Manifestation du collectif Extinction Rébellion © Pixabay

La mort de l’Occident

Depuis déjà plus d’un siècle, depuis la Première Guerre mondiale, les auteurs, notamment Spengler et Toynbee, ont annoncé la décadence de l’Occident. Spengler montre que les civilisations, à l’instar des organismes vivants, sont vitalement destinées, après la naissance, la croissance et le vieillissement, à la mort. Selon la morphologie historique de Spengler, la civilisation faustienne, qui relève de la démesure impérialiste de la technoscience et de la volonté délirante, satanique et toute-puissante de mépriser et de dominer la nature, est le symptôme flagrant de la cristallisation sclérosante de la culture en civilisation, du retournement contre soi de la volonté vitale. Selon le schéma historique de Toynbee, la décadence a pour symptôme, par-delà la débilisation des élites, incapables de relever les grands défis de leur temps, l’endormissement de la civilisation glorieuse sur ses lauriers avant que le prolétariat extérieur ne vienne lui assener le coup de grâce. Tout cela avait ainsi été parfaitement conceptualisé et annoncé. Le déclin de l’Occident fut certes particulièrement lent, sans doute à la mesure de la gloire et de la prospérité propres à l’Occident lui-même, mais son inéluctabilité n’est plus à démontrer.

L’un des symptômes de la décadence est par ailleurs, selon Toynbee, la désagrégation psychique et sociale donnant naissance à l’illusion subjective de l’universel. Cette universalité illusoire est double. Elle est à la fois politique et religieuse. C’est d’une part l’élaboration, par les élites qui ont perdu leur autorité et leur force d’entraînement charismatique, d’un État universel totalitaire visant à maintenir, par la force des institutions et la peur et non plus par le génie créateur, l’ordre social. C’est d’autre part l’élaboration, par le prolétariat intérieur, d’une religion universelle dont la spiritualité est étrangère à la civilisation. Ce sont ces deux universalités illusoires qui sont les ultimes symptômes, avant la destruction finale venue de l’extérieur, de la décadence.

Deux livres contemporains décrivent le processus de sclérose totalitaire dont souffrent déjà les États occidentaux modernes. Dans le roman Le Réveil (Calmann-Lévy, 2022), Laurent Gounelle établit une analogie entre la gestion dictatoriale de la pandémie d’une part et la propagande américaine lors de la Grande Guerre et le totalitarisme communiste d’autre part. Dans son essai Post-modernisme et néo-fascisation : le grand retournement (Kimé, 2022), Gilles Mayné établit, en utilisant l’étude, par le philologue Klemperer, des procédures rhétoriques propres au discours nazi, une analogie entre le « phagocytage » hitlérien des idéologies adverses, y compris de l’idéologie chrétienne, et le « brouillage » idéologique propre à l’« en même temps » macronien. Mayné montre ainsi que, par-delà le caractère antithétique des idéologies macrono-post-moderniste et hitléro-nazi, l’idéal d’ouverture de la première s’opposant à celui de la fermeture de la seconde, c’est un même processus totalitaire qui est à l’œuvre. Ce processus, c’est encore ce qu’on appelle déjà désormais la triangulation, à savoir l’amalgame systématique et niaiseux, dans la rhétorique politique, des références et des idées propres à l’adversaire, le refus du combat démocratique clair et assumé.

Aujourd’hui, ce n’est plus seulement le simple vieillissement mais c’est désormais la mort de l’Occident qui est en train, sous nos yeux, d’avoir lieu. Le prolétariat intérieur musulman fait prospérer, au sein de l’Occident chrétien, une spiritualité islamique étrangère. Les États européens empruntent aux États totalitaires du monde le mode de domination institutionnelle par la peur et l’intimidation. Par-delà ces deux symptômes de mort annoncée, avant même l’invasion destructrice du prolétariat extérieur africain, deux autres symptômes de mort civilisationnelle nous travaillent et nous détruisent déjà en profondeur. C’est d’une part l’idéologie écologique totalitaire qui, alliée à l’idéologie de la déconstruction des autorités et de la victimisation minoritaire, vise très clairement l’autodestruction des traditions occidentales. C’est d’autre part l’impérialisme économique et financier de la Chine qui, allié aux grands capitalistes du monde, a programmé la paupérisation des classes moyennes occidentales, le déplacement dynamique et mondial des richesses devant entraîner la prospérité des nouvelles classes moyennes orientales.

L’agonie de l’Occident est là. Dans un monde où le christianisme ne prospère plus guère qu’en Amérique du Sud, nous sommes condamnés à attendre, en Europe, notre éventuel salut de la seule Providence.

Patrice Guillamaud

Patrice Guillamaud, philosophe, auteur notamment de La Jouissance et l’espérance (Cerf, 2019) et de La nation (Kimé, 2022).

© LA NEF n°354 Janvier 2023