Père Philippe-Marie Margelidon

Le péché originel et sa transmission

Le Père Philippe-Marie Margelidon, dominicain de la province de Toulouse, est directeur de la Revue thomiste et Président d’ACTA. Voyez le programme sur le site : https://thomas-aquinas-jubileum.org Il vient de publier un essai stimulant sur le péché originel (1).

La Nef – Le péché originel, qui n’est pas mentionné dans les Évangiles, est contesté par certains théologiens : que penser de ce récit de la Genèse qui décrit le péché originel, et qu’est-ce que l’Église nous enseigne à travers lui ?
Père Ph.-M. Margelidon – Le terme de péché originel n’est pas mentionné dans l’Écriture – mais on ne trouvera pas plus le terme trinité ou transusbtantiation – néanmoins la réalité y est, à savoir un évènement primordial de nature négative qui s’est inscrit dans l’histoire des origines : un acte spirituel et privatif a eu lieu qui concerne toute l’humanité, passée, présente et à venir. C’est ce que dit par mode de récit de type mythique la Genèse. Cet événement a été révélé ensuite aux hommes dans l’Écriture. Il a eu deux effets concomitants : la privation coupable de la grâce, ce qu’on appelle la privation de la justice originelle et qui est en chaque homme le « péché originel originé ». Ce péché est contracté par voie de génération humaine issue d’Adam et Ève (le premier couple humain), péché qui place l’humanité dans la condition mortelle et souffrante. On ne peut interpréter la Genèse sans Rm 5, 12-20, parce que l’Écriture forme un tout où les parties se répondent, de telle manière qu’elle ne s’interprète pas sans l’Église. Le dogme du péché originel permet de comprendre et d’interpréter l’Écriture et l’Écriture le dogme de la foi. Pour comprendre l’Écriture, son contenu doctrinal et révélé, il faut passer par l’Église et son enseignement authentique, lequel est fondé et mesuré par l’Écriture.

Quelles seraient les conséquences de la négation du péché originel pour la foi catholique ?
On ne comprendrait plus dans toute son extension et sa profondeur la raison de l’incarnation et de la rédemption. Le premier péché qui affecte tous les hommes, et tous les péchés qu’il a rendus possibles par la suite, ne peuvent être remis que moyennant l’incarnation rédemptrice. Au drame du péché ont répondu la miséricorde divine et sa justice, à savoir la croix rédemptrice et la vie humaine du Fils de Dieu.

Saint Thomas développe une vision très « misogyne » du péché originel : quel est malgré tout son apport sur cette question et sur sa transmission ?
Non, la vision négative de la femme, qui ne lui est pas propre, ne change rien à la réalité et à la nature du péché originel « originant », qui est le fait d’Adam et d’Ève ensemble. Saint Thomas n’est pas misogyne, mais il se fait une conception critiquable et réductrice de la femme et de son rôle, c’est indéniable, cependant voyez comment le Catéchisme de l’Église catholique (n° 355-383, 386-409) rétablit les justes perspectives, alors même qu’il reprend pour l’essentiel l’enseignement de la tradition, du magistère conciliaire des premiers siècles et de saint Thomas.

Vous vous arrêtez longuement aux catéchèses de saint Jean-Paul II sur le péché originel : comment résumeriez-vous son enseignement sur ce thème ?
Ces admirables et nombreuses catéchèses sur le péché originel, uniques en leur genre, ont une tonalité personnaliste et restituent le péché originel dans sa perspective authentique, à savoir la rédemption. On peut dire que le pape n’oublie jamais en arrière-fond de son enseignement sur le péché originel le principe paulinien décisif : « là où le péché a abondé la grâce a surabondé ». Le péché d’Adam, qui est notre péché, a été surcompensé et réparé par l’œuvre rédemptrice du Christ. La liberté défaillante de l’homme a été ressaisie et accomplie dans l’obéissance libre et parfaite du Christ.

Il y a un double anniversaire de saint Thomas d’Aquin (800 ans de sa naissance en 2025 et 700 ans de sa canonisation en 2023) : comment ce double événement est-il commémoré ?
L’Association pour les centenaires saint Thomas d’Aquin (ACTA) que je préside a reçu de la province dominicaine de Toulouse la mission de célébrer d’abord la canonisation en 2023 du Docteur Commun et universel de l’Église, puis en 2025 sa naissance selon trois orientations : religieuse, intellectuelle et culturelle. Saint Thomas d’Aquin est le plus grand saint dans l’ordre de l’intelligence de la foi, il convient donc d’honorer cette dimension capitale, mais c’est aussi un saint pour tout le monde, pas seulement pour les intellectuels, d’où l’organisation d’événements qui veulent atteindre différents publics jusqu’aux incroyants ou indifférents. On pourrait résumer le tout dans la triade suivante : vénération (culte des reliques et offices), réflexion (colloques et publications), culture (exposition, théâtre et musique). Si vous me permettez, nous avons besoin d’aides pour financer ces projets qui sont uniques. On n’avait jamais fait quelque chose d’équivalent depuis deux siècles. Or saint Thomas d’Aquin le mérite. N’est-il pas « l’apôtre de la vérité catholique », comme aimait le dire saint Paul VI (cf. Lumen Ecclesiae [1974], n°5) ?

Propos recueillis par Christophe Geffroy

(1) Père Philippe-Marie Margelidon, La condition originelle et la tentation d’Adam, le péché originel et sa transmission, Téqui, 2023. 248 pages, 23,90 €.

© LA NEF n° 357 Avril 2023