Première femme à occuper la présidence du Conseil italien, Giorgia Meloni s’est érigée en porte-parole de la famille traditionnelle et de la défense de la nation. Mais la dirigeante romaine, qui a composé un gouvernement subtilement équilibré, va devoir compter sur ses alliés pour peser à Bruxelles.
La victoire éclatante de la coalition des droites emmenée par Giorgia Meloni et son parti Fratelli d’Italia fin septembre était attendue mais elle marque une véritable rupture dans l’histoire de l’Italie et donc de l’Europe. Certes, Giorgia Meloni a été la ministre de la Jeunesse de Silvio Berlusconi de 2008 à 2011. Certes, Matteo Salvini est sorti affaibli de son passage à l’Intérieur dans le gouvernement de Giuseppe Conte et surtout de son soutien au gouvernement Draghi. Et certes, Silvio Berlusconi n’est pas un inconnu à Bruxelles. Toutefois, la perspective de voir la nouvelle égérie des conservateurs représenter l’Italie au Conseil européen est perçue comme une menace existentielle par la plupart des partis libéraux et la gauche européenne. La droite nationaliste n’a jamais dirigé un gouvernement depuis la fondation de la République italienne et l’Italie est la seconde industrie du continent et la troisième économie de l’Union européenne. Membre fondateur de la CEE, c’est à Rome qu’a été signé le traité de 1957 instituant le Marché commun. Il est donc impossible de faire sans elle.
La défense de la famille chrétienne
« Je veux croire que la ligne qui a été construite par Mario Draghi a quelque chose à court terme d’irréversible dans la coopération à l’Europe », espérait Emmanuel Macron, le 12 septembre. L’Élysée avait attendu la formation du gouvernement Draghi pour signer un traité franco-italien au palais du Quirinal en novembre 2021. Il lui sera difficile de revenir dessus car le volume d’échange franco-italien augmente tous les ans pour atteindre le chiffre record d’environ 92 milliards d’euros en 2021 contre 85 milliards en 2019, d’après Edoardo Secchi pour la revue Conflits de juillet dernier. Laurent Marcangeli, chef du groupe parlementaire Horizons à l’Assemblée nationale, semblait au contraire céder à la panique au lendemain des élections italiennes : « Comment survivre à vingt-cinq Orban ? Avec ce qui se passe en Europe, les digues vont sauter… Et l’eau, on ne l’arrête pas »…
Il est vrai que Giorgia Meloni n’a pas l’habitude de mâcher ses mots. « Oui aux familles naturelles, non au lobby LGBT ! Oui à l’identité sexuelle, non à l’idéologie du genre ! Oui à la culture de la vie, non à l’abîme de la mort ! » a-t-elle martelé pendant sa campagne. C’est d’ailleurs avec son slogan fétiche, « Je suis Giorgia. Je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis chrétienne. Vous ne me l’enlèverez pas », que Giorgia Meloni est devenue si populaire.
Pedro Sanchez, Olaf Scholz et Emmanuel Macron craignent pour leurs programmes de promotions des droits LGBT, pour l’accès à l’avortement et le sort des migrants. « Nous serons très vigilants sur le respect des valeurs et des règles de l’État de droit », a prévenu dans le journal La Repubblica du 7 octobre, Laurence Boone, ministre française des Affaires européennes. « L’UE a déjà démontré sa vigilance à l’égard d’autres pays comme la Hongrie et la Pologne », a-t-elle cru bon de préciser. La Meloni, comme l’appellent familièrement les Italiens, est aussitôt montée au créneau, exigeant de Paris un démenti. Celle qui dispose de la majorité absolue à la Chambre des députés et au Sénat, a immédiatement répliqué sur sa page Facebook et déploré « une menace inacceptable d’ingérence contre un État souverain membre de l’Union européenne ». Elle s’est dite « confiante dans le fait que le gouvernement français démentira immédiatement ces déclarations ». Pour Giorgia Meloni, « l’ère des gouvernements dirigés par le Parti Démocrate qui demandent protection à l’étranger est terminée ». Le démenti de Paris n’est jamais arrivé…
Ces réactions parisiennes contrastent avec celles reçues depuis Varsovie et Budapest. « Grande victoire ! Félicitations ! », s’est exclamé M. Morawiecki, le Premier ministre polonais. « Bravo, Giorgia ! Une victoire bien méritée. Félicitations ! » s’est réjoui Viktor Orban. Désormais « des millions d’Européens placent leurs espoirs dans l’Italie » a reconnu Santiago Abascal. Pour le chef du parti nationaliste espagnol Vox, la dirigeante romaine « a montré la voie vers une Europe fière et libre de nations souveraines ». Les législatives espagnoles approchent…
Sur ces questions de société, Varsovie et Budapest peuvent désormais compter sur leur collègue italienne à Bruxelles. Toutes les menaces et sanctions prévues par la Commission d’Ursula von der Leyen sont de facto suspendues. « Nous avons plus que jamais besoin d’amis partageant une vision et une approche communes de l’Europe », confirme le député hongrois Balazs Orban. La future présidente du Conseil italien entend bien former une coalition des pays conservateurs de l’Union européenne : « Nous sommes prêts à transformer nos idées en politiques comme le font déjà nos amis tchèques et polonais et comme le feront bientôt les Suédois, les Lettons et les Espagnols de Vox. » Favorable à une Europe confédérale, Meloni n’a aucun complexe vis-à-vis des instances supranationales de Bruxelles et elle entend redonner aux États membres leur place dans l’élaboration de la politique européenne.
