Lectures Février 2023

Benoît XVI, un pape claudélien

Une chronique littéraire intitulée « De verbe et de chair » pourrait-elle ne pas rendre hommage à un pape qui écrivait qu’« avec la vérité, puisque c’est une personne, nous pouvons collaborer » ? Pourrait-elle oublier la place de choix de Bernanos, Mauriac, Péguy, mais aussi d’Anouilh et Sartre dans les lectures du séminariste Ratzinger ? Nourri d’écrivains français, c’est peut-être de Claudel que Benoît XVI a le plus reçu. S’il est excessif de parler de compagnonnage, on peut au moins noter une présence claudélienne dans son itinéraire.
Vu en 1947 « dans une Allemagne détruite et humiliée suite à la guerre », Le Soulier de satin (traduit par Hans Urs von Balthasar) se transforme pour lui en « un message très personnel » : dans « la fécondité du renoncement » des deux amants, il trouve « une indication fondamentale du chemin de vie » qu’il doit prendre. La gloire et la croix, déjà.
En 1980, archevêque de Munich, il cite Claudel avec admiration dans son homélie du Jeudi saint : « La lance au bras de Longin est allée plus loin que le cœur du Christ. Elle a ouvert Dieu, elle a passé jusqu’au milieu même de la Trinité. » Le cœur du Fils et le cœur du Père inondent le monde de l’Esprit miséricordieux.
En 2008, à Notre-Dame de Paris, Benoît XVI n’oublie pas le converti du deuxième pilier, touché par le chant du Magnificat : « L’art, chemin vers Dieu, et la prière chorale, louange de l’Église au Créateur, ont aidé Paul Claudel, venu assister aux Vêpres du jour de Noël 1886, à trouver le chemin vers une expérience personnelle de Dieu. » Accord parfait sur la joie musicale extatique qu’offre la splendeur liturgique, modelée par la culture monastique. Même consonance, écrit Dominique Millet-Gérard, dans leur lecture figurative de l’Écriture et leur goût pour les auteurs patristiques et médiévaux. Elle émet en revanche quelques réserves sur la façon dont Benoît XVI a pu évoquer Le Soulier de satin pour illustrer « la théologie du corps », qui est autre chose que la fécondité du renoncement. Reste qu’un pape ignorant tout de Claudel n’aurait peut-être pas écrit que l’amour de Dieu relève « sans aucun doute d’eros », tout en étant « totalement agapè ».

Henri Quantin

Réf. : Philippe Capelle-Dumont et Davide De Caprio (éd.), Joseph Ratzinger-Benoît XVI et la culture française, Communio/Parole et Silence, 2022, 216 pages, 17 €.

RUSSIE-TURQUIE. UN DÉFI À L’OCCIDENT ?
ISABELLE FACON (DIR.)

