Le « psychologique » prend une part croissante dans nos vies, souvent pour le meilleur, parfois aussi pour le pire. Dans un monde sans repères ni règles stables, sans foi ni espérance, nombre d’esprits sont désorientés, des plus jeunes au plus âgés, et recherchent une aide psychologique. Dans ce contexte, la tendance à mélanger psychologique et spirituel est fréquente.
A la lecture même du titre, nous devinons que le sujet est complexe. Qu’entend-on par psychologie ? Quelle définition donner à la spiritualité ? Ces deux questions amènent naturellement à préciser leur différence ainsi que leur lien : comment ceux-ci s’expriment-ils concrètement lors d’un accompagnement psychologique ?
Travail du psychologue
Tout d’abord, il semble opportun d’éclairer la fonction du psychologue. La vision commune de ce dernier n’est guère flatteuse et fait souvent appel au fameux divan où le patient s’allonge pour parler seul, face à un thérapeute muet qui récolte pourtant une bonne somme à la fin d’une séance éprouvante. Il est encore imaginé sous les traits d’un homme (ou d’une femme) aux superpouvoirs, capable de tout comprendre d’un individu à la simple vue de ce dernier. Qu’en est-il réellement ? Loin des scènes à la Woody Allen ou des héros de Marvel, le psychologue est un spécialiste du fonctionnement humain. Il reçoit ou rend visite à des personnes avec une problématique particulière, qui tiennent à discuter de cela avec un tiers, professionnel. Lors d’un premier entretien, les deux parties font connaissance : l’une en exposant le sujet qui l’amène et l’autre en le questionnant pour en évaluer l’impact dans son quotidien.
Par exemple, à l’hôpital, le psychologue et le patient échangent pour comprendre ce que la maladie bouleverse et quels sont les moyens pour y faire face. À la fin de ce premier entretien, le psychologue a donc cerné l’objet de la venue du patient et conclut avec lui un « pacte » par lequel ils fixent ensemble les objectifs du travail et le rythme des entretiens. Cela est également vrai en cabinet libéral. Le rôle du psychologue se résume dans la mise en place d’un suivi, parfois en lien avec un psychiatre si un traitement médicamenteux s’avère nécessaire, le plus approprié à la personne et d’en attendre des résultats probants.
On constate donc que le patient est pleinement acteur du travail psychologique qu’il effectue : il n’est pas seul face à un grand gourou qui aurait toutes les solutions clé en main, et qui le laisserait dans son désarroi. Le psychanalyste, son silence et son divan sont bel et bien évincés. Un sportif de haut niveau engage souvent un entraîneur pour l’aider à atteindre ses objectifs, il en est de même pour tout être humain ; il a parfois besoin d’un « entraîneur » pour avancer. Et si cet « entraîneur » n’est pas suffisamment bon à son goût, il peut en changer.
Ainsi, l’accompagnement psychologique se fonde sur une démarche concrète composée d’observation et d’écoute, de bienveillance et de prise de conscience pour le patient à travers les échanges. Aucune frayeur à avoir, le but recherché est finalement très simple : trouver une réelle harmonie de vie, ce qui se réalise au rythme du patient et varie d’une personne à l’autre, sans règle préétablie. Cette harmonie se révèle essentielle, car elle ne signifie pas guérir toutes les blessures ni même remonter à l’enfance pour comprendre l’origine des failles. L’équilibre vital s’établit dans le présent, avec les ressources disponibles et dans une perspective d’espérance. L’image de l’équilibriste au-dessus du vide entre deux montagnes illustre parfaitement notre condition à chacun : il est peu évident de garder la ligne de crête qui permet de ne pas tomber d’un côté ou de l’autre, en fonction de nos fragilités. En quelque sorte, chaque individu possède son balancier personnel pour vivre le plus sereinement avec ce qu’il est et ce qu’il a vécu.
