Lectures Mars 2023

PETIT CARÊME
JEAN-BAPTISTE MASSILLON
Édition de Sophie Hache, Classiques Garnier, 2022, 198 pages, 24 €.

À Massillon, un des quatre évêques du Grand-Siècle représentés sur la fontaine de Saint-Sulpice, on se souvient qu’on doit la première phrase de l’oraison funèbre de Louis XIV : « Dieu seul est grand, mes frères ! » Par sa brièveté géniale dans des moments d’hommage à « Louis le Grand », la mise en garde condense l’idée que l’évêque de Clermont se faisait de Dieu, d’un roi… et d’un prédicateur.
Prononcé en 1718 dans la chapelle du château des Tuileries devant le jeune Louis XV, le Petit Carême oublié, que rééditent les éditions Garnier, manifeste à quel point la chaire classique fût le lieu d’une parole libre, comme un antidote au système courtisan. Si tous ces sermons commencent par « Sire » et mettent en avant la responsabilité des grands, ce n’est sûrement pas pour prendre les serviteurs pour le Maître : « Quel avilissement pour nous, si nous faisons du ministère même de la vérité un ministère d’adulation et de mensonge ; si, dans ces chaires mêmes destinées à instruire et à corriger les grands, nous leur donnons de fausses louanges qui achèvent de les séduire. »
Passez votre chemin, curés mielleux, prélats mondains ou évêques complaisants avec les puissants : « Les conseils agréables sont rarement des conseils utiles, et ce qui flatte les souverains fait d’ordinaire le malheur des sujets. » Il faudrait être aveugle pour croire que les mots de Massillon ne concernent que les monarques passés. Lorsqu’il écrit que « le premier penchant des peuples est d’imiter les rois » et que, par conséquent, « le premier devoir des rois est de donner de saints exemples aux peuples », il est aisé de voir que les « rois », aujourd’hui comme hier, sont légion. Chacun peut même se demander quelles sont ses propres royautés exigeant l’exemplarité.
Sous Louis XIV, on opposait petit et grand carême en fonction du nombre de sermons prononcés, un par dimanche ou trois par semaines. On est tenté de penser que, pour Massillon, tout carême, comme tout roi et tout prédicateur, est petit, parce que Dieu seul est grand.

Henri Quantin

MÉDITATIONS POUR PRIER LE ROSAIRE
PÈRE LUC DE BELLESCIZE
Préface de Mgr Jean-Marc Micas, évêque de Lourdes, Mame, 2023, 144 pages, 14,95 €

Petit, léger, voilà un bel objet qui peut tenir dans tous les sacs et vous accompagner partout où vous irez ! On y passe par tous les mystères du rosaire, chacun se voyant réservé le même sort : une toile de maître en guise d’illustration, un passage d’Écriture ad hoc, une méditation écrite par le Père Luc de Bellescize qui se conclut par une proposition d’intention ou de grâce à invoquer.
La poésie et la beauté des textes se mettent au service de la méditation, elles nous embarquent et nous disposent à la récitation du chapelet – et plus loin encore : à un petit bout d’oraison. Nous le savons déjà, le beau élève l’âme ; il n’est néanmoins pas si courant qu’une écriture parvienne à ce point de réconciliation du beau et du bon, du simple et du profond. Riche en images et en pouvoir de suggestion, riche aussi de ses références bibliques et littéraires, elle nous donne à voir pour mieux donner à méditer. Elle nous donne le Sauveur à contempler pour que nous puissions l’adorer. Elle garde toute l’épaisseur des « mystères » qui n’ont décidément pas été nommés ainsi au hasard, et nous aide à nous en approcher sans jamais chercher à réduire leur charge surnaturelle.
C’est un objet précieux à acquérir en ce début de carême : nous ne connaissons pas de meilleure façon de nous inviter à tout arrêter pour prier le chapelet. Lequel est, comme chacun sait, une grâce et réjouissance infinies une fois qu’on l’a dit, mais une montagne à gravir quand il s’agit de lui trouver une place dans nos journées et de « s’y coller ». En la matière, tout est dans le passage à l’acte : ces méditations arrivent à point nommé pour nous prendre par la main et nous encourager à franchir le pas !