Passés composés, 2022, 220 pages, 18 €

C’est dans un univers géopolitique complexe que nous entraînent les articles des neuf auteurs rassemblés dans cet ouvrage collectif sous l’autorité d’Isabelle Facon, directrice adjointe de la Fondation pour la recherche stratégique. Forts de leurs spécialités respectives, ces experts analysent les principaux éléments qui permettent au lecteur de saisir la complexité des relations entre la Russie et la Turquie, acteurs incontournables de l’actualité mondiale. On y découvre deux États ambitieux dont les dirigeants actuels, Poutine et Erdogan, proches par leur tempérament, sont avides de retrouver la grandeur impériale qui a marqué leur histoire, respectivement au temps de la monarchie tsariste suivie de l’URSS pour le premier et du pouvoir califal ottoman pour le second.
Après s’être affrontés à travers treize guerres entre le XVIe et le XXe siècles, les Russes et les Turcs sont-ils parvenus à des collaborations stables et fécondes ? « Depuis 1921, malgré quelques frictions et tensions, […] les relations entre ces meilleurs ennemis ont pris davantage la forme d’un assez aimable jeu de la barbichette que celle d’un rude bras de fer », souligne Claire Mouradian, suggérant ainsi combien la réponse est loin d’être simple. En effet, coopération et concurrence alternent, voire cohabitent, en fonction d’intérêts fluctuants mais aussi de la nature des situations, voire des conflits, où Moscou et Ankara interviennent. Les auteurs n’oublient pas la nécessaire prise en compte de leurs rapports respectifs avec un Occident dé­semparé, placé sous pression et rendu méfiant face aux ambitions et aux rivalités russo-turques.
À côté des chapitres sur la Syrie et la Libye (écrits par Igor Delanoë et Galip Dalay), où l’intelligence du jeu russo-turc est plus familière aux Européens, ceux qui concernent la mer Noire, le Caucase du Sud et l’Asie centrale méritent une attention particulière, leurs auteurs (Jean-François Pérouse, Gaïdz Minassian, Nicolas Mazucchi, Soli Özel et Bayram Balci) décrivant des réalités historiques, économiques, militaires, culturelles et même confessionnelles, trop méconnues. Tout cela conduit Isabelle Facon à noter, dans la conclusion du livre, au sujet de cette relation étrange et ambiguë, que « même sur les terrains où objectivement ils sont opposés [les Arméniens et l’Ukraine par exemple], les deux acteurs parviennent à s’entendre sur la volonté de marginaliser les Occidentaux ».

Annie Laurent

QUI EST L’EXTRÉMISTE ?
PIERRE-ANDRÉ TAGUIEFF

Éditions Intervalles, 2022, 168 pages, 13 €

« La notion “d’extrémisme”, explique Pierre-André Taguieff, est une notion confuse. Prétendument classificatoire, elle fonctionne principalement comme un mode d’illégitimation, voire de diabolisation de l’adversaire. » Cela ne signifie pas, cependant, qu’il n’existe pas d’extrémisme dangereux. C’est pourquoi Taguieff s’attache, avec la précision qu’on lui connaît, à distinguer les réflexes idéologiques qui cherchent à éliminer un adversaire gênant en le taxant d’« extrémiste » des menaces objectives. « La grande peur d’un “retour du fascisme” se réveille à la moindre averse. Le spectre du fascisme n’a cessé, après la disparition des fascismes historiques, de hanter le monde imaginaire des Occidentaux. » Taguieff montre qu’il demeure toutefois des « extrémistes » menaçants – du côté des islamistes, par exemple – et qu’il est important de les connaître et de les désigner : « S’il faut désigner l’ennemi, il faut désigner le véritable ennemi ou l’ennemi réel, et non une créature fantastique et répulsive sur laquelle nous projetons nos peurs et nos hantises. » Taguieff, pour rendre la catégorie d’extrémisme opératoire, établit trois critères : « 1° la légitimation de la violence comme méthode de résolution des problèmes politiques ; 2° l’intolérance et le sectarisme ; 3° le fanatisme, impliquant l’intransigeantisme, le manichéisme et le jusqu’au-boutisme, qui supposent de placer la défense de la Cause au-dessus de tout. » Un petit ouvrage clair, didactique et fort utile.

Patrick Kervinec

DESCARTES PHILOSOPHE DE LA MODERNITÉ
MARCEL DE CORTE
Hora Decima, 2022, 224 pages, 20 €

