Cathédrale Saint-Ignace à Shanghaï ©WIKIMEDIA

Chine : une Église martyre

Malgré l’Accord signé entre le Saint-Siège et le gouvernement communiste chinois en 2018, l’Église catholique en Chine reste une Église sous contrôle et persécutée.

L’« Accord provisoire » signé entre le Saint-Siège et la Chine le 22 septembre 2018 fut, incontestablement, un événement historique. Après soixante-dix ans de pouvoir communiste, il était le premier accord conclu entre les autorités chinoises et l’Église. Chacun des signataires l’a fait pour des raisons différentes.
Du côté du gouvernement chinois, il y a la volonté évidente de contrôler toujours davantage l’Église catholique, comme les autres religions, et de les mettre au service de ses objectifs politiques : le « socialisme ». Les catholiques chinois sont une petite minorité dans le pays : environ 10 millions de fidèles dispersés sur un territoire qui compte plus de 1,4 milliard d’habitants. Pour le président Xi Jiping, l’Église catholique pèse numériquement peu. À cet égard, il est significatif que l’Accord provisoire ait été négocié non pas au plus haut niveau de l’État, mais par le vice-ministre des Affaires étrangères. Mais l’Église catholique présente cette particularité par rapport aux autres religions présentes dans le pays d’avoir son autorité suprême à l’extérieur, à Rome. Après avoir tenté, pendant des décennies, de séparer les catholiques chinois (y compris les évêques) de Rome, les autorités chinoises se sont engagées dans une voie de négociation prudente. C’est dès le pontificat de Jean-Paul II, à partir de 1992, qu’ont commencé, discrètement, des discussions dont l’Accord de 2018 est un des résultats.
Du côté du Saint-Siège, le but poursuivi est d’abord pastoral. En 2018, une quarantaine de diocèses chinois étaient sans évêque, parfois depuis des décennies. Le pape François a espéré pouvoir procéder rapidement à des nominations et donner des pasteurs à ces diocèses orphelins.

Un Accord provisoire, secret et limité
L’Accord signé en 2018 a trois caractéristiques. Il est, comme le dit son titre officiel, un Accord provisoire. Il a été signé ad experimentum, pour deux ans. Puis il a été renouvelé pour deux nouvelles années en octobre 2020 et renouvelé une troisième fois en octobre 2022. On croit savoir que c’est le Saint-Siège qui a voulu lui donner un caractère provisoire, de façon à ne pas se sentir lié par un accord définitif et de façon à pouvoir faire des observations et de nouvelles demandes lors du renouvellement de l’Accord. C’est aussi un Accord secret. Son texte n’a été publié ni par les autorités chinoises ni par les autorités vaticanes. Même les évêques chinois en fonction et les deux cardinaux chinois (Zen et Tong Hon, tous deux évêques émérites de Hong Kong) ignorent le contenu exact du document. Enfin, c’est un Accord limité. Ce n’est pas un concordat général, comme l’Église en a signés tant dans le passé, qui portait sur l’ensemble des relations entre l’Église et un État (liberté du culte, nomination des prêtres et des évêques, propriété des biens ecclésiastiques, éducation, etc.).
L’Accord signé en octobre 2018 porte uniquement, indiquait alors le Saint-Siège, sur les nominations épiscopales. Deux éléments seulement sont connus. Premièrement, sept évêques qui avaient été nommés par le gouvernement chinois dans les années antérieures à l’Accord et qui avaient été consacrés sans l’accord du Saint-Siège (et donc frappés d’une excommunication automatique), ont été reconnus par Rome et leur excommunication levée. D’autre part, l’Accord a fixé une nouvelle procédure de nomination des évêques. Désormais ce sont les autorités chinoises qui présentent à Rome les dossiers des « candidats » à l’épiscopat et le pape, après étude de ces dossiers, procède à la nomination ou pas. Le dernier mot appartient au Saint-Siège.
Trois jours après la signature de cet Accord, le pape François avait commenté : « il y a un dialogue sur les candidats éventuels. Cela se fait dans un dialogue. Mais la nomination est faite par Rome ; la nomination est faite par le pape. »
L’Accord comporte aussi, semble-t-il, une clause relative aux évêques « clandestins », c’est-à-dire nommés avec l’accord du Saint-Siège, sous les pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI, sacrés dans la clandestinité, mais non reconnus par le gouvernement. Ils étaient 31 au moment de la signature de l’Accord, contre 69 évêques « officiels », c’est-à-dire reconnus à la fois par le Saint-Siège et le gouvernement.

Des résultats très faibles
Le cardinal Zen, évêque émérite de Hong Kong et qui fut un proche conseiller de Benoît XVI sur les questions chinoises, a dès la signature de l’Accord fait connaître publiquement son désac­cord et ses craintes : « C’est un accord qui va détruire l’Église catholique fidèle, qui va détruire l’Église clandestine. »
Le Saint-Siège estime, bien sûr, que c’est un accord utile puisqu’il l’a renouvelé à deux reprises, et se garde de faire part trop bruyamment de ses déceptions. Néanmoins, dès le mois de février 2019, quelques mois après l’entrée en vigueur de l’Accord, le cardinal Filoni, qui était alors préfet de la Congrégation pour l’Évangélisation des Peuples, a fait part publiquement de ses interrogations. Il connaît bien la situation de l’Église en Chine – il a été délégué du Saint-Siège en fonction à Hong Kong entre 1992 et 2000. En 2019, il déclarait : « Je comprends les doutes ; je comprends la perplexité ; parfois, je les partage. »
Dans une interview accordée à l’agence Reuters quelques semaines avant le renouvellement de l’Accord en octobre 2022, le pape François reconnaissait que « cela va lentement » mais il estimait aussi que c’était la seule voie possible : « Face à une situation fermée, il faut chercher le possible, pas l’idéal. La diplomatie est l’art du possible et de rendre le possible réel. » À juste titre, il a fait remarquer aussi que « la situation n’est pas la même dans toutes les régions du pays ».
L’application de l’Accord a eu, jusqu’ici, des résultats très limités. L’agence Asia News, dirigée par les religieux de l’Institut pontifical des missions étrangères (PIME) établis à Hong Kong, en a établi le bilan après quatre ans : six évêques ont été nommés, trois autres ont été nommés mais n’ont pas encore pris possession de leur diocèse et trois évêques « clandestins » ont été reconnus par le gouvernement. Trente-six diocèses restent sans évêque.
L’Église catholique reste plus que jamais sous surveillance et soumise à une réglementation de plus en plus tatillonne. Des lieux de culte non autorisés sont fermés, des prêtres et des évêques non reconnus par les autorités sont placés en résidence surveillée ou sont incarcérés parce qu’ils ont refusé de se faire « enregistrés » par les autorités. Les destructions de croix et d’églises, qui avaient commencé plusieurs années avant l’Accord, se sont poursuivies sous des prétextes administratifs (construction sans autorisation ou autres). L’Accord provisoire n’a pas mis fin aux persécutions.

Yves Chiron

© LA NEF n° 357 Avril 2023


Livres de Yves Chiron sur les catholiques de Chine :

  • À la rencontre de l’Église en Chine, Éditions Nivoit, 2018.
  • À Wenzhou, avec les catholiques chinois, Éditions Nivoit, 2018.
  • La longue marche des catholiques chinois, Artège, 2019.
  • Retour à Hong Kong, Éditions Nivoit, 2019.