Élisabeth Geffroy

LES DOUZE MENSONGES DU GIEC
Tome 2 – De La Religion écologiste
CHRISTIAN GERONDEAU
Éditions de l’Artilleur, 2022, 160 pages, 16 €

Climato-sceptique, cet ouvrage l’est sans aucun doute, et ce dès le titre. Inintéressant pour autant, complotiste pour autant ? Rien n’est moins sûr pour celui qui l’a lu. Car Christian Gerondeau, ancien polytechnicien, s’appuie sur des données scientifiques de climatologues, de météorologues ou encore de glaciologues, et même sur les propres chiffres du GIEC, pour relativiser et réfuter les thèses catastrophistes actuelles. À rebours de la doxa ambiante, l’auteur doute de l’expertise de ce « Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat », qui est en réalité tout sauf un groupe d’experts, mais une émanation de l’ONU composée de représentants des différents pays, c’est-à-dire avant tout un groupe à vocation géopolitique, et peut-être idéologique, comme va le soutenir C. Gerondeau. Avant les douze mensonges du GIEC, une accroche, ou plutôt un camouflet : le refus de l’Inde et de la Chine, le 13 novembre 2021 à la COP 26 de Glasgow, de signer un texte qui enjoindrait les États signataires à atteindre la neutralité carbone, c’est-à-dire à faire disparaître leurs émissions de CO2. La raison de ce refus : les centaines de milliers de morts annuels en Inde du fait du manque d’électricité, de la cuisine insalubre au bois ou au kérosène, et plus généralement du manque d’accès à l’énergie. L’argument est donc de taille et impose un réalisme et un pragmatisme à toute épreuve : des énergies carbonées (produites par des centrales à charbon, à gaz ou à pétrole) dépend la survie de millions de personnes vivant dans les pays en développement. Imiter la Chine et ouvrir de nouvelles centrales à charbon, de nouvelles mines, est donc devenu un impératif pour ces pays.
Face au réalisme se trouve selon Christian Gerondeau l’idéologie, véhiculée par la propagande du GIEC à travers douze mensonges. Point n’est besoin de les énumérer tous ici, donnons-en seulement la substance. Selon l’auteur, les thèses prévisionnelles du GIEC et des militants de la religion écologiste, animés par une foi inébranlable, sont toutes hyperboliques et endoctrinent la population, et surtout la jeunesse : que ce soit le taux de dioxyde de carbone dans l’atmosphère, la prévision de la montée des océans ou le réchauffement climatique, nouveau responsable de la moindre inondation et de toutes les catastrophes naturelles, tous ces cris venus de l’Occident sont en réalité démesurés par rapport à une réalité bien moins alarmante. Pour garder son esprit critique, il est nécessaire de regarder de près les chiffres et les données scientifiques. De plus, cette nouvelle religion agit contre le bien d’une humanité qui a plus que jamais besoin des énergies fossiles pour sortir de la misère. Enfin, le GIEC et la doxa occidentale font croire qu’il existe un consensus scientifique autour de la question du climat, et qualifient de complotistes les voix dissidentes, alors qu’en réalité de nombreux scientifiques, à la voix moins criarde certes que les militants dépourvus de tout esprit scientifique, veulent nuancer la pensée unique des médias et des universités et prônent un réalisme climatique fondé en raison.
En définitive, le discours écologiste semble relever pour C. Gerondeau d’une énième manifestation de la lutte des classes, avec d’un côté des Occidentaux égoïstes, le plus souvent bourgeois et bobos, et de l’autre les pays en développement qui reçoivent les injonctions écologistes alors que leur population vit dans des conditions précaires. D’où le manifeste présent dans l’ouvrage : Poor people lives matter. Car au milieu de ces débats d’idées qui confinent à l’hystérie, il y a une réalité humaine qu’il ne faut pas oublier.

