La crise démographique touchant toute l’Europe est malheureusement un phénomène actuel tendant à s’aggraver. L’Asie orientale est marquée par une crise démographique encore plus forte qui se traduit par un vieillissement de la population couplé à une natalité extrêmement basse.
Le Japon incarne aux yeux de l’opinion publique française cette crise démographique et perd en effet de la population depuis 2005 sans que cela soit dû à de l’émigration. Cette crise démographique se voit également à Taiwan ou encore en République populaire de Chine (où elle a été liée à une politique très liberticide de contrôle des naissances menée par le Parti communiste chinois).
Cependant, le pays où cette crise démographique s’observe de la manière la plus radicale est la Corée du Sud. Analyser plus en détail la crise démographique en Corée du Sud permet donc de comprendre les raisons de la crise démographique en Asie orientale. Quelques chiffres suffisent à montrer l’ampleur du désastre dans le pays du matin calme. Depuis trois ans le taux de fécondité est inférieur à 1 enfant par femme (le taux de renouvellement de la population étant de 2,1 enfants par femme). En 2021, il y a eu trois fois moins de naissances en Corée qu’en France pour une population inférieure d’un tiers et les personnes de plus de 65 ans y représentent 16,74 % de la population contre 13,53 % en 2016. Le vieillissement est d’autant plus rapide qu’en 1960 la natalité était supérieure à 6 enfants par femme et que la chute a été très brusque (la natalité est passée en dessous de 2 enfants par femme en 1984).
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce vieillissement si radical et cet effondrement de la natalité. La Corée du Sud a d’abord une forte densité pouvant jouer sur l’accès au logement. Ensuite et surtout, la Corée du Sud est une société qui unit un système social très conservateur lié au confucianisme et une économie très moderne. Les femmes ayant des enfants ne peuvent donc pas conjuguer le travail et la maternité car elles sont vues comme de mauvaises mères dans le modèle confucéen, d’autant que les journées de travail de la Corée du Sud sont très longues. Mais dans le système économique, les femmes doivent travailler. Le capitalisme détruit donc les anciennes structures au niveau social mais elles restent en place au niveau moral et la double contrainte de ce système à la fois archaïque et futuriste pousse à la dénatalité.
En outre, le système à la fois très conservateur et très libéral économiquement de la Corée du Sud produit une autre double contrainte. Les gens attendent de se marier pour avoir un enfant et ne peuvent pas avoir une situation stable pour se marier avant 30 ans. Un système extrêmement élitiste au niveau scolaire pousse les couples à ne pas avoir d’enfant dans une logique où il faut faire réussir son enfant à tout prix. Enfin, un tel système fait que les gens sont vus comme étant adultes de plus en plus tard alors que l’horloge biologique des femmes ne change pas. Dans ce contexte, les personnes âgées sont passées d’un statut très respecté dans la société confucéenne en vivant avec leur famille en tenant un rôle de patriarche à un statut de solitude et de pauvreté. La k-pop et l’image d’une Corée du Sud start-up nation masquent un pays que le vieillissement menace de ruiner et de scléroser.
Deux choix possibles
Deux choix s’offrent au gouvernement sud-coréen : le premier serait d’avoir recours à l’immigration. Celle-ci est devenue importante avec près de deux millions d’étrangers résidant en Corée du Sud. Mais il s’agit essentiellement de Coréens au sens ethnique revenant des ex-républiques d’URSS ou venant de Chine. Une immigration de peuplement non coréenne importante est peu envisageable car celle-ci n’est même pas pensable culturellement en Corée.
L’autre option serait de permettre de conjuguer maternité et travail tout en modifiant la société pour la rendre moins élitiste, ce qui favoriserait la capacité des couples à avoir des enfants. Cependant, cela nécessiterait une nette modification de la société sud-coréenne dont on peut se demander si elle est possible.
La crise démographique pèse déjà sur la société sud-coréenne. Peut-être un des symptômes les plus curieux se voit dans les séries coréennes fantasmant sur une réunification avec la Corée du Nord (sur le modèle de la réunification des deux Allemagne), cette dernière étant vue comme une image d’une Corée traditionnelle au moins au niveau de la natalité et des relations de couple. Cependant, la question reste ouverte : une société peut-elle survivre avec un taux de natalité inférieur à un enfant par femme ? Et que restera-t-il de la Corée du Sud dans 40 ans ? Des écoles vides, ruines témoignant de quelque chose qui a existé et des EHPAD géants gérés par des robots ?
Rainer Leonhard
© LA NEF n°353 Décembre 2022