Une géopolitique plutôt classique pour l’Italie
Les États-Unis et le Royaume-Uni se sont bien gardés de suivre les réactions de Paris et Madrid et ont respecté le choix démocratique des Italiens. La Maison-Blanche a rappelé que l’Italie est un « allié vital, une démocratie forte et un partenaire apprécié ». À Londres, le gouvernement de Liz Truss a conforté le statut de son « proche allié » italien. Tandis que le soutien à l’Ukraine se fait de plus en plus difficile en Europe, Washington et Londres veulent pouvoir compter sur l’Italie. Celle-ci constitue le flanc sud de l’OTAN et le siège de la flotte américaine en Méditerranée. Or Giorgia Meloni est fidèle à l’alliance atlantique. Bien sûr, elle est surtout proche de la droite américaine. Avec Marion Maréchal et Nigel Farage, elle avait été invitée à la conférence des conservateurs américains (CPAC). Elle a ensuite participé au National Prayer Breakfast, à Washington, en présence de Donald Trump.
Forte de ce soutien transatlantique, Giorgia Meloni n’hésite pas à malmener Paris et Berlin dans ses discours, espérant redonner à l’Italie la place qui lui revient dans le concert européen. Ses positions sans concession en faveur de l’Ukraine lui valent par ailleurs la sympathie de beaucoup de pays d’Europe centrale et baltique, une autre manière de contourner le verrou franco-allemand.
Salvini et Berlusconi, plus ambigus dans leurs rapports avec Moscou, sont des alliés qui pourraient nuancer cette ligne diplomatique. Mais sur ce sujet international, la ligne établie par Mario Draghi et Giuseppe Conte devrait se poursuivre : soutien à l’Ukraine sans hystérie anti-russe. L’Italie de Meloni devrait poursuivre ses efforts pour un plan de paix russo-ukrainien, vital pour son industrie gourmande en énergie. Pour le reste, Meloni s’inscrit dans les fondamentaux de la géopolitique italienne : rechercher une profondeur stratégique vers les Balkans et constituer un rempart face aux menaces venues de la Méditerranée.
Le mur de l’argent
Cette politique a un coût et les finances italiennes sont structurellement déficitaires depuis que Rome est entrée dans la zone euro. Paradoxalement la sortie de la monnaie unique reste taboue, comme si un retour à la lire était désormais trop dangereux. Le petit parti « Italexit » dépasse tout juste 1,9 % des voix. « La monnaie unique a fini par créer un sentiment d’appartenance, en définissant des limites nettes à toute initiative sérieuse de prise du pouvoir dans la deuxième puissance industrielle européenne », note Gilles Gressani, directeur de la revue Le Grand Continent, dans Le Monde. Surtout la Banque centrale européenne de Francfort peut désormais acheter de la dette italienne en cas de flambée spéculative et le système bancaire italien s’est assaini depuis quinze ans. Le niveau de la charge de la dette devrait être à 3,5 % du PIB en 2022 mais il était à 6 % en 2007. Le chiffre pourrait évoluer car les taux d’emprunt italiens à dix ans dépassent aujourd’hui les 4 % et ils étaient à 1,3 % en janvier, avant l’intervention militaire russe en Ukraine. Giorgia Meloni a déclaré que Giancarlo Giorgetti, un responsable de la Ligue, actuellement ministre du Développement économique, « serait un excellent ministre de l’économie ». Saura-t-il rassurer les marchés et la commission de Bruxelles ?
Michel Chevillé
Giorgia Meloni : « Mon itinéraire »
À 45 ans, il est rare d’écrire ses mémoires ! Giorgia Meloni s’est prêtée à l’exercice pour expliquer simplement ce qu’elle est et ce en quoi elle croit. Résultat ? Un livre en effet simple et direct qui respire une réelle sincérité. Elle se décrit sans forfanterie comme une femme qui essaie de conjuguer plusieurs vies, révélant un bel amour de mère pour sa fille. Mais c’est bien la politique qui la happe très jeune (député à 29 ans, ministre à 31) et qui est la passion de sa vie. Elle explique ses engagements et ses convictions, son christianisme, son amour de l’Italie qui l’ont conduite à créer en 2012 le parti Fratelli d’Italia. Un livre utile pour sortir des clichés et des idées simplistes. – C.G.
- Giorgia Meloni, Mon itinéraire. Autobiographie d’une leader politique controversée, préface de Marie d’Armagnac, Chora,
2022, 392 pages, 19,90 €.
© LA NEF n°352 Novembre 2022