Gabriel Daruni

ABATTRE L’OCCIDENT
Comment l’antiracisme est devenu une arme de destruction massive
DOUGLAS MURRAY
L’Artilleur, 2022, 420 pages, 22 €

Depuis plusieurs années, l’Occident est la cible d’une attaque en règle qui cherche à le déstabiliser jusque dans les profondeurs de son identité. Tel est le diagnostic saisissant établi par Douglas Murray, journaliste et essayiste américain, qui livre dans cet ouvrage les résultats d’une enquête approfondie. « Alors que l’Occident est cloué au pilori pour tous ses méfaits, on ne lui reconnaît plus le moindre bienfait », observe-t-il dans l’introduction, mettant l’accent sur les conséquences néfastes qui en découlent pour les nouvelles générations, nourries des fautes et en même temps privées des gloires de leur civilisation.
Ces méfaits se retrouvent dans tous les domaines, à commencer par l’imputation du racisme aux Blancs, dès lors présenté comme une pathologie (Noir est devenu synonyme de Bien, Blanc synonyme de Mal). En affectant tous les secteurs de la vie, la haine de soi conduit l’Occident à se soumettre à des puissances impérialistes, dont la Chine est désormais au premier plan. Parmi les moyens privilégiés utilisés pour justifier cet énorme complexe, l’auteur retient la réécriture de l’histoire, illustrée notamment par la « frénésie iconoclaste » visant les statues des « Pères fondateurs ». Les racines philosophiques et religieuses de l’Europe ne sont pas oubliées dans cette entreprise de déconstruction. « Il faut vouer aux gémonies les Grecs antiques et la tradition chrétienne. Il faut prendre pour cible Aristote comme la Bible. » La littérature et l’art n’échappent pas à ces impératifs mortifères.
Face au défi existentiel auquel l’Occident est confronté, Douglas Murray recommande à ses héritiers d’exiger des autres la réciprocité de traitement dans tous les domaines, même si cette démarche entraîne de grandes souffrances. Lucidité, clairvoyance, courage et combativité caractérisent la démarche de l’auteur.

Annie Laurent

DROITES ET CATHOLICISME EN FRANCE ET EN EUROPE DES ANNÉES 1960 À NOS JOURS
Sous la direction de OLIVIER DARD et BRUNO DUMONSLARHRA (Laboratoire de Recherche Historique Rhône-Alpes), 2022, 316 pages, 18 €

Publié avant A la droite du Père, ouvrage dirigé par Florian Michel et Yann Raison du Cleuziou (Seuil, 2022), ce livre collectif aborde le même sujet sans avoir rencontré le même accueil médiatique alors qu’il est tout à fait digne d’intérêt. Dans l’introduction, Bruno Dumons explicite l’objectif de cet ouvrage : « Il vise à mettre l’accent sur les forces et les influences des réseaux, romains et transnationaux, sur lesquels s’appuierait ce processus de “droitisation” du catholicisme dont on ne mesure pas encore l’étendue à l’échelle d’une catholicité européenne et dont on sait par ailleurs que les échanges et les transferts avec les Amériques sont essentiels dans la recharge d’un catholicisme conservateur. » Pour ce faire, ce volume propose une douzaine d’études, œuvres d’universitaires maîtrisant leur sujet, sur trois grandes thématiques : les expériences étrangères qui s’arrêtent sur quatre pays (Italie, Espagne, Belgique, Pologne) ; le cas français, ressuscitant ainsi d’intéressantes personnalités du catholicisme de droite (Marcel Clément, Jean Madiran, Michel de Saint Pierre, Pierre Debray) ; enfin les « circulations transnationales » entre catholiques français et l’Amérique ou la question du communautarisme catholique, chapitre de Yann Raison du Cleuziou qui évoque notamment les prises de position de La Nef sur ce débat en 2007. Bref, un livre riche qui mérite le détour et parvient à « ouvrir la réflexion historiographique et de croiser à nouveau l’histoire du politique et l’histoire du religieux », ainsi que l’espérait Bruno Dumons.

