Cinéma Avril 2023

Je verrai toujours vos visages

29 mars 2023
Dans la Justice Restaurative, dispositif créé en 2014 par le garde des Sceaux, on réunit des personnes impliquées dans une infraction, victimes et auteurs. Nassim, Issa et Thomas, condamnés pour vols avec violence, rencontrent Grégoire, Nawelle et Sabine, victimes, qui de homejacking (cambriolage en leur présence), qui de braquage ou de vol à l’arraché. La violence change de nature avec Chloé, victime de viols incestueux. Sur leur parcours de Justice Restaurative, colère et espoir, silences et mots, alliances et déchirements, prise de conscience et confiance retrouvée… Avec au bout peut-être, parfois, la réparation.
Jeanne Herry, reprend le style de mise en scène qui avait fait le succès de son premier film, Pupille, à propos d’un bébé né sous X : des personnages si exactement décrits qu’ils semblent réels – mais ce sont bien des acteurs – dans un cadre particulier – les services de la petite enfant – riche de vie et d’implications sociales. Pour son nouveau film, ce cadre est la prison, mais vue du côté des séances de Justice Restaurative. Il y a beaucoup de codes à respecter pour que fonctionnent ces échanges entre délinquants et victimes. Ainsi formatée, la parole est d’abord rare et chacun se persuade qu’il n’y a rien de plus à dire qu’au tribunal. Puis, peu à peu, la confiance s’insinue et la parole prudemment se libère. On pourrait douter que cela puisse faire un film. C’est sans compter avec le talent rare de Jeanne Herry pour susciter du réel dans la fiction. Tous ses acteurs sont extraordinaires de vérité. On pourrait croire la réparation impossible. Mais, rappelle Pascal, « l’homme passe infiniment l’homme ».

Les trois mousquetaires

5 avril 2023
Pas de ruse dans le titre, il s’agit bien une adaptation des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas, centrée sur le quatrième d’entre eux, le jeune et intrépide d’Artagnan. Le sujet passionne autant les réalisateurs américains que français et ce sont les premiers qui ont le plus produit ces dernières années. Martin Bourbelon corrige aujourd’hui la balance avec son d’Artagnan entièrement « made in France » qui prend rang aussitôt parmi les joyaux du cinéma populaire de qualité. Premier atout : la distribution, qui rassemble nombre des meilleurs comédiens du moment, hommes et femmes, spécialement pour les mousquetaires où François Civil, Vincent Cassel, Pio Marmai et Romain Duris forment un quatuor panaché. Parmi les femmes il faut citer l’étrangement belle Eva Green qui compose une Milady mémorable. Tout aussi délectable : les acteurs évoluent dans des décors tous naturels, qui offrent un résumé émouvant de l’art architectural classique. Les combats, sans exagérations, sont efficaces, agrémentés du cliquetis des lames, dans des assauts bien chorégraphiés. Chacun appréciera aussi d’entendre des dialogues en français correct, parfois châtié, où se glisse à l’occasion telle réplique authentique de Dumas.

François Maximin

DVD à signaler

HARKA
Film de Flofty Nathan avec Adam Bessa,
Blaq Out, 2023, 1h24, 19,99 €

Ce film raconte l’histoire vraie de Mohamed Bouazizi, jeune Tunisien qui s’immola par le feu en 2010, et qui fut ainsi à l’origine du « Printemps arabe » dans son pays. Mohamed survit en vendant de l’essence de contrebande quand il apprend la mort de son père, criblé de dettes à rembourser sous peine d’expulsion de la maison où habitent ces deux jeunes sœurs dont il a désormais la charge. Le tableau de la société tunisienne vue par un pauvre hère qui ne parvient pas à s’en sortir est terrifiant : absence de travail, corruption généralisée, indifférence totale au malheur des autres sans l’ombre d’une solidarité, tout est bien noir et sans issue, on comprend l’envie de fuite du héros ! Le film est remarquablement joué par Adam Bessa (qui reçut la palme d’or à Cannes pour ce rôle), la mise en scène lente et la photographie crépusculaire donnent à ce film exigeant, rude et dur une certaine poésie, mais le manque total d’amour et d’espérance lui confère une dimension nihiliste vraiment désagréable.

Patrick Kervinec

© LA NEF n° 357 Avril 2023