Le Nord du Nigéria subit depuis des années un conflit sanglant mené notamment par les islamistes de Boko Haram. La vie y est devenue très difficile pour les chrétiens.
Mgr Wilfred Chikpa Anagbe, évêque du diocèse de Makurdi (Nigéria), ne mâche pas ses mots. Il est intervenu le 14 octobre au Parlement européen en dénonçant une « conspiration du silence » concernant le sort des chrétiens au Nigéria. Il faut bien dire que si elle reste assez ignorée des journaux télévisés, la situation des chrétiens dans une grande partie de ce pays est en effet tragique.
Indépendant en 1960 après sa colonisation par les Britanniques, le Nigéria est l’État le plus peuplé d’Afrique, comptant plus de 200 millions d’habitants, chrétiens et musulmans étant approximativement aussi nombreux. Il est composite, réunissant des régions géographiques bien typées allant du golfe de Guinée au Sahel, et comptant plus de deux cents ethnies. Sa situation est extrêmement difficile : si le Nigéria dispose de ressources pétrolières et d’une situation commerciale avantageuse (le port de Lagos est la plaque tournante de l’Afrique de l’Ouest), les revenus sont captés par une élite opulente alors que la majeure partie de la population vit dans la misère et survit grâce à l’économie informelle. Les infrastructures sont défaillantes et l’économie stagne alors que la population explose.
L’indépendance du Nigéria est marquée par la prédominance démographique de trois ethnies : les Ibos, très majoritairement chrétiens dans le Sud-Est, les Yorubas chrétiens, musulmans et animistes dans le Sud-Ouest et les Peuls présents dans le Nord et très majoritairement musulmans. Une tentative d’indépendance des Ibos dont le territoire contient la plupart des ressources pétrolières a déclenché la guerre sanglante du Biafra de 1967 à 1970. Depuis, le Nigéria a alterné entre coups d’État militaires et instauration d’une fragile démocratie tout en voyant le nombre de ses États fédérés et l’autonomie de ceux-ci croître sans cesse.
Ces différents maux affectent toute la population nigériane. Mais les chrétiens du Nigéria sont également menacés par l’islamisme. Bien que le Nigéria soit traversé par de nombreux clivages, une des principales divisions géopolitiques est en effet celle opposant le Nord du pays à majorité musulmane et le Sud à majorité chrétienne. Lors de la colonisation britannique, la zone septentrionale est demeurée dans le cadre d’une administration indirecte favorisant les intérêts d’une aristocratie musulmane maintenue hors de toute formation moderne, tandis que l’aire méridionale a été ouverte à la « modernité », sous la direction d’une élite marchande et intellectuelle scolarisée et s’est massivement convertie au christianisme (les peuples qui y vivaient étant auparavant des fidèles de religions animistes). Cela a accentué les clivages entre le Nord et le Sud. La persécution des chrétiens est donc concentrée dans le Nord du Nigéria
La plus visible est le fait des groupes djihadistes. Ceux-ci se sont implantés au Nigéria avec le passage à la lutte armée du groupe Boko Haram, ce que l’on peut traduire par « l’éducation occidentale est un péché ». Boko Haram et l’État Islamique, depuis 2015, ensanglantent le Nord-Est du Nigéria. Si les groupes djihadistes ciblent tous les Nigérians chrétiens ou musulmans, il y a une différence de nature dans leur projet : en effet, si dans leur logique, les musulmans n’adhérant pas à celui-ci doivent mourir ou les rejoindre, les chrétiens, eux, ne peuvent plus exister en vivant leur foi dans les territoires qu’ils contrôlent.