Christophe Geffroy

LA GUERRE D’INDÉPENDANCE AMÉRICAINE
PASCAL CYR ET SOPHIE MUFFAT

Passés Composés, 2022, 502 pages, 25 €

Le monde contemporain est né de la guerre que firent les colonies anglaises d’Amérique du Nord à leur métropole pour obtenir leur indépendance. L’ouvrage, très vivant et bien écrit, détaille les causes du conflit, le déroulement des opérations militaires et les raisons qui ont poussé la France de Louis XVI à soutenir les Américains. Les auteurs réalisent ici un travail sérieux empreint d’un réel esprit d’objectivité quand ils décrivent les motivations, les hésitations et les crimes des principaux acteurs de ce conflit. Ainsi, tous les officiers anglais ne furent pas des brutes et tous les Américains ne furent pas des patriotes généreux et désintéressés. L’aide décisive de la France est bien mise en valeur, ce qui aboutit à un paradoxe comme l’histoire en présente souvent : sans Louis XVI et son gouvernement, les jeunes États-Unis n’auraient pas obtenu leur indépendance, mais sans cette indépendance et l’influence décisive que la Révolution américaine eut sur la Révolution française, Louis XVI aurait très probablement conservé sa couronne et sa tête !

Bruno Massy

LE DÉCLIN D’UN MONDE
Géopolitique des affrontements et des rivalités en 2023
JEAN-BAPTISTE NOÉL’artilleur, 2022, 288 pages, 22 €

Conflit en Ukraine, affirmation de la puissance chinoise, bouleversements au Proche-Orient, expansionnisme turc, ces différents événements de l’actualité récente montrent que la géopolitique est plus que jamais à l’ordre du jour. Dans ce contexte, Jean-Baptiste Noé, rédacteur en chef de la revue Conflits, propose une synthèse utile dans son dernier ouvrage. Il définit tout d’abord les principes sur lesquels il fonde son analyse géopolitique avant de montrer comment l’approche géopolitique éclaire une série de cas concrets. Les thématiques abordées couvrent aussi bien l’Europe et ses frontières, la guerre économique, la résistible ascension de la Chine ou encore la situation en Afrique. Une quarantaine de cartes permettent une visualisation et une spatialisation très précieuses des thématiques géopolitiques. On peut, par exemple, penser à celles sur le terrorisme en Afghanistan montrant la stratégie insurrectionnelle des talibans qui s’oppose à la logique purement terroriste de l’Organisation État islamique par la différente amplitude géographique des attaques. La démonstration de la nature idéologique du régime chinois est pertinente, de même que l’analyse des faiblesses notamment démographiques de la Chine. Dans un registre différent, la réflexion sur le rôle crucial pour l’économie et la géopolitique mondiale de l’espace indo-pacifique met en lumière une zone trop méconnue où la France pourrait disposer, via les outre-mers, de nombreux atouts pour mener une politique d’influence. Un livre à lire pour décrypter les bouleversements du monde.

Rainer Leonhardt

LE HANDICAP AU FOND DU CARTABLE
Armelle Brière-Savard
Cerf, 2022, 176 pages, 18 €

Antoine, Salma, Camille, Jérôme, sont des jeunes en situation de handicap moteur dans un établissement scolaire adapté à côté de l’hôpital de Garches.
Ce type d’établissement comporte une majorité de jeunes en situation de handicap parfois très lourd ainsi que des élèves valides. Jérôme ne peut bouger que la tête. Camille est devenue tétraplégique à la suite d’un accident et doit faire avec les souvenirs de sa vie de valide. Salma doit vivre avec une maladie évolutive qui lui fait perdre peu à peu le contrôle de ses muscles. Antoine a des encombrements respiratoires mettant son pronostic vital en jeu. Pourtant, ils se battent : Antoine avait réussi à suivre des cours de natation en étant relié à la machine l’aidant à respirer. Camille va aller à l’université et aider une amie à se structurer et à sortir d’une addiction aux écrans. Salma arrive à comprendre qu’elle peut toujours vivre en relation avec autrui et Jérôme va réussir à passer son BAFA.
Ce livre montre que le soin dans le handicap repose sur le lien et l’empathie là où notre société a une tendance à prôner un individualisme égoïste. Il nous rappelle que nous sommes tous dépendants les uns des autres pour survivre et nous prouve que la dépendance peut aussi être lue comme une relation permettant de vivre notre vie autrement que comme une compétition. L’un des fruits de l’empathie, finement analysé, est la douleur morale qu’elle communique, même en présence de la souffrance. Cet ouvrage témoigne des relations pouvant s’établir entre valides et handicapés et de la façon dont la commune humanité permet de se rejoindre par delà des rapports sensibles au monde différents.
À l’occasion du débat sur la fin de vie, se développe un discours expliquant que certaines vies sont moins dignes d’être vécues que d’autres, les considérant comme ayant moins de valeur, et oubliant que nous existons aussi par notre relation à autrui : dans ce contexte, tout particulièrement, ce livre est un rappel salutaire.