Tous les psychologues n’ont pas la même formation ni la même façon de travailler. Les approches se multiplient et les détailler n’est pas le but de cet écrit. Il semble cependant important que les outils utilisés (thérapies cognitives et comportementales, psychanalyse, hypnose, thérapies brèves, EMDR-Eye Movement Desensitization and Reprocessing, etc.) correspondent à ce que la personne attend du suivi. Mais l’essentiel, dans un travail thérapeutique, réside avant tout dans la relation établie et la confiance que l’on peut donner au professionnel ; si l’on a confiance et que l’on constate des évolutions positives sur les points souhaités, alors il est compétent.
Place de la spiritualité en psychologie
Suite à cela, on peut se demander en quoi la spiritualité intervient dans un accompagnement psychologique et quelle place elle peut y trouver.
Si le but d’un tel accompagnement est de tendre à un équilibre de vie, il paraît indispensable de prendre en compte toutes les dimensions de la personne, et notamment la dimension spirituelle. En effet, la dimension spirituelle n’était pas considérée comme opportune dans les lieux laïcs, y compris par les psychologues, il y a peu de temps encore : l’arrivée des soins palliatifs, dans les années 80 en France, avec la notion de souffrance spirituelle, a contribué à un regain d’intérêt sur le sujet mais sans sonner le retour du religieux pour autant.
Mais comment définir cette dimension spirituelle et comment ne pas empiéter sur l’accompagnement spirituel ? La psychologie adopte une attitude prudente et distingue nettement le religieux du spirituel. La religion n’a pas sa place en tant que telle dans un travail psychologique ; le psychologue n’est pas chargé d’apporter un avis sur la valeur morale des actes d’un patient ni sur ses convictions religieuses. Elles peuvent apporter un éclairage sur sa façon d’être et de vivre mais elles ne constitueront jamais un objectif thérapeutique. Lors des prises en charge de fin de vie, par exemple, le psychologue n’a pas à aborder les questions de foi, bien que l’on puisse pourtant penser que les circonstances favoriseraient ce type de sujet. Si toutefois le patient souhaite s’engager dans cette voie, c’est alors à l’aumônier d’intervenir. On comprend donc que l’accompagnement psychologique n’aborde pas la relation à Dieu de celui qui consulte, quelle qu’elle soit. Et l’on saisit mieux en quoi il se distingue pleinement de l’accompagnement spirituel.
Parler de spiritualité se révèle complexe si on s’en tient aux articles scientifiques sur le sujet ; une définition unique n’existe pas. Le plus fréquemment, le spirituel est lié à la notion de transcendance et de quête de sens. Concrètement, cela se vit à travers le travail et la communauté au sens social et politique, la capacité à vivre avec soi-même et les autres, ou encore l’empathie, la gratitude et le pardon. Autant d’éléments qui, en outre, renvoient aux valeurs chrétiennes. Certains auteurs connus, tel Frankl (1905-1997), ont mis en avant ce besoin intrinsèque à l’être humain de recherche de signification de son existence. Psychiatre neurologue d’origine autrichienne, Vicktor Frankl a été déporté à Auschwitz. Toute sa famille est morte là-bas. Ces circonstances affreuses lui ont permis de constater que les personnes qui résistaient le mieux à la violence gratuite et à l’absurdité de la situation n’étaient pas les plus robustes, souvent dans l’action, mais les plus fragiles qui avaient su développer une vie intérieure, permettant un espace où l’espoir était possible ainsi que le questionnement du sens de ce qui leur arrivait.
Au-delà de la spiritualité, des études scientifiques en psychologie ont abordé la religion comme un soutien face aux épreuves, comme une stratégie non négligeable qui peut favoriser l’évolution des troubles psychiatriques et une aide pour choisir le meilleur traitement. Mises en avant dans les études américaines, la prière et la foi aideraient à la rémission de certains cancers, du sein et du colon notamment, et seraient un facteur protecteur chez les adolescents dits à risque. On peut noter que ces recherches ne mentionnent pas la pratique religieuse des personnes interrogées.
