L’Église et le respect dû aux animaux

La proposition de loi d’Aymeric Caron visant à interdire la corrida a occupé une place importante dans les débats publics jusqu’au 24 novembre dernier. Le député a choisi de retirer son texte devant l’impossibilité de le mettre au vote à temps. Avant la corrida, l’opinion des Français a été mobilisée sur la chasse à courre ou à tir, le gavage, l’abattage industriel, etc. des discussions alimentées par un courant antispéciste qui progresse et veut placer à égalité l’homme et la bête. Dans une société qui perd toute notion de transcendance l’animal prend une place disproportionnée. Le curé d’Ars avait averti : « Laissez une paroisse vingt ans sans prêtre : on y adorera les bêtes. » Il ne faudrait pas pour autant rejeter la question animale d’un revers de la main : elle dit quelque chose de l’homme. Du professionnel qui vit des animaux au particulier qui chasse ou élève ses bêtes pour sa consommation personnelle ou son divertissement, la qualité des hommes se mesure aussi au respect qu’ils portent aux bêtes. Cette attitude qui est nécessaire ne doit pas être confondue avec le respect humain suscité par la dignité intrinsèque de chaque être humain « créé à l’image de Dieu » mais bien par le respect que méritent la création et donc chaque créature.

Le Catéchisme de l’Église catholique rappelle à son paragraphe 2415 que le respect dû aux animaux s’inscrit dans le cadre du septième commandement « tu ne voleras pas » qui prévoit la destination universelle des biens : le pauvre qui meurt de faim et prend une pomme dans un étalage pour ne pas succomber ne vole pas, la propriété de cette pomme lui est transférée face à la nécessité. Détruire un bien qui peut être nécessaire à une autre personne revient ainsi à voler cette personne. Il en est ainsi de la gestion des animaux. « Les animaux, comme les plantes et les êtres inanimés, sont naturellement destinés au bien commun de l’humanité passée, présente et future (cf. Gn 1, 28-31) » précise le Catéchisme. Maltraiter un animal au service de l’homme ou gaspiller de la viande est une injustice commise à l’égard de la bête mais plus encore à l’égard de celui qui aurait pu en avoir l’usage ou le besoin. Le Christ lui-même nous dit dans l’Évangile selon saint Matthieu que Dieu a de la sollicitude pour les oiseaux : « ils ne sèment ni ne moissonnent, et ils n’amassent rien dans des greniers ; et votre Père céleste les nourrit. » Ils sont d’ailleurs cités dans l’alliance que Dieu établit avec l’homme après qu’il soit sorti de l’Arche (Gn 9).

Mais concrètement comment le respect des animaux doit-il se manifester, s’il diffère de celui dont chacun doit témoigner pour son prochain ? Le lien posé par Dieu dans la Genèse entre l’homme et l’animal est un rapport de subordination « dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout animal qui se meut sur la terre » (Gn 1, 28). C’est à l’homme que Dieu demande de nommer les animaux (Gn 2, 20). Le respect des bêtes passe donc d’abord par la soumission à la volonté de Dieu et la domination de l’homme sur l’animal. Reste ensuite à en faire un usage conforme à la destination de la Création : le salut des âmes et la gloire de Dieu. La domination ne donne pas tous les droits, le Catéchisme donne ici encore des indications précieuses : « Il est contraire à la dignité humaine de faire souffrir inutilement les animaux et de gaspiller leurs vies » (§ 2418). Ainsi, l’expérimentation scientifique est acceptée si son utilité est prouvée, l’animal est ici au service de la santé de l’homme, sa destination dans le plan divin est donc respectée, et cette même santé doit être utilisée pour rendre gloire à Dieu. La souffrance animale dans la recherche pour les cosmétiques semble ici plus compliquée à justifier.

Mais alors, la vision utilitariste des animaux rend-elle l’Église insensible à la cause animale ? Ce serait là une conclusion hâtive qui pourrait découler d’une lecture trop rapide du paragraphe 2418 du Catéchisme : « Il est également indigne de dépenser pour [les animaux] des sommes qui devraient en priorité soulager la misère des hommes. » En effet, le même texte poursuit : « On peut aimer les animaux ; on ne saurait détourner vers eux l’affection due aux seules personnes. » Il est donc ici question de mesure : les animaux après les hommes. Le pape François dans son encyclique Laudato si, consacre onze points à la cause animale. Il rappelle que « la même misère qui nous porte à maltraiter un animal ne tarde pas à se manifester dans la relation avec les autres personnes » (§ 92). Par effet de miroir, le soin apporté aux animaux peut aider à soigner nos relations avec notre prochain.

Ils sont nombreux les saints qui ont eu une relation particulière avec un animal : saint Philippe Néri, saint Roch, saint François, Don Bosco et tant d’autres. Toujours ils ont fait de ces compagnons des moyens de louer Dieu ou mieux le servir. La liturgie de l’Église elle-même prévoit une place pour les animaux à travers une bénédiction qui leur est propre : « appelons la bénédiction de Dieu sur ces animaux, en louant le Créateur de toute chose et en lui rendant grâce, sans oublier qu’il nous a placés au-dessus de toutes les créatures et que nous devons reconnaître et garder cette dignité » (Livre des bénédictions, n° 728). Peut-être est-ce là un des moyens pour l’Église de partager sa sagesse et d’entrer dans les discussions sur le statut de l’animal : à travers les bénédictions du bétail ou du chien de compagnie demander l’attention de Dieu sur les bêtes de compagnie et attirer l’attention du maître sur Dieu.

Odon de Cacqueray

© LA NEF le 7 décembre 2023, exclusivité internet