Le chancelier allemand Olaf Scholz © Pixabay

La fin du couple franco-allemand

Rien ne va plus entre Paris et Berlin. Le sommet bilatéral prévu le 26 octobre a été annulé. C’est la première fois, depuis sa création en 2003 par Jacques Chirac, que cette rencontre est annulée. Cela révèle des problèmes de fond et rien ne s’est amélioré depuis.
Dans cette période de tensions qui s’ouvre avec Berlin, il faut que Paris sorte du déni et prenne conscience de quatre axiomes fondamentaux. Tout d’abord, le couple franco-allemand est une chimère. Cette expression n’est jamais employée outre-Rhin. Déjà en 1963, de Gaulle avait été déçu par l’attitude allemande lorsqu’il comprit que la RFA ferait toujours passer son engagement au sein de l’Otan avant l’alliance française. La réunification a aggravé les choses en faisant basculer le centre de gravité de l’Allemagne vers l’est, comme l’a bien analysé Coralie Delaume dans Le couple franco-allemand n’existe pas. Bonn, l’ancienne capitale de la RFA, n’était qu’à 250 kilomètres de Metz. Aujourd’hui, Berlin est à 800 kilomètres de Metz, mais à seulement quelques dizaines de kilomètres de la frontière polonaise.

Une politique égoïste
Ensuite, deuxième axiome, la France s’épuise en vain en demandant à Berlin de se montrer davantage coopératif, car l’Allemagne a, depuis sa réunification, une politique égoïste, se résumant à la stricte défense de ses intérêts nationaux.
Puis, c’est le troisième axiome, l’Allemagne a opté pour une politique du « passager clandestin » vis-à-vis de l’UE. L’Allemagne soutient le projet européen à chaque fois qu’elle peut en tirer bénéfice. Mais elle freine des quatre fers lorsque ce projet impliquerait qu’elle mette la main au porte-monnaie.
Enfin, il y a un malentendu entre l’Allemagne et la France. Nostalgique de Louis XIV et de Napoléon, la France veut utiliser l’UE pour restaurer sa puissance et retrouver son ancienne grandeur. Au contraire, traumatisée par le nazisme, l’Allemagne a abandonné toute ambition historique et a converti son ancien expansionnisme militaire (aujourd’hui maudit) en agressivité économique. L’Allemagne n’a que faire de la puissance et n’aspire qu’à une chose : sortir de l’Histoire, car l’Histoire lui a trop coûté. Surtout l’Allemagne n’a aucune envie d’aider la France à retrouver son rang. Il ne faut jamais oublier le mot du général Keitel. Chargé de signer la reddition du IIIe Reich avec les Alliés, il s’exclama « Quoi ! Même les Français ? » lorsqu’il vit la délégation française conduite par le général de Lattre de Tassigny.
La seule obsession de l’Allemagne, ce sont ses excédents commerciaux. Sur le plan comptable, ils sont vitaux pour porter la charge d’une démographie germanique vieillissante. Sur le plan affectif, l’Allemagne entretient une relation névrotique avec ses excédents qui sont pour elle un véritable fétiche, alors qu’ils déséquilibrent toute l’économie mondiale.

Saper les restes de la puissance française
Plus généralement, l’Allemagne a pour ambition de saper méthodiquement tous les restes de la puissance française. En Australie, l’an dernier, c’est contre notre concurrent allemand TKMS que le français Naval Group avait décroché le contrat de vente des sous-marins. Peu adeptes du fair-play, nos « amis » allemands ont ardemment soutenu la campagne de presse et de lobbying qui a conduit à la rupture du contrat par les Australiens. Même ligne sur le plan énergétique. En 2011, Berlin a renoncé au nucléaire sans consulter ses partenaires européens. Peu importe que cela fasse bondir ses émissions de CO2 ou gêne les entreprises françaises. En effet, les centrales nucléaires émettent en moyenne 80 fois moins de CO2 par kilowattheure produit que les centrales à charbon et 45 fois moins que les centrales à gaz. En abandonnant le nucléaire et en portant l’éolien au pinacle, Angela Merkel a donc considérablement développé le charbon, ce qui a fait exploser la pollution émise par l’Allemagne, au grand détriment de la qualité de l’air en Allemagne et dans le monde. En Allemagne, 17 % de l’énergie provient du charbon (contre 3 % pour la France). Et 61 % provient du gaz et du pétrole (contre 45 % en France). L’Allemagne est aujourd’hui le sixième pollueur mondial, loin devant la France, émettant annuellement en moyenne plus du double de CO2 par rapport à nous. Le nucléaire français – synonyme d’indépendance stratégique, d’excellence technologique, d’électricité peu chère et d’énergie décarbonée – a pour principal ennemi les manigances allemandes. Que ce soit sur le gaz et les gazoducs (avec l’exigence de prolonger vers l’est le gazoduc franco-espagnol MidCat) ou sur le nucléaire, la politique allemande est un péril pour nos grands énergéticiens (et donc pour nos ménages et nos entreprises).
Face à une telle situation, il est grand temps de prendre acte de la situation et de renoncer au mythe du couple franco-allemand.

Jean-Loup Bonnamy

© LA NEF n°354 Janvier 2023