Frédéric Guillaud a fait paraître récemment Et si c’était vrai ? La foi chrétienne à la loupe (9 mars 2023). Entretien.
La Nef – Après Dieu existe et Catholix reloaded, vous publiez un nouveau livre d’apologétique : pourquoi un troisième ouvrage d’apologétique ?
Frédéric Guillaud – Le premier était un ouvrage de théologie naturelle, uniquement consacré aux arguments philosophiques en faveur de l’existence de Dieu. Il s’agissait d’un règlement de comptes avec Kant et d’une réhabilitation de la métaphysique. L’ouvrage, à vrai dire, n’avait rien de confessionnel. Il pouvait convenir à n’importe quel monothéiste. Il a d’ailleurs été traduit en arabe pour un éditeur saoudien ! Le deuxième était un ouvrage d’apologétique catholique proprement dite, s’attachant à raviver une démarche bien oubliée depuis les années 60, et qui consiste à montrer la crédibilité de la Révélation chrétienne. Le troisième se démarque sur deux points : par sa forme, d’abord, car il est entièrement composé de très courts chapitres, répondant chacun à une question précise (il s’agit pour l’essentiel de chroniques parues dans France catholique depuis quatre ans) ; sur le fond, ensuite, parce qu’il embrasse plus large qu’un ouvrage d’apologétique classique : il ne traite pas seulement de la fiabilité des Écritures, de la divinité de Jésus et de la Résurrection, mais aussi d’une foule de questions morales, voire politiques ou civilisationnelles. Je reste certes sur la même veine, mais en variant la forme et les angles.
L’apologétique a plutôt mauvaise presse dans l’Église aujourd’hui : comment l’expliquez-vous et, selon l’expérience de vos deux premiers livres, cela « marche »-t-il ? Savez-vous qui cela touche-t-il ?
Cela s’explique globalement par le relativisme général qui règne en matière religieuse. L’idée qu’une religion puisse être vraie – je veux dire vraie pour tout le monde, et pas seulement vraie « pour moi » – a complètement déserté les cervelles, y compris au sein de l’Église. Plusieurs facteurs se sont conjugués pour arriver à ce résultat : la perte de confiance dans le pouvoir de la raison en matière métaphysique, l’abandon du thomisme dans les séminaires depuis les années 60, la crainte de paraître « intolérant » sur la scène publique. L’amusant, si l’on peut dire, est que vous pouvez entendre des archevêques expliquer qu’il n’y a « évidemment aucune preuve rationnelle de l’existence de Dieu », alors que le catéchisme continue d’affirmer exactement le contraire (n. 30) ! Et si le catéchisme dit le contraire, c’est parce qu’il se borne à répéter ce que disent l’Écriture, la Tradition et les papes depuis toujours. Cela étant, même si le relativisme continue de dominer l’époque, j’observe que les nouvelles générations sont beaucoup plus ouvertes à l’apologétique que leurs aînées. Pour une raison simple : la transmission s’étant arrêtée, ou quasi arrêtée dans les années 70, il faut repartir de zéro. On ne peut plus tabler sur un bain culturel, sur un christianisme diffus. Il n’y a plus rien. Dès lors, on se retrouve logiquement dans la situation des premiers chrétiens. Et que faisaient-ils ces premiers chrétiens ? Ils obéissaient à l’injonction de saint Pierre : « Soyez toujours prêts à rendre raison de l’espérance qui est en vous » (1 P 3, 15). Pour cela, il faut tabler sur des éléments communicables, autrement dit sur des raisons. Je ne dis pas que cela marche à tous les coups, ni que ce soit la seule méthode, mais certains esprits sont littéralement « décoincés » par l’apologétique. Le profil typique, ce sont les gens dont le cœur est bien disposé, mais dont la tête regimbe, au motif que le christianisme serait irrationnel, contraire à la science, ou un peu trop beau pour être vrai. L’apologétique les détrompe.
Il est bon de montrer que la religion catholique est rationnellement recevable, donc crédible, mais la conversion ne s’opère-t-elle pas plutôt par le cœur, plus que par l’intelligence ? Comment alors toucher le cœur des gens ?
Par l’exemple, par la vie, par la joie, par les fruits du christianisme en acte. Mais pour le reste, l’Esprit souffle où il veut. La mission de l’apologétique est de faire en sorte qu’il puisse tomber sur des âmes qu’on aura, autant que possible, libérées de leurs préventions contre la Révélation chrétienne. Plus largement, il importe de ré-accréditer le caractère rationnellement solide de la vision chrétienne du monde. Si tout le monde pense, dans une société donnée, que le christianisme est du même acabit que les hurluberlus « Haré Krishna » ou les neuneus raëliens, nous avons un problème. Il faut laisser tomber la guimauve et le papier crépon pour montrer à tous les philosophes de plateau que la philosophie chrétienne casse autrement des briques qu’Onfray et Comte-Sponville. Ressortons saint Anselme, saint Thomas d’Aquin et Duns Scot de leurs placards, traduisons les grands métaphysiciens américains contemporains et reprenons le flambeau ! Il y a du travail pour plusieurs générations !
Propos recueillis par Christophe Geffroy
Et si c’était vrai ? La foi chrétienne à la loupe, Editions Marie de Nazareth, mars 2023, 286 pages, 22 €.
© LA NEF n° 358 Mai 2023