Rainer Leonhardt

L’AVENTURE DU POLITIQUE
JULIEN FREUND
Perspectives libres, 2022, 250 pages, 23 €

L’ouvrage de Julien Freund (1921-1993), réédité par l’association souverainiste de Pierre-Yves Rougeyron, le Cercle Aristote, est un entretien de 1991 sur sa pensée, sa carrière et son histoire. Il oscille entre commentaire sur le monde actuel et considérations sur la civilisation. Comme il existe de l’ego histoire, Freund fait ici de l’ego philosophie, avec intelligence et pertinence. Le livre se partage entre goûts et dégoûts, ses références et son lignage intellectuel, son attrait pour la théorie politique d’Aristote à Carl Schmitt. Freund est un penseur souverainiste et un penseur de la civilisation, il égrène dans cet ouvrage les grandes idées qui couronnent la pensée du temps long : la décadence, la mémoire, le sacré et le religieux. Dans la perspective de la pensée politique, Freund analyse l’explosion des pays de l’Est, les nouveaux rapports après l’URSS. La complexité de certains propos donne de la profondeur à cet entretien.

Nicolas Kinosky

VIEILLIR DANS LA DIGNITÉ
GILLES BERRUTCerf, 2022, 144 pages, 15 €.

L’auteur est professeur de médecine gériatrique et chef du pôle de gérontologie clinique au CHU de Nantes. Le titre de son livre pourrait laisser croire qu’il traite de la fin de vie, prenant part au débat en cours sur l’euthanasie. Il n’en est rien. Le mot euthanasie ne figure même pas dans ce livre. En spécialiste du vieillissement, il expose longuement que le déclin ou le dysfonctionnement des fonctions cognitives sont « les principales responsables des difficultés d’autonomie et de troubles du comportement avec l’âge ». Il précise que 90 % des personnes qui résident en EPHAD souffrent de troubles cognitifs. Gilles Berrut explique aussi pourquoi « le modèle EPHAD dans sa conformation actuelle est à bout de souffle et doit être réformé urgemment et profondément ». La solution n’est pas dans la multiplication des EPHAD – 10 % seulement des personnes âgées y résident et l’espérance de vie y est « de l’ordre de 20 mois » (p. 128) – mais dans le développement du maintien à domicile et dans l’accompagnement au quotidien des personnes vulnérables (ce que l’auteur appelle le « virage domiciliaire »). Ce livre, qui s’attarde longuement sur les structures et les dispositifs existants, intéressera davantage les professionnels de santé qu’un large public. En revanche, il devrait être lu par les décideurs publics.

Yves Chiron

LE MONASTÈRE
Benoît XVI
Dix années dans l’ombre du Vatican
MASSIMO FRANCO
Artège, 2023, 260 pages, 19,90 €

