La période est, paraît-il, à la « démocratie participative », que certains désignent comme « l’ensemble des démarches qui visent à associer les citoyens au processus de décision politique » (1) et que l’on pourrait définir comme une participation directe des citoyens au processus de création de la norme, particulièrement législative. Car il s’agit bien de cela concernant les « Conventions citoyennes » mises en place en 2019 pour le climat et en 2022 pour la question de la fin de vie.
La composition de ces « Conventions » est le fruit de tirages au sort et est censée être représentative de la population française. L’institution qui porte ces conventions est le Conseil économique, social et environnemental (CESE, prononcer « Céseu »), avec un « comité de gouvernance » dont on comprend aisément qu’il est là pour orienter le débat dans le sens voulu et un « Collège de garants », pour la Convention sur la fin de vie (2).
L’appréciation que porte le juriste sur le recours à ces « Conventions citoyennes » ne peut être que sévère, pour un ensemble de raisons.
La première est que ces instances n’ont aucune existence, ni constitutionnelle, ni légale. Aucune disposition de notre Constitution ne prévoit ce type d’instance pour préparer ou participer à une décision normative, loi ou règlement. La loi est muette sur ce type d’instance et on ne voit pas pourquoi les parlementaires souhaiteraient se dessaisir de leur pouvoir législatif au profit des citoyens alors que ces derniers les ont justement élus pour les représenter… Pour les deux « Conventions », une simple lettre du Premier ministre au président du CESE suffit à justifier leur existence, par rattachement à ce que l’un des sites « conventionnels » qualifie de « troisième Assemblée de la République, et acteur légitime en tant qu’assemblée constitutionnelle indépendante, dont la vocation est d’être le carrefour de la participation citoyenne ». Bigre ! quelle responsabilité !
La légitimité démocratique de ces « Conventions » est ensuite la plus faible qui soit : tirage au sort, c’est-à-dire le niveau zéro de la représentation démocratique avec une opacité complète des modalités de ce tirage au sort ; aucun fondement normatif, même pas réglementaire, qui permettrait d’inscrire ce processus de consultation dans un minimum d’action administrative ; mais surtout derrière l’apparence de liberté des débats et des conclusions, une forte orientation des questions et, d’après les réactions de certains membres de ces « Conventions », un processus de manipulation confié à des « communicants » expérimentés qui savent parfaitement orienter la pensée dans le sens et le but recherchés.
Les résultats de ce type de « Convention » relèvent de la même critique : si les acteurs de ces réunions n’ont aucune légitimité, ni démocratique, ni même savante, il est clair que leurs conclusions et recommandations n’ont aucune valeur normative et même de témoignage. Aucune norme ne peut résulter d’un tel processus. On est pourtant stupéfait de l’engagement qu’avait pris le président de la République en installant la « Convention citoyenne pour le climat » en 2019 : « Ce qui sortira de cette convention, je m’y engage, sera soumis sans filtre soit au vote du Parlement, soit à référendum, soit à application réglementaire directe » (conférence de presse, 25 avril 2019). Heureusement, cette intention ne s’est pas traduite en actes et décisions, ce qui laisse espérer qu’il pourrait en être de même pour la « Convention fin de vie ». Le pire n’est jamais certain. Mais il faut surtout souligner le fait qu’aucun des participants à ces « Conventions » n’a reçu de mandat, de quiconque, et n’a à rendre de comptes à quelque mandant que ce soit. On doit en tirer la conclusion nette que les propositions de ces « Conventions » n’engagent personne : ni pouvoirs publics, ni représentation nationale, ni aucun citoyen qui n’est ici nullement représenté.
La critique majeure du recours à ce procédé est qu’il n’est pas représentatif. Nos démocraties sont fondées sur la légitimité démocratique de leurs dirigeants, Exécutif comme Législatif, c’est-à-dire sur le principe de l’élection, contrôlée et sûre. Ce sont ces procédés qu’il faut renforcer, à commencer par ceux de la démocratie : référendum, appel au Peuple souverain, élections d’un Parlement.
Le reste doit être apprécié pour ce qu’il est : un contournement de la volonté du peuple souverain, c’est-à-dire un ersatz de démocratie, autrement dit une tromperie. Les Français veulent que leur régime constitutionnel fonctionne en les consultant directement. Ils ne souhaitent pas qu’on les contourne par des procédés de prestidigitateurs.
Guillaume Drago
Professeur agrégé des Facultés de droit
(1) L. Blondiaux, site vie-publique.fr
(2) La définition de ce « Collège » est ainsi donnée par le site internet de cette « Convention » : « Un collège de garants est missionné pour veiller au respect des principes essentiels de la Convention Citoyenne : sincérité, égalité, transparence, respect de la parole citoyenne. Les garants s’assurent aussi que les conditions sont réunies pour garantir l’indépendance de la Convention Citoyenne. »
© LA NEF n° 357 Avril 2023