L’abbé Ludovic

Comment gérer 43 clochers ?

L’abbé Ludovic a passé une quinzaine d’années chez les Chanoines réguliers de la Mère de Dieu, aujourd’hui installés à Lagrasse. Il a ensuite été quatre ans vicaire à Bayonne, puis curé, depuis huit ans, des paroisses de Navarrenx et de Sauveterre, dans le Béarn, avec l’assistance d’un vicaire depuis quelques années. Sa paroisse couvre 43 villages, 50 églises dans un milieu très rural. Jadis au cœur d’un terroir vraiment chrétien, celui-ci se déchristianise comme partout ailleurs. Entretien.

La Nef – Comment peut-on « gérer » à deux un territoire aussi vaste ?
Abbé Ludovic – La paroisse a deux lieux phares, les villages les plus importants, Navarrenx et Sauveterre, sur lesquels sont centralisées nos activités. Les messes dominicales sont célébrées à tour de rôle avec mon vicaire entre ces deux pôles. Le presbytère se situe à Navarrenx, donnant à ce lieu un rôle central et moteur. Chaque matin, les laudes sont chantées dans l’église, suivies d’une heure d’adoration du Saint Sacrement, source de notre vie missionnaire. Dans les villages satellites, nous célébrons les baptêmes, mariages, enterrements ainsi que les fêtes de villages, très suivies dans le Béarn.
Je dois dire que ma position a changé depuis que je suis arrivé : au départ, jeune curé de Navarrenx, je n’avais « que » 24 villages, aussi ma politique était-elle de célébrer le dimanche à Navarrenx et les autres jours du mois, à tour de rôle, dans chacun de mes 24 clochers. J’ai fait cela durant quatre ans et je me suis épuisé. J’allais dans des villages où il n’y avait personne ou presque à la messe. Je me suis dit alors que cela ne servait à rien de « tenir le terrain », là où même les services publics (poste, Éducation nationale, gendarmerie) avaient disparu. Je me suis alors tourné vers l’essentiel. J’ai donc arrêté de célébrer les messes là où les églises étaient vides pour me lancer dans une autre dynamique : prendre plus de temps pour accompagner les personnes et mettre en place des structures de croissance. Je n’ai pas abandonné ces villages mais, plutôt que d’y venir de manière fixe, j’ai demandé aux paroissiens qu’ils se concertent sur une date et m’invitent. Ils préparent la messe, ce qui les implique. Je célèbre moins souvent dans mes églises, mais lorsque j’y vais, je suis attendu et la célébration est préparée.

Vous avez parlé de structures de croissance, pouvez-vous nous en dire plus ?
Les chrétiens ont besoin d’être accompagnés, de grandir spirituellement, dans la formation et dans leur amour de Dieu. Multiplier des célébrations nombreuses, qui m’épuisent, ne permettait pas de toucher et former correctement toutes les personnes qui comptaient sur moi. J’ai mis en place des groupes qui permettent aux paroissiens de grandir dans une connaissance, un amour ou une pratique : les Parcours Alpha pour les personnes qui sont loin de la foi, des parcours bibliques mensuels pour approfondir la parole de Dieu (avec des paroissiens formés et compétents pouvant les animer), un groupe pour les hommes : Viri christiani, un autre pour les dames… Enfin, nous essayons de mettre en place les cinq essentiels qui sont la prière, la formation, le service, l’évangélisation et la fraternité, dans toutes nos activités. Les cinq essentiels sont comme le terreau qui nourrit la croissance spirituelle de chaque personne et de chaque petit groupe ou service.

En fonction de votre expérience, comment voyez-vous l’avenir de la paroisse ?
Il ne faut plus raisonner en termes de maillage de territoire, c’est-à-dire de vouloir tenir un territoire. Je ne suis pas là pour m’occuper de vieilles pierres, mais d’âmes confiées par mon évêque, l’église-bâtiment est secondaire au regard de cette tâche, les prêtres ne sont pas des gardiens de musée ! À la fin, quand je rencontrerai le Seigneur, il ne me demandera pas un état des lieux de mes églises, mais comment je me suis occupé des âmes dont j’avais la charge, comment je les ai faites grandir, comment j’en ai attiré de nouvelles, etc. Notre réflexion doit porter sur la façon de toucher d’abord les non-pratiquants, ensuite les non-croyants.