Journaliste italien au Corriere della Sera, Massimo Franco relate ici les dix années passées par Benoît XVI au Monastère Mater Ecclesiae du Vatican, d’où le titre du livre. C’est la première fois qu’une histoire de cet aspect de la vie récente de l’Église est offerte au public par un auteur qui connaît son sujet. Il fait du « Monastère » un lieu central par où passe toute une frange conservatrice de l’Église peu en phase avec le pontificat de son successeur, notamment, parmi les plus prestigieux, le cardinal Müller, remercié par le pape François de sa charge de préfet pour la Congrégation de la Doctrine de la foi en 2017. Un homme semble jouer un rôle clé : Mgr Gänswein, secrétaire particulier de Benoît XVI et préfet de la Maison pontificale. L’auteur s’interroge sur le statut de « pape émérite » – statut qui devra à l’évidence être précisé à l’avenir – et sur « le mystère de la renonciation », évoquant au passage avec peu d’éléments en fait la conspiration de la « mafia de Saint-Gall ».
Si une bonne harmonie s’établit au début entre le pape émérite et son successeur, M. Franco montre qu’elle se rompt progressivement, notamment à l’occasion de la publication, en 2019, du livre de Benoît XVI rédigé avec le cardinal Sarah en défense du célibat sacerdotal, qui semble pouvoir être remis en cause lors du synode sur l’Amazonie.
Le ton et l’esprit de l’ouvrage, privilégiant le « spectaculaire », ne nous semblent pas les plus adaptés pour une analyse sereine et objective de cette période qui reste encore à explorer. Il est assurément bien informé et apporte certains éclaircissements, mais il convient d’être prudent et de recevoir ces révélations avec discernement.

Patrick Kervinec

DOROTHY DAY
Une rebelle au paradis
MATHILDE MONTOVERT

Éditions Première Partie, 2022, 232 pages, 16 €

Dorothy Day est une figure centrale du catholicisme américain. Dans ce livre au style aisé et fluide, Mathilde Montovert, membre de la Communauté du Chemin Neuf, nous présente sa vie et les leçons spirituelles que nous pouvons en tirer.
Issue d’une famille de la petite classe moyenne américaine et révoltée par les injustices, Dorothy Day s’est d’abord engagée dans l’extrême gauche marxiste, anarchiste et féministe comme journaliste et militante. Au cours de sa vie elle a trouvé le Christ, s’est convertie au catholicisme et a fondé avec Peter Maurin le Catholic Worker Movement qui vise à mettre en pratique l’option préférentielle pour les pauvres et à croiser les œuvres de solidarité et de charité. Inspiré par la doctrine sociale de l’Église, le bien commun, la subsidiarité, le personnalisme et le distributisme, le mouvement basé sur des maisons de vie communautaire s’est rapidement répandu à travers tous les États-Unis. Dorothy Day a ensuite mené un combat politique permanent conciliant des opinions radicales sur les sujets économiques, sociaux et politiques, une foi qu’elle définissait elle-même comme traditionaliste et une défense passionnée de l’enseignement de l’Église sur les questions de morale sexuelle. À la fin de sa vie, elle s’est aussi bien engagée en faveur de la non-violence, que pour la condition des ouvriers agricoles avec le syndicaliste Cesar Chavez, ou contre la ségrégation raciale et pour le soutien de l’enseignement de l’Église sur la défense de la vie. Après sa mort, le Catholic Worker Movement continue à être actif et son procès de béatification est en cours.
Alors que nous vivons une époque troublée et que de nombreux jeunes ont une soif de justice sociale, l’exemple de Dorothy Day peut les éclairer et les aider à trouver une alternative. Ce livre fait découvrir une personnalité originale et attachante.

Rainer Leonhardt

PRIERE POUR LES TEMPS PRESENTS
OLIVIER LEBORGNE
Seuil, 2022, 125pages, 16 €

Nommé en 2020 évêque d’Arras, Monseigneur Leborgne se retrouve confronté en première ligne à la réalité du drame des émigrés en attente à Calais d’une hypothétique traversée vers l’Angleterre, un des visages de « l’inhumanité de notre temps ». Au-delà de l’incontournable débat politique sur l’immigration que l’auteur n’évite pas, cette courte prière demande pour chacun de nous compassion, gratitude et réalisme, « le seul réalisme qui compte, […] (celui) des visages, signes de l’infini qu’ils portent et auquel ils renvoient, éclat abîmé mais ineffaçable de la dignité de toute personne humaine. »