Si l’on fait le lien avec l’accompagnement psychologique, un patient peut évidemment s’ouvrir sur le manque de sens dans sa vie, par exemple. Le travail du thérapeute consistera alors à creuser les aspects qui donnaient autrefois une signification à son existence, à aider à comprendre en quoi ils ne sont plus valables aujourd’hui, pour ensuite trouver de nouveaux points d’appui ou réhabiliter les anciens.
Quelques années après sa sortie d’Auschwitz, Frankl met en place la logothérapie, nouvelle approche dans laquelle la dimension spirituelle se trouve au centre, alors qu’elle était assez inexistante jusque-là dans le domaine. À la même époque, Etty Hillesum fait la même expérience : cette jeune femme juive d’Amsterdam, déportée elle aussi à Auschwitz, a connu un itinéraire spirituel fulgurant. Et malgré les atrocités du camp, elle expérimente une liberté intérieure exceptionnelle, exprimée à travers un amour de Dieu et un don de soi peu communs. Ses aspirations et errances rendent son message d’autant plus accessible à nos contemporains.
Nous ne vivons pas l’horreur du nazisme et pourtant il est assez facile de percevoir l’importance, à l’heure actuelle, de développer un espace intérieur dans lequel habitent des questions sans réponse évidente et proposant une ouverture à la transcendance. On pourrait schématiquement représenter la spiritualité comme une maison : le rez-de-chaussée évoquerait la quête de sens propre à tout homme dont s’occupe le psychologue et l’étage symboliserait une vie intérieure marquée par une présence divine ou une vie de foi. Le psychologue n’a donc pas à monter à l’étage de la maison ; ce n’est pas pour autant qu’il en oublie l’existence.
La foi et le psychologue
Suite à cela, on peut s’interroger sur la vie intérieure du psychologue ; est-il nécessaire qu’il soit chrétien pour assurer un bon accompagnement psychologique ? Il existe de mauvais psychologues cathos, qui confondent justement thérapie et morale et dont les conséquences peuvent être dramatiques, et de bons psychologues athées, compétents et avec un réel souci de l’autre. La compétence, comme pour n’importe quelle autre profession, constitue un pilier incontournable. L’important n’est pas tant l’étiquette extérieure que la vision que le psychologue a de son patient et la visée qu’il a pour lui. Aussi, l’intention profonde qui anime le psychologue, l’intention du cœur apparaît comme primordiale. Et cela s’en ressent assez rapidement lors d’un entretien.
Enfin, de façon plus personnelle, j’oserai mettre en parallèle la démarche de foi et la démarche du psychologue : si la foi suppose docilité et réceptivité face au don gratuit de Dieu, le psychologue se dispose pareillement face à celui qu’il reçoit ou qu’il visite. Une telle attitude intérieure, au-delà des mots, donne lieu à un accueil total et sans réserve de l’autre et lui garantit la plus belle disponibilité qui soit.
Pour conclure, les mots de Maurice Zundel résument parfaitement l’objectif du psychologue chrétien à mon sens : « Ah ! pouvoir être soi-même enfin (lors d’un entretien)… sans refouler son âme, et sans mentir à l’Infini dont on porte en soi l’implacable exigence ! Il nous appartient (à nous psychologues) en tout cas de ne pas imposer cette contrainte aux autres, en les entourant de tant d’humilité et de tant de respect, de tant de bonté et de tant d’amour, qu’ils découvrent leur âme et qu’ils osent l’exprimer. Il n’y a pas d’œuvre plus grande que celle-là, il n’y en a pas de plus nécessaire » (L’Évangile intérieur).
Laurence Geffroy
Psychologue clinicienne en hôpital
© LA NEF n° 306 Septembre 2018, mis en ligne le 17 février 2023