Sont rassemblés et agencés dans une construction claire les articles et d’autres textes que le philosophe belge Marcel De Corte [1905-1994] a consacrés à Descartes. À partir des textes, mais aussi en se référant concrètement à différents épisodes de la vie du philosophe, il analyse le double dualisme introduit par Descartes : l’esprit séparé du corps et la pensée séparée du réel, ce que Marcel De Corte appelle la « désincarnation ». Le rationalisme cartésien « fait de la raison de l’homme, isolée et magnifiée dans une perfection abstraite, le démiurge du monde et de l’humanité ».
Marcel De Corte, qui dans toute son œuvre a toujours appuyé sa réflexion sur Aristote et saint Thomas d’Aquin, voit l’homme contemporain, imprégné du rationalisme cartésien et de ses succédanés (l’idéalisme et le subjectivisme), comme un « homo duplex » déchiré « par un dualisme où l’intelligence se met à idolâtrer de grandes idoles dévorantes : la Science, le progrès, la Liberté, la Nation, le travail, etc. », et qui dans le même temps « se déracine » des réalités organiques : « famille, patrie, profession, foi ».
Ce livre offre à la fois un commentaire serré des principaux écrits de Descartes et une lecture renouvelée du philosophe, montrant que « la philosophie de Descartes, c’est Descartes lui-même en quête de sa philosophie, […] c’est avant tout l’expression du tempérament même de Descartes, de sa structure mentale et de son psychisme individuel ».
On notera encore que le volume s’ouvre sur l’Autobiographie philosophique (p. 17-39) que Marcel De Corte avait rédigée pour une publication italienne en 1985 et qui est publiée pour la première fois en français. 

Yves Chiron

 

ANTONI GAUDI
L’architecte de Dieu
PATRICK SBALCHIERO 
Artège, 2022, 198 pages, 18,90€

Alors que s’achève enfin à Barcelone la construction de la Sagrada Familia, ce livre apporte un bel éclairage spirituel sur son architecte, Antoni Gaudi (1852-1926), qui consacra sa vie à cette extraordinaire réalisation menée 43 ans durant. De jeune architecte mondain et adulé, il devint celui que l’on surnomma « le moine architecte », menant une vie ascétique dans l’effervescence de ce chantier colossal, hommage à la Création et à la nature qu’il aimait tant. Encouragé par Jean-Paul II, le procès de béatification de Gaudi est déjà bien avancé.

Anne-Françoise Thès

L’ÉGLISE BRÛLE
Crise et avenir du christianisme
ANDREA RICCARDI
Cerf, 2022, 328 pages, 22 €

Le titre de cet essai a été inspiré par l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris en avril 2019. Pour son auteur, l’historien italien Andrea Riccardi, qui est à l’origine de la communauté Sant’Egidio, fondée à Rome en 1968, « l’événement a pris l’aspect symbolique de la disparition non pas d’une église mais de l’Église ».
C’est d’un « déclin civilisationnel » qu’il s’agit, précise-t-il, avant d’entreprendre le diagnostic très documenté de la situation actuelle du catholicisme. Au-delà des statistiques, Riccardi analyse les causes et les manifestations de la perte de la foi et de la pratique du culte. Celles-ci se conjuguent avec « l’affirmation radicale de l’individu et de sa liberté, qui a déjà mis en difficulté la famille dans sa forme traditionnelle » pour produire « un effet explosif sur la vie religieuse et sur l’obéissance ». Si bien qu’aujourd’hui « le monde des religieux semble voué à l’insignifiance alors que d’un point de vue historique il a constitué, des siècles durant, le “jardin” de l’Église ou, si l’on veut, sa réserve la plus précieuse ». Quant au déclin du sacerdoce, l’auteur l’attribue à « la crise du modèle de l’autorité masculine, phénomène trop peu mis en évidence ». L’auteur préconise également une meilleure prise en compte des ressources spirituelles et humaines des femmes, sans pour autant céder aux revendications idéologiques du féminisme. À tout cela s’ajoutent la déculturation et l’oubli de la mémoire catholique, ainsi que l’impact de la laïcité et de la sécularisation sur la perte d’influence de l’Église, y compris dans le champ culturel et politique, et enfin l’apparition de nouvelles propositions religieuses comme les communautés néo-protestantes.
Face à cette situation, Riccardi consacre un chapitre important à la réévangélisation qu’il fait remonter à la période d’avant Vatican II. C’est l’occasion pour lui de passer en revue les efforts accomplis par les derniers papes, avec leurs charismes et styles respectifs. En aucun cas, il ne veut céder au pessimisme, refusant de confondre l’agonie avec la mort et la crise avec le déclin. « Agonie, au sens profond du terme, est lutte et non résignation », assure-t-il au terme de cet ouvrage marqué du sceau de la lucidité et de l’espérance.
Mais comment ne pas regretter le peu d’importance qu’il accorde au défi de l’islam, thème que ce catholique engagé dans le dialogue interreligieux semble vouloir traiter lorsqu’il souligne dans l’introduction le parallèle entre l’incendie de Notre-Dame et le retour de la basilique Sainte-Sophie d’Istamboul au culte islamique, survenu un an après ? « Notre-Dame brûle et Sainte-Sophie redevient mosquée. Cela fait justement réfléchir sur la force de l’islam. »