Anne-Françoise Thès

À LA RENCONTRE DE CHRONOS
FRANÇOIS HARTOGCNRS Éditions, 2022, 128 pages, 8 €

Le temps a toujours été une dimension cruciale de l’histoire et de la politique. Il n’est probablement pas anodin que tant de qualificatifs politiques tels que progressistes, conservateurs et réactionnaires aient une dimension temporelle. François Hartog, directeur d’études émérite à l’EHESS, a conceptualisé la notion de régimes d’historicité. Celle-ci signifie que les sociétés ou les individus pensent leur rapport au temps de manière différente. La manière d’articuler le passé, le présent et le futur change non seulement avec les sociétés ou avec les individus mais également au fil du temps dans une même société. Dans cet ouvrage, il promène le lecteur à travers ces concepts de manière simple et didactique en montrant comment ils s’appliquent à des événements tels que l’Odyssée, la Révolution française, ou encore le mur de Berlin. Il décrit avec finesse l’évolution historique des régimes d’historicité en Europe entre un registre homérique héroïque sans coupure entre le présent et le passé, un ancien régime d’historicité où le passé est une source de légitimité, un modèle issu de la Révolution tourné vers le futur et le régime actuel qu’il nomme présentisme. Le présentisme peut être défini comme un temps où le présent cannibalise le passé et le futur. Le passé est réduit à la mémoire et le futur est désormais perçu comme porteur de menaces.
Enfin, il analyse la spécificité du rapport au temps du christianisme défini comme un « présentisme apocalyptique » où chronos, à savoir le temps qui passe, et krisis, le moment de crise et de rupture dans le régime d’historicité chrétien, sont subordonnés au kairos, l’événement spécifique, c’est-à-dire l’Incarnation du Christ, et il se demande quelle évolution vont connaître les régimes d’historicité alors que le présentisme est en crise. Ce livre est une lecture agréable qui vulgarise avec qualité la recherche scientifique et fournit des clefs de compréhension précieuses de notre monde.

Rainer Leonhardt

ROMAN À SIGNALER

UNE LUEUR DANS LES TRANCHÉES
LOUIS BOUFFARD
Téqui, 2022, 252 pages, 19 €

Comment écrire un roman qui prend pour contexte et décor la Première Guerre mondiale quand on ne l’a pas vécue, qu’elle semble s’éloigner de nous ainsi que son monde, et que des voix si singulières, de Céline à Barbusse, ont su en faire le récit le plus atroce, le plus concret et le plus authentique ?
Une lueur dans les tranchées est une histoire d’amour entre deux jeunes gens de conditions sociales différentes : André, paysan, et Cécile, fille de la bourgeoisie. Un regard pendant la messe suffit pour faire éclore des sentiments. Et cet amour naissant, dès 1914, est contrarié par le refus du père et par la guerre qui éclate, la mobilisation et la longue guerre des tranchées. Le mérite du jeune écrivain consiste à mettre la foi et la pratique religieuse au centre de son roman, au milieu des tranchées, au plus profond de la guerre. Deux personnages, si l’on peut dire, apparaissent singulièrement dans ce roman : Dieu et la Vierge Marie. Jésus souffre avec les soldats. Il est avec eux dans les tranchées jusque dans la mort. La croix n’est ni vaine, ni vide, elle est ce qui réunit, le symbole de la souffrance et de l’amour. Un miracle à la fin du roman est signe d’une guérison : la Vierge, active dans les prières comme la douce mère, a mis son manteau de grâces sur André.
Le roman de Louis Bouffard, clair et sobre, tout en ne tombant pas dans les récits morbides de la guerre, avec des mots simples et des expressions quelquefois banalisées, au fil de dialogues convenus, malgré le manque de complexité de l’intrigue, demeure plaisant – c’est sa première qualité – et possède ce quelque chose qui donne, comme une œuvre d’apostolat, envie d’espérer malgré l’enfer moderne des hommes. La fin, mêlant le ciel à la terre, sur les falaises normandes, touche, profondément.

Nicolas Kinosky