 229 jours de cellule aux prisons de Fresnes, le 7 décembre 1962 aura lieu son transfert à Tulle en compagnie du général Salan.

Réglé le cas des « grands chefs séditieux » et supprimé le Haut Tribunal militaire, prit la suite une Cour militaire de justice qui devait envoyer au poteau d’exécution, le 6 juillet 1962, un brillant officier sorti du rang, Roger Degueldre, meneur des commandos Delta à Alger et, le 11 mars 1963, Jean Bastien-Thiry, tous deux fusillés au fort d’Ivry-sur-Seine. Quant aux prisonniers, soit à Tulle où l’on envoya neuf généraux et encore, par exemple, le commandant Denoix de Saint Marc et le colonel de Sèze, soit, plusieurs centaines, à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré, ils eurent le temps de méditer sur les duretés de la raison d’État.

Parce que tenant le maintien de l’Algérie française pour une « ruineuse utopie », et excluant « du domaine des possibilités toute idée d’assimilation des Musulmans au peuple français », de Gaulle avait cédé, hélas, à toutes les exigences du FLN. Une faute assurément. Mais cette histoire nous vaut aujourd’hui, remercions-en l’auteur, conseiller honoraire à la Cour de cassation, un ouvrage d’une qualité exceptionnelle.

Michel Toda

IDOLÂTRIE OU LIBERTÉ
Le défi de l’Église au XXIe siècle
WILLIAM CAVANAUGH
Salvator, 2022, 198 pages, 20 €

Théologien laïc américain de 59 ans, professeur à l’Université DePaul à Chicago, William Cavanaugh a développé une pensée originale, à l’écart des courants tant « progressistes » que « conservateurs », concentrée « sur le développement de théologies politiques capables de refléter et de soutenir des espaces et des pratiques alternatives à la violence de l’État-nation et à l’exploitation du marché ». Son dernier livre est une nouvelle compilation d’articles et de textes de conférence. On peut y trouver comme fil conducteur la dénonciation de l’idolâtrie, c’est-à-dire l’adoration non de Dieu mais de réalités créées. En effet, ce concept biblique lui paraît plus adapté que ceux de la « sécularisation » ou du « désenchantement » pour décrire le monde contemporain. Le titre de l’un de ses précédents livres exprimait déjà cette « migration du sacré » de l’Église vers l’État et le marché. Chesterton écrivait : « Depuis que les hommes ne croient plus en Dieu, ce n’est pas qu’ils ne croient plus en rien, c’est qu’ils sont prêts à croire en tout » – et à adorer des faux dieux. L’idolâtrie est sous-jacente au consumérisme (Marx parlait de « fétichisme de la marchandise » !) dont Amazon serait le symbole, à un nationalisme vicieux, ou à la conception d’une « liberté négative », égocentrée. Dans sa conclusion, Cavanaugh appelle comme Benoît XVI l’Église à se considérer comme une « minorité créative », sans être pour autant idolâtre d’elle-même.

Denis Sureau

LE XIXe PARALLÈLE
Flâneries littéraires hors des sentiers battus
GREGOIRE CELIER
Via Romana, 2022, 346 pages, 24 €

En 4e de couverture, l’éditeur nous dit que Grégoire Celier est « docteur en philosophie » et qu’il « s’est spécialisé depuis plus de quarante ans dans l’histoire de l’antilibéralisme catholique et du nationalisme français au XIXe siècle ». Il aurait dû ajouter que Grégoire Celier est prêtre. On comprend bien que l’abbé Celier, dans ce livre, n’engage pas la Fraternité Saint-Pie X dont il est membre, et que ce n’est pas sa qualité de prêtre qui a guidé le choix des onze auteurs qu’il nous présente ici. L’abbé Celier, dans tous ses écrits et de façon habituelle, aime le paradoxe, le contrepied, voire la provocation. Ici, dans le chapitre qu’il consacre à Édouard Drumont, il évoque principalement non la question juive, mais l’influence que la doctrine sociale de l’Église a eue sur les autres combats de Drumont. Dans un des deux chapitres consacrés à Maurras, il s’oppose à la vulgate qui veut que la condamnation de l’Action française par Pie XI fût essentiellement politique et il reprend, pour l’essentiel, l’analyse de l’abbé Berto qui a exposé en 1968 les fondements doctrinaux de cette condamnation. C’est par un coup de force que Céline, né en 1894, figure dans ce recueil consacré à des auteurs du XIXe siècle, mais l’abbé Celier voulait analyser les trois célèbres pamphlets de Céline (toujours interdits de publication aujourd’hui).