Annie Laurent

UN ENFANT DANS LA PRIÈRE
MONA LE CUNFF

Salvator, 2022, 120 pages, 15 €

Des chocs et fêlures provoqués par de violentes épreuves peuvent aussi jaillir la vie et la lumière. Ainsi en est-il d’épaves transformées en lieux de vie pour une extraordinaire faune sous-marine. Mona Le Cunff a ainsi été victime, enfant, d’abus sexuels et de maltraitance dans une famille dysfonctionnelle du nord de la France. Renouant avec la foi après plus de vingt ans d’errance, la jeune femme a laissé Dieu panser ses blessures, la guérir et l’aider à pardonner. De cette renaissance spirituelle est née en 2000, avec l’accompagnement du Père Bruno Daniel, son père spirituel, une œuvre de miséricorde nommée « Un enfant dans la prière » (UEDLP). Cette association, reconnue par l’Église, invite à porter dans la prière les enfants victimes de toutes formes de maltraitance mais aussi leurs bourreaux adultes ; une initiative qui trouve un écho particulier en ces temps de scandale de la pédophilie dans l’Église. Dans ce livre, cette mère de famille, enseignante, donne son témoignage et explique la genèse et les fruits de cette association de prière dans laquelle se sont engagés des milliers de priants originaires de plus de 45 pays. Pratiquement, ne sont confiés à chaque priant qu’un prénom d’enfant et qu’un prénom d’adulte (sans aucun rapport entre eux), sans autres détails. Et cet engagement à prier est à vie. Une initiative salutaire !

Léonard Petitpierre

MADEMOISELLE DE CORDAY
JEAN DE LA VARENDE
Via Romana, 2022, 120 pages, 16 €

Cet ouvrage publié en 1939 n’est pas un fruit de la maturité de l’auteur mais un mélange qui oscille entre la biographie, le roman, la nouvelle. La Varende retrace le parcours de cette fille de la petite noblesse, catholique, aux idées avancées. Elle se radicalise quand se radicalisent les événements révolutionnaires. L’idée fait son chemin : éliminer Marat. Jean de La Varende, catholique et royaliste, dans un style efficace, clair et classique, absout cette jeune femme au cœur viril alors que l’opinion fait d’elle une déséquilibrée, une hystérique.

Nicolas Kinosky

LE CHRISTIANISME EN HISTOIRE(S)
Philippe Roy-Lysencourt

Éditions de L’Homme Nouveau/Institut d’Étude du Christianisme, 2022, 162 pages, 19,90 €