Les heurts entre éleveurs et agriculteurs représentent une seconde menace pesant sur les chrétiens. Le réchauffement climatique et la poussée démographique ont amené les éleveurs nomades essentiellement Peuls du Nord à pousser leurs parcours de transhumance de plus en plus au Sud, empiétant sur des terres agricoles. Cela a entraîné des affrontements et des conflits. Si les mobiles sont d’abord économiques, ils ont également une dynamique ethnique et religieuse, les éleveurs appartenant à des ethnies du Nord profond quasi exclusivement musulmanes et les agriculteurs sédentaires étant membres d’ethnies moins nombreuses et souvent chrétiennes. Comme le dit Thomas Oswald, de l’Aide à l’Église en détresse (AED), « des groupes d’éleveurs fulani veulent chasser les sédentaires et les chrétiens sont tous sédentaires donc sont particulièrement ciblés ». Par ailleurs, on a pu noter dans le cadre de ce conflit, l’attaque d’églises, qui sont sans conteste des actions menées spécifiquement pour des motifs religieux. Le bilan humain de ces affrontements est désormais supérieur à celui des attaques commises par les groupes djihadistes et, de par la nature bien plus large des groupes impliqués, ils ont un potentiel réel de déstabilisation du Nigéria.
En 1999, la charia a été instaurée comme système juridique personnel et pénal dans les douze États majoritairement musulmans du Nigéria. Comme le dit Thomas Oswald, « certes, officiellement, la charia dans le Nord du Nigéria ne s’applique qu’aux musulmans, mais sa mise en place rend très compliquée la construction d’églises et discrimine de fait les chrétiens dans les États du Nord ». De manière plus globale, la mise en place de la charia est un élément marquant une domination symbolique et politique plus accentuée des musulmans dans les États en question où ils sont déjà majoritaires.
Enfin, l’élément peut-être le plus inquiétant pour l’avenir est la progression d’un fondamentalisme culturel accepté chez les musulmans du Nord du pays. Un exemple tragique est le sort de Deborah Samuels. Cette jeune étudiante chrétienne a été lynchée puis brûlée vive par ses condisciples pour avoir posté sur WhatsApp un commentaire perçu comme « blasphématoire ». Elle a simplement expliqué qu’elle avait réussi les examens grâce à Jésus-Christ et dit sa gêne à ce que le groupe WhatsApps de sa promo soit consacré à un discours apologétique musulman. Après son meurtre, la police a arrêté deux suspects. D’où une manifestation demandant leur libération et justifiant le meurtre de Deborah Samuels, suivie d’attaques contre des églises. Comme le dit Thomas Oswald, « le fait qu’il s’agisse d’un meurtre spontané par des jeunes étudiants est très préoccupant. Cela indique une perméabilité de la jeunesse aux thèses musulmanes radicales ». Une partie de la jeunesse musulmane nigériane considère en effet que la simple expression de la foi chrétienne peut justifier la mort.
Dans ce contexte, le Nigéria va vivre de nouvelles élections présidentielles en février 2023. Parti au pouvoir, le Congrès progressiste trouve sa principale base électorale dans le Nord du pays. Alors qu’un compromis informel stipulait que le président et le vice-président devaient être de religions différentes, pour la première fois Bola Tinubu, le candidat musulman du Congrès progressiste, a choisi un colistier également musulman. Cette élection est un vrai enjeu pour les chrétiens. Comme l’explique Thomas Oswald, « la représentation des chrétiens dans le gouvernement nigérian s’affaiblit. L’attaque de la Pentecôte dans l’État de Benue qui a entraîné une cinquantaine de morts dans une église n’a pas donné lieu à des arrestations ». D’ailleurs chaque élection cristallise les différentes polarisations politiques et religieuses et entraîne des violences accrues qui, comme nous l’avons vu, touchent spécifiquement les chrétiens. En 2019, plus de six cents personnes sont mortes dans de telles violences électorales…
Malgré tout, il y a des signes d’espoir. Le christianisme au Nigéria a un fort dynamisme dans le Sud et il y a des conversions au christianisme qui se produisent même dans le Nord. Dans le cas de l’Église catholique, le Nigéria est l’un des pays comprenant le plus de vocations religieuses avec la construction de nouveaux séminaires. Parmi d’autres instituts catholiques, l’AED soutient l’Église au Nigéria (1), notamment par la fourniture de véhicules permettant l’évangélisation et le maintien de la vie agricole dans le Nord du pays. On doit espérer que le Nigéria parvienne à se redresser et puisse offrir enfin à sa population une vie digne.
Rainer Leonardt
(1) Cf. le site de l’AED : https://aed-france.org/
© LA NEF n°354 Janvier 2023