Yves Chiron

CHANGER
Guide pratique et passionné pour des paroisses transformées
Un collectif de prêtres et de laïcs
Préface de Mgr Matthieu Rougé, Éditions Emmanuel, 2021, 260 pages, 18 €

Des membres de plusieurs paroisses et communautés de France partagent leurs expériences et leurs idées pour la transformation pastorale de leurs paroisses. Ce livre se veut un outil avec des exercices pratiques et des lettres de mission. En cela il n’évoque pas l’histoire de l’Église ou des paroisses (pas d’appui sur la piété populaire par exemple).

Cet ouvrage en deux parties présente l’évolution, par étapes, de la proximité à la communauté ecclésiale. Les références aux méthodes du pasteur Rick Warren, à certains concepts, à la psychologie (avec la communication non verbale, les tests pour la connaissance de soi : ennéagramme, MBTI, etc.), semblent se rapprocher souvent du management en entreprise. Un essai qui apporte les réflexions et pistes des auteurs, en lien avec le synode, sur la communication en paroisse et à l’extérieur.

Marie-Thérèse Duffau

QU’EST-CE QU’UN FASCISTE ?
Et autres profils politiques
JEAN-NOËL DUMONT
Le Centurion, 2022, 166 pages, 14 €

Les convictions politiques de chacun, c’est l’intuition de l’auteur, relèvent avant tout de son « profil », de son « style », de l’inné plus que de l’acquis. Cinq de ces postures sont présentées, trois « politiques », et deux qui rejettent la politique. Est socialiste, tout d’abord, celui qui considère que l’homme ne peut accomplir son humanité qu’à travers la société. Rousseau soutient ainsi que c’est à cette dernière de le libérer de l’aliénation par sa libre soumission à la volonté générale. Ce qui ne va pas sans contradictions, surtout quand il imagine une religion civile obligatoire, sous peine de mort sociale, ou de mort « tout court ». Le libéral ne voit pour sa part dans la société qu’une machine dont l’individu est l’élément de base, uniquement mû par la recherche de son intérêt personnel. Elle est espace de liberté individuelle, de commerce, de discussion. Au risque d’un individualisme que seule la religion peut réfréner. Le conservateur, ensuite, estime, à l’instar de Burke, que la société repose sur des équilibres naturels, antérieurs à toute volonté humaine, et qu’il importe de respecter parce qu’ils sont infiniment complexes. Il met l‘accent, plus que sur les droits, sur les devoirs, d’autant plus impératifs qu’ils s’appliquent aux cercles les plus proches de l’homme, à commencer par sa famille. La religion est ici considérée comme civilisation qu’il faut respecter en tant qu’instrument d’ordre et de cohésion. L’anarchiste – première figure qui rejette la politique – refuse comme aliénatrice toute forme d’autorité étatique, mais aussi religieuse, préférant la transgression (la fête) et les communautés autogérées. Le fasciste, enfin, rêve d’un chef charismatique et aimé, qui canaliserait l’énergie vitale des masses déracinées, et à ce titre il rejette la religion qui conteste son projet de façonner un homme nouveau. On se retrouvera avec plaisir dans l’un ou l’autre de ces profils, parfois dans plusieurs… Un livre essentiel.