L’auteur, qui est docteur en histoire et docteur en sciences des religions, est professeur à l’Université Laval, à Québec. Il donne aussi à L’Homme Nouveau des chroniques d’histoire du christianisme. Celles publiées en 2020 et 2021 sont recueillies en volume. Les vingt-cinq « petites histoires » rassemblées ici portent sur des sujets et des époques très diverses : par exemple, le premier concile du Vatican (1869-1870), l’origine et le sens de la fête de la Chandeleur, le procès posthume intenté au pape Formose en 897, la fondation du séminaire français de Rome, l’histoire de l’Ave Maria, l’itinéraire d’Édith Stein. Le livre s’adresse à un large public. Les textes sont courts, sans note ni référence, mais comme le souligne l’auteur dans son introduction : « rien n’a été sacrifié à la rigueur et chaque information a été scrupuleusement vérifiée et contrevérifiée. » La diversité des sujets (un personnage, un événement, un lieu, un objet, un bâtiment ou une prière) et le format du livre (une belle édition cartonnée sur papier glacé) en font un ouvrage à la fois attrayant et instructif.

Yves Chiron 

GEORGE ORWELL
THOMAS RENAUD

Pardès, 2022, 128 pages, 12 €

Alors qu’Orwell revient sur le devant de la scène, cette petite biographie offre un résumé clair et synthétique de sa vie. L’ouvrage décrit tout d’abord le milieu social du jeune Éric Blair (petite bourgeoisie britannique) et son éducation à Eton, puis son expérience, cruciale, comme administrateur colonial en Birmanie. Enfin, l’ouvrage nous décrit George Orwell journaliste et écrivain. Il revient sur son engagement pour une gauche anti-autoritaire, son éloge de la common decency opposée aux prémices du gauchisme, s’arrête sur sa conception de l’écologie dont certaines intuitions spirituelles peuvent faire penser à l’écologie intégrale. Il revient aussi sur sa lutte antitotalitaire contre le nazisme, le fascisme et le stalinisme. Celle-ci s’enracine dans son expérience en Catalogne durant la guerre d’Espagne, mais il a su lui donner une portée universelle. Pour finir, le livre fait un sort aux liens qu’a entretenus Orwell avec d’autres représentants de la gauche antitotalitaire britannique ou française comme Arthur Koestler, André Malraux ou Albert Camus. Il traite d’ailleurs de certaines interprétations erronées voyant dans 1984 et dans La ferme des animaux uniquement une critique du communisme soviétique sans comprendre qu’Orwell s’oppose avec virulence à ce régime au nom d’idéaux de gauche qu’il estime défigurés par l’URSS.

Un ouvrage clair, concis et pédagogique pour mieux comprendre cet auteur britannique important.

Rainer Leonhardt

LE PAPE PRISONNIER DE L’EMPEREUR
Pie VII et ses geôliers
SERGE CERUTI

Salvator, 2022, 236 pages, 23 €

L’épiscopat exilé, le clergé dispersé, le recrutement tari, on n’ose imaginer quel avenir attendait la dolente Église de France si Bonaparte, grâce au Concordat signé en 1801, promulgué en 1802, ne l’avait tirée du sombre puits où elle se noyait – tandis que le pape lui-même, Pie VI, personnellement agressé dans ses États en 1798, chassé de ceux-ci puis arrêté en 1799 sur l’ordre du Directoire, était mort en déportation quelques mois plus tard. Il eut néanmoins un successeur, élu le 14 mars 1800 à Venise : Gregorio Chiaramonti, cardinal-évêque d’Imola, lequel prit le nom de Pie VII pour honorer la mémoire de son devancier, « le pape martyr ».
Ayant rejoint Rome abandonnée par les Français, Pie VII ignore le nouveau pouvoir consulaire (installé au mois de novembre 1799) qui, de son côté, ne reconnaît en lui ni un souverain temporel, ni un chef spirituel. Mais cela allait changer, à la fin de 1800, quand débutèrent les difficiles négociations concordataires dont nous savons l’épilogue. Aussi, accompli cet « acte sauveur », non dénué cependant, au point de vue catholique, de cruels mécomptes, la présence réclamée du pape, le 2 décembre 1804, à la cérémonie du sacre napoléonien, laissait espérer un vrai réveil religieux. Bientôt compromis par des conflits de tous ordres, suivis en 1808 de l’occupation de la Ville éternelle et, en 1809, à la fois de l’annexion des États pontificaux et de l’enlèvement de Pie VII, emmené à Savone… où il demeurera jusqu’en juin 1812, date de son douloureux transfert vers Fontainebleau. Entre-temps, un concile national s’était tenu en 1811 à la demande expresse de l’empereur pour tourner, sans grand succès, ses résistances en matière canonique.
Détenu, après Savone, au château de Fontainebleau, une sorte de néo-Concordat, censé terminer l’âpre lutte, et que Napoléon avait momentanément arraché à sa faiblesse le 25 janvier 1813, fut encore une bien dure épreuve infligée au prisonnier. Néanmoins en 1814, effet des graves déboires militaires, voilà Pie VII reconduit à Savone. Toujours prisonnier ? Cela fut court et le 24 mai, l’Empire écroulé, il rentrait à Rome. Quant au restaurateur, très peu croyant, de l’Église de France, son projet, colossal et absurde, d’asservir la papauté se dissipa sur-le-champ.

