Ukraine : quelle sortie de guerre ?

La guerre d’Ukraine se déroule depuis le mois de février : quelles pourraient être les possibilités d’évolution du conflit ? À l’heure d’écrire ces lignes au milieu de décembre 2022, la situation militaire sur le terrain paraît bloquée : une ligne de front stable avec de forts échanges d’artillerie, qui ont succédé à des mouvements d’avancée et de recul entre février et septembre. Depuis septembre, la ligne reste inchangée, hormis la reprise de la poche de Kherson, sur la rive droite du Dniepr : mais elle a été décidée par les Russes plus que conquise par les Ukrainiens.

Nous voici donc revenus à une guerre gelée. Il faut en effet rappeler que si la guerre a commencé il y a neuf mois (24 février 2022), le conflit a en fait débuté il y a huit ans, en 2014, avec la prise de la Crimée et d’une partie du Donbass par les Russes. À l’issue de quelques mois de conflit ouvert, les affrontements s’étaient stabilisés à partir de 2015. La communauté internationale se rassurait alors avec les accords de Minsk, censés organiser les négociations entre la Russie et l’Ukraine sous le patronage de l’Allemagne et de la France.
Ce précédent conduit à une première hypothèse d’évolution de la guerre : celle du retour à un « conflit gelé », similaire à celui que nous avons connu de 2015 à 2021, avec des échanges de tirs et une solidification de la ligne de front. Cela semble le plus probable, mais pas forcément le plus durable : en effet, les deux camps peuvent tout à fait mettre à profit cette période pour se refaire. Sans entrer dans le détail (cf. La Vigie n° 207), la Russie comme l’Ukraine ont tout intérêt à profiter des mois d’hiver pour remonter en puissance. Un gel est probable. Dès lors, deux possibilités se présentent : soit une reprise des hostilités au printemps, soit un tassement plus durable du conflit.

Nous sommes aujourd’hui en présence d’une guerre d’usure : chaque belligérant cherche à obtenir une rupture localisée qu’il pourrait exploiter pour modifier à son avantage la ligne de front. Jusqu’à maintenant, rien qui permette d’envisager, d’un côté comme de l’autre, un effondrement général du front. Cette rupture pourrait intervenir au cours de l’hiver mais cela reste peu probable. Il est plus vraisemblable que les deux parties chercheront à reprendre l’initiative à partir du printemps, une fois passée la saison des pluies et des boues. Là encore, plusieurs options existent : les Ukrainiens pourraient chercher à poursuivre leur action au nord du Donbass, vers Svatove, de façon à revenir dans ce secteur aux lignes de février. Ils pourraient également attaquer au sud, dans la zone de Mélitopol, de façon à couper le dispositif russe en deux entre une tête de pont en avant de la Crimée et le gros des forces dans le Donbass, brisant ainsi la tenue du littoral de la mer d’Azov.
Les Russes quant à eux pourraient chercher à dépasser Bakhmout au nord, de façon à venir peser sur la ville de Slaviansk. Ils pourraient également poursuivre leur effort actuel visant à dégager complètement la ville de Donetsk. Dans les deux cas, ils viseraient à conquérir la plus grande partie possible de l’oblast de Donetsk, encore tenu pour près de la moitié par les Ukrainiens : or, les Russes revendiquent le territoire complet des oblasts qu’ils ont annexés.

Pas de victoire prévisible

Le lecteur ne peut que constater que de part et d’autre, les objectifs territoriaux sont limités. Certes, les Ukrainiens ne cessent de clamer qu’ils se battront jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à avoir repoussé les Russes non seulement aux lignes du 24 février mais aux frontières de 2014 (signifiant donc la reprise de la Crimée). Dans l’état actuel des forces, cela paraît totalement illusoire. Les Russes ont annoncé peu d’objectifs territoriaux : pourtant, l’annexion des quatre oblasts de Lougansk, Donetsk, Zaporijia et Kherson suggère qu’a minima, ils ont l’ambition de maîtriser les zones de ces régions : il leur reste beaucoup à conquérir pour les trois derniers et même ceci paraît peu plausible aujourd’hui.
Ainsi, le plus vraisemblable dans les mois à venir est que l’Ukraine reste tronquée de sa partie orientale. La notion de « victoire » de l’un ou de l’autre camp est donc illusoire.

Négociations ?

Pourtant, les deux parties annoncent publiquement de tels objectifs maximalistes. Sauf à considérer l’écroulement militaire ou politique d’une des deux parties, qui paraît hautement improbable, il faut se poser la question des négociations. Elles semblent à l’ordre du jour, même si rien d’officiel n’est paru et que ces frémissements tiennent plus de l’interprétation de micro-signes. Elles sont pourtant dans l’ordre des choses puisqu’il est probable que les deux camps ont fait le même constat : il est peu probable que le sort du conflit se déroule sur le terrain militaire. Simultanément, il est hautement improbable que l’un ou l’autre cède politiquement ce qu’il n’a pas cédé sur le terrain des opérations.
Nous voici donc face à un blocage stratégique qu’il paraît difficile de convertir diplomatiquement. Il est illusoire de penser que l’on puisse parvenir à un accord de paix. Il y a eu tant de destructions, de victimes et de sacrifices qu’aucune des deux parties ne peut l’accepter. Tout au plus peut-on négocier un cessez-le-feu : c’est-à-dire une suspension des combats (et non leur fin officielle, qui serait un armistice).
Mais un cessez-le-feu ne contribue pas à résoudre le conflit : l’essentiel des causes de ce conflit persiste et aucun ordre de droit n’en sort. Un cessez-le-feu présente une autre difficulté : chacun craint que l’autre en profite pour se renforcer et reprendre les hostilités par surprise. Comment garantir la confiance minimale entre les deux parties pour éviter que le conflit ne s’aggrave, au bout de quelques mois ou de quelques années ? Ici, le précédent de 2014 n’incite guère à l‘optimisme. C’est pourquoi les négociations actuelles, si elles ont lieu, seront difficiles.

Olivier Kempf
Directeur du cabinet stratégique La Vigie (www.lettrevigie.com),
chercheur associé à la FRS, auteur de Guerre d’Ukraine (Economica, 2022).

© LA NEF n° 354 Janvier 2023, mis en ligne le 17 février 2023