Jean-François Chemain

LES OUBLIÉS DU TEMPLE
DOMINIQUE SABOURDIN-PERRIN
Salvator, 2022, 528 pages, 25 €

Le Temple a été, on le sait, la prison où fut enfermée la famille royale sous la Révolution. Les derniers vestiges en ont disparu en 2011. Dominique Sabourdin-Perrin, auteur de biographies consacrées aux sœurs de Louis XVI, consacre un livre érudit et très structuré à ce lieu où se sont déroulés tant de drames. Dans une première partie, elle évoque les membres de la famille royale qui y furent incarcérés : les enfants royaux Louis-Charles et Marie-Thérèse, Madame Élisabeth, sœur du roi, et nombre des fidèles du roi et de sa famille. Sont évoqués aussi ceux qui ont visité le roi dans sa prison : ses trois avocats et l’abbé Edgeworth de Firmont qui l’a assisté jusqu’à sa dernière heure. Dans une deuxième partie sont présentés de façon exhaustive les autorités en charge de la prison – en premier lieu la Commune de Paris – les gardiens et les différents personnels affectés à cet endroit sinistre. Le talent de l’auteur est de savoir utiliser de nombreuses sources (dont des documents d’archives inédits) pour faire dans un style limpide un récit rigoureux.

Yves Chiron

DE LA PRÉDESTINATION À LA RÉPROBATION
Un débat inachevé entre Jacques Maritain et Jean-Hervé Nicolas
Fr. PHILIPPE-MARIE MARGELIDON o.p.
Téqui, coll. Croire et Savoir (69), 2022, 152 pages, 20 €

Le Père Margelidon a l’art de ressusciter des anciens débats qui, par-delà leur technicité, n’ont rien perdu de leur pertinence. Comment concilier « discrimination » de Dieu, qui choisit de fait les élus, et universalité de son vouloir salutaire, qui implique qu’une grâce « suffisante » soit prodiguée à tous ? La réponse de l’école thomiste représentée par Banez (+ 1604) et Garrigou-Lagrange (+ 1964), et adoptée initialement par Maritain (+ 1973) et J.-H. Nicolas (+ 2001) qui s’en affranchiront progressivement, c’est que les élus sont sauvés par la grâce – et ceci relève d’une volonté divine positive – et que les damnés sont perdus par leur faute – et cela tient à une permission divine négative. Il n’est pas question d’entrer ici dans la complexité des positions respectives. Relevons cependant un triple intérêt à cette entreprise du P. Margelidon. D’abord, elle remet à l’ordre du jour la question de la prédestination « qui est la forme la plus élevée de la providence » ; ensuite, elle pose la question de l’émancipation à l’égard d’une « École » thomiste de stricte obédience pour progresser dans une fidélité principielle au Docteur angélique ; enfin, elle met en valeur l’utilité d’une archéologie du savoir théologique pour ne pas repartir à zéro dans la recherche contemporaine.

Abbé Christian Gouyaud

LA CONSPIRATION IMAGINAIRE
HERVÉ MADELIN
L’Harmattan, 2022, 246 pages, 25 €

Trois mois suffirent, dans l’été de 1789, à provoquer l’effondrement de l’Ancien Régime. Trois mois qui partent du 5 mai (ouverture des états généraux), prennent leur élan le 20 juin (serment du Jeu de Paume), connaissent leur zénith avec la nuit du 4 août (fin des privilèges). Trop nécessaire, cette Révolution, pour l’éviter ? Certes, mieux aurait valu (nous pensons au roi) la vouloir et la faire soi-même. Mais tellement incapable, le pauvre Louis XVI, tellement irrésolu. Si bien que dès septembre, victime de son aveugle faiblesse et sa couronne réduite à une « ombre vaine », il se retrouva sans prérogative, sans défense… et toujours sans volonté. Bref, sous l’entière dépendance de l’Assemblée Constituante – dont le règne néfaste, celui « de l’imprévoyance, de la peur, des phrases et de la niaiserie », selon Taine, durerait jusqu’à l’automne de 1791. Après quoi, l’année 1792 vit le château des Tuileries pris d’assaut et la royauté abolie ; l’année 1793, au milieu d’un tas d’évènements, vit l’exécution de l’ex-monarque, la Terreur mise à l’ordre du jour et la loi des suspects ; l’année 1794 vit la loi sur le Tribunal révolutionnaire (créé le 10 mars 1793) qui allait inaugurer la Grande Terreur.