Michel Toda

Romans à signaler

LE MAGE DU KREMLIN
GIULIANO DA EMPOLI

Gallimard, 2022, 280 pages, 20 €

Vadim Baranov eut un destin singulier. Artiste vivotant dans la télé-réalité, il se trouve propulsé parmi les principaux conseillers de Poutine, dit le Tsar. Rien ne le prédisposait à une telle fonction d’éminence grise ; mais il a en commun avec son maître de « sentir » la Russie profonde et cela le mènera à son heure de gloire lorsqu’il orchestrera la mise en scène de l’ouverture des Jeux olympiques de Sotchi (2014). Finalement lassé d’une vie certes intense mais qui ne lui appartient plus, fatigué aussi des intrigues entourant le pouvoir, il donne sa démission et raconte son aventure dans ce récit de belle facture. Tout sonne vrai dans ce roman et l’on est impressionné par la connaissance de l’auteur des arcanes du pouvoir russe. Poutine n’y apparaît pas comme le fou irresponsable que l’Occident aime dépeindre depuis son agression contre l’Ukraine : l’auteur en fait un homme certes sans scrupules, mais avant tout hanté par la Russie et sa grandeur, prêt à tout pour défendre le bien de sa patrie, un homme terriblement seul aussi. Toutes les considérations politiques de l’auteur sont dignes d’intérêt et mériteraient d’être méditées par nos dirigeants aux idées trop simplistes. Un Grand Prix du roman de l’Académie française 2022 bien mérité.

Christophe Geffroy

GHAZAL
Al-Kahira 1970
BAT YE’OR

Les Provinciales, 2022, 174 pages, 18€

Après Moïse et Eli, Ghazal clôt la trilogie Bien-aimés les souffrants…, fresque romanesque de la vie d’une famille juive en Égypte, sous domination musulmane, depuis le XIXe siècle. L’auteur, Juive d’origine égyptienne, est spécialiste de l’étude des relations de domination, sous le terme consacré de dhimmitude, et de l’oppression de l’islam sur les minorités religieuses, juive et chrétienne essentiellement.
Nous pénétrons par la force de ce roman dans le quotidien de cette famille qui, jusque-là, avait traversé, malgré les vicissitudes de leur condition de dhimmi, les grands épisodes de l’histoire égyptienne : occupation napoléonienne, guerres mondiales, guerres israélo-arabes, expulsion des Juifs par Nasser.
Avec Ghazal, dernier maillon familial, l’histoire s’accélère : la jeune fille qui rêve d’émancipation se heurte à la réalité aussi antisémite que kafkaïenne de l’époque nassérienne. C’est brillamment et tragiquement raconté. Avec elle, le portail des Figuiers, propriété familiale ne tardera pas à se fermer définitivement, montrant que l’espoir d’une cohabitation paisible retrouvée n’était que chimère.

Anne-Françoise Thès