Pouvez-vous nous donner quelques exemples de ce que vous avez mis en place ?
Oui, en voici quelques-uns. À l’occasion des obsèques, mariages ou baptêmes, on voit venir des personnes de culture chrétienne qui demandent des sacrements par une sorte d’habitude. Mais ils sont déconnectés de nos paroisses. Quand une de ces familles souhaite un baptême, la « demande de baptême » se fait en présence de la communauté chrétienne lors d’une messe dominicale. On offre à la maman une fleur pour la remercier d’avoir donné à sa famille un enfant, à la paroisse un petit frère ou une petite sœur et à notre Père du Ciel un enfant de plus. Cela les touche énormément, elles se sentent ainsi accueillies par la communauté chrétienne. On pose ainsi des jalons, un trait d’union entre des chrétiens non-pratiquants et la communauté chrétienne. On peut faire la même chose avec les fiancés, etc.

Comment rejoignez-vous les non-croyants ?
Il faut revoir nos priorités, nous sommes avant tout des envoyés pour la mission, pour annoncer l’Évangile. Puisque les non-croyants ne viennent pas à nous, nous essayons d’aller à eux. Dans la paroisse nous avons fait une belle expérience dans un quartier défavorisé où personne ne pratique : nous sommes allés là-bas bénir les rameaux. Deux semaines auparavant, avec les paroissiens, nous sommes allés faire du porte-à-porte pour inviter les habitants, puis le jour des rameaux, l’après-midi, nous sommes retournés faire du porte-à-porte pour rappeler que la cérémonie allait avoir lieu. Nous avons été surpris de voir que, sur 40 logements, une vingtaine de personnes étaient venues. Nous avons lu l’Évangile, béni les rameaux, fait une petite catéchèse puis servi un verre de l’amitié. Les enfants qui étaient présents n’avaient jamais entendu parler de Jésus dont ils ignoraient jusqu’au nom ! Puis, nous sommes revenus régulièrement et avons créé des liens. À partir de là, nous avons lancé les « missions paroissiales » consistant à partir en mission un samedi par mois, dans un des 43 villages de la paroisse, avec les paroissiens volontaires pour faire du porte-à-porte tout l’après-midi. Invitant les habitants rencontrés à venir en fin d’après-midi partager un moment de louange, de témoignage et toujours le verre de l’amitié.
Il est important d’avoir des paroisses accueillantes, là il y a vraiment des progrès à faire, ainsi que des liturgies belles et soignées. Mais ce n’est plus suffisant ! Il faut savoir sortir de nos églises et aller à la rencontre de ceux qui sont hors de l’Église. Nous, prêtres, passons trop de temps à faire « fonctionner » nos paroisses et pas assez à aller chercher la brebis perdue… Le pape a eu un bon mot : Jésus nous invite à aller chercher la brebis perdue, quitte à laisser les 99 brebis dans l’enclos. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’une seule brebis dans l’enclos et nous passons tout notre temps à lui faire un brushing, lui mettre du verni sur les ongles, la bichonner, la chouchouter… Il faut dans nos têtes passer d’une pastorale de la conservation à une pastorale de la mission. Celle-ci ne concerne pas seulement le pasteur, mais toute la paroisse. Chaque chrétien doit se sentir investi par elle. Et le pasteur a pour mission d’appeler et de faire grandir des disciples-missionnaires qui, à leur tour, sont investis d’une forme de délégation de la responsabilité pastorale. Tout chrétien par son baptême est appelé à annoncer l’Évangile.

Comment voyez-vous la question liturgique autour du rite de la messe ?
À titre personnel, j’aime beaucoup la liturgie traditionnelle puisque j’ai passé 15 ans dans cet univers. À l’issue du deuxième confinement, quand les évêques nous ont demandé de multiplier les messes, j’ai mis en place une messe de saint Pie V à Sauveterre le dimanche à 9h30, la messe de 11h restant selon la forme ordinaire : je fais en sorte que les deux communautés vivent ensemble. Le danger du monde traditionnel est le repli sur soi. Il y a un vrai travail à faire pour que les personnes qui aiment cette liturgie puissent s’enraciner dans les paroisses et ne pas se satisfaire de vivre en vase clos entre personnes convaincues. Sans doute est-ce confortable, mais où est la mission ? La messe traditionnelle ne rejoint pas tout le monde, contrairement à ce que pensent certains qui la voient comme l’unique option. De nombreux chrétiens se convertissent en profondeur avec la liturgie de forme ordinaire, j’en ai été témoin.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

© LA NEF n° 349 Juillet-Août 2022, mis en ligne le 31 janvier 2023