Or, au cours du XVIIe siècle, une nombreuse et bientôt prestigieuse famille de l’élite marchande avait hissé sa ville, Saint-Malo, au rang de premier port d’armement français : les Magon, divisés en deux branches, aînée et cadette, chacune subdivisée en plusieurs rameaux – vaste parentèle donc, aux membres se distinguant par des noms de terres, qu’enrichissent beaucoup la banque et le négoce international, mais sans émousser des mœurs habituellement austères et laborieuses. D’ailleurs entretenues, malgré quelques alliances avec d’anciens lignages bretons, par une fréquente endogamie (tournée vers leur groupe malouin des « sociétés de navires ») qui se prolongera jusqu’à la veille de la Révolution. Où pas mal, prétendus conspirateurs, furent emprisonnés et guillotinés.

Cela a fourni au professeur Madelin le sujet d’un livre très au-dessus de la petite histoire.

Michel Toda

Romans à signaler

LE LION D’ALEXANDRIE
JEAN-PHILIPPE FABRE
Cerf, 2022, 406 pages, 22 €

Adapter des événements historiques sous forme de roman n’est pas aisé et le résultat est souvent décevant, l’art du romancier n’étant pas celui de l’historien. Eh ! bien nous avons ici une heureuse surprise, l’auteur, prêtre, bibliste renommé et professeur d’Écriture Sainte aux Bernardins maîtrisant parfaitement son sujet, nous offre une histoire bien charpentée et d’autant plus crédible qu’elle colle au plus près de tout ce que l’on sait de l’Église primitive des Apôtres.

L’histoire suit la vie de l’évangéliste Marc depuis le soir du Jeudi Saint où il s’enfuit dans la vallée du Cédron lorsque le Christ est arrêté jusqu’à son départ de Rome, en 64, après le martyr de Pierre, d’où il s’embarque pour Alexandrie, lieu de son martyre. Son fil directeur est la façon dont Marc est conduit à écrire son Évangile, le premier des quatre. L’intérêt du roman est de nous offrir une description soigneuse et crédible de l’atmosphère qui régnait dans ces premières communautés chrétiennes, et de donner à ses personnages une réelle épaisseur humaine nous permettant de mieux comprendre qui devaient être Pierre, Paul, Barnabé, Timothée, etc. Sous un aspect ludique, le lecteur apprend beaucoup de choses et se pénètre de l’esprit de ces premiers chrétiens tout en ayant à tout moment les références bibliques sur lesquels l’auteur appuie son récit. Une réussite.

Christophe Geffroy

LE FRISSON
ROSS MACDONALD
Gallmeister, coll. Totem, 2022, 360 pages, 10,60 €

Ross Macdonald (1915-1983), l’un des plus célèbres écrivains de romans noirs américains, a créé le détective privé Lew Archer, incarné sur grand écran par Paul Newman dans Détective privé (1966) et La toile d’araignée (1975). Gallmeister entreprend depuis quelques années de rééditer dans sa collection de poche « Totem » les principaux titres de Macdonald. Le frisson (1963) entraîne Lew Archer à enquêter sur le meurtre d’une universitaire, dans la région de Los Angeles, en lien avec la mission qu’Alex Kincaid lui a confiée : retrouver sa femme Dolly qui a disparu juste après leur mariage. L’analyse psychologique des personnages n’est pas le fort de notre auteur, il a en revanche une imagination débordante pour nous offrir un scénario des plus improbable et sur un rythme soutenu qui fait qu’on ne lâche plus ce roman une fois commencé. Ajoutons que la touche rétro des années 1960 (qui nous garantit notamment l’absence de grossièreté et de scènes déplacées) participe au charme de cette lecture de pure détente.

Christophe Geffroy

LA DETTE SOUVERAINE
MARIE-HÉLÈNE VERDIER
L’Harmattan, 2021, 202 pages, 20 €

Ils furent jeunes, étudiants, se sont aimés, se sont trompés, quittés, retrouvés. Les générations se succèdent, le temps fait son œuvre. Avec le jardin du Luxembourg comme Éden, ce petit groupe germanopratin traverse presque impassible, trop occupé par lui-même, les soubresauts de ces dernières décennies. Nous les suivons, un peu voyeurs, à travers leur correspondance suintante d’un narcissisme nonchalant.

La dette souveraine est celle de leurs vies, de leurs actes, de leurs responsabilités et elle saura fort bien se rappeler par des échéances aussi inopinées qu’impitoyables.

Un roman aussi prenant qu’irritant !

Anne-Françoise Thès

© LA NEF n°349 Juillet-Août 2022