Birgit Kelle ©KerstinPukall-Hamburg-2020

Résister au Synodaler Weg

L’Initiative Neuer Anfang (« Initiative Nouveau Départ ») rassemble des catholiques allemands désireux de demeurer fidèles au Magistère de l’Église catholique et de s’opposer aux dérives entraînées et favorisées par le Synodaler Weg (Chemin synodal). Birgit Kelle, membre de ce mouvement et auteur de plusieurs ouvrages critiques à l’égard du féminisme contemporain et de la théorie du genre, a bien voulu répondre aux questions de La Nef.

La Nef – Pourriez-vous présenter l’Initiative Neuer Anfang ?
Birgit Kelle – L’Initiative Neuer Anfang a été constituée au printemps 2021 par un petit groupe de théologiens et de catholiques profondément préoccupés par la situation de l’Église catholique en Allemagne. La mission originelle de l’initiative était de contribuer à la clarification et à la correction des questions en débat dans le cadre du Chemin synodal, avec une attention particulière portée à l’anthropologie et à l’éthique. Mais un autre objectif s’imposait avec évidence : celui d’agir pour l’Église et la conservation de son unité, menacées aujourd’hui par les demandes de réforme émanant des activistes du Chemin synodal. Enfin, un dernier souci était la défense du ministère épiscopal. C’est donc à l’initiative de deux théologiens, Bernhard Meuser et Martin Brüske, que s’est rassemblé un groupe de personnes très différentes, apportant une grande variété de charismes et de compétences.
Nous revendiquons d’être une voix des fidèles laïcs en Allemagne, car nous ne nous sentons pas représentés par les associations de laïcs organisées au sein du soi-disant Comité central des catholiques allemands (ZdK). Celui-ci est surtout composé de responsables associatifs dont les salaires sont payés par l’impôt d’Église, et qui prétendent parler au nom des « laïcs », alors que, dans le même temps, les vrais fidèles laïcs sont ignorés. Entre-temps, Neuer Anfang s’est imposé dans le débat et nous recevons de nombreuses demandes de médias catholiques, en particulier de l’étranger, mais aussi d’organisations catholiques et d’ecclésiastiques qui sont reconnaissants et soulagés à l’idée qu’il n’y ait pas que des catholiques progressistes en Allemagne.

La cinquième et dernière session du Chemin synodal s’est tenue à Francfort sur le Main du 9 au 11 mars. Quel bilan tirez-vous de cette session ?
Les forces progressistes du Chemin synodal ont globalement mené à bien leur programme. Cela était prévisible et ce n’est donc pas une surprise. En effet, dès le début, cette assemblée et sa composition ont été conçues de manière à écarter le risque que ceux qui s’opposent à des réformes de grande ampleur puissent disposer de la majorité. Cependant, les textes n’ont pu être adoptés qu’à l’issue de compromis. Et de nombreuses revendications ont dû être atténuées car, dans le cas contraire, elles n’auraient jamais pu voir le jour. En outre, un texte essentiel, qui devait contraindre les évêques à introduire des « conseils synodaux » (Synodaler Rat) dans leurs diocèses, n’a pu être voté et a été renvoyé pour examen ultérieur à l’organe permanent créé par le Chemin synodal, le Synodaler Ausschuss (le comité synodal). Car après que Rome a clairement fait savoir, d’abord par sa déclaration du 16 janvier 2023, ensuite par le nonce lors de l’assemblée plénière des évêques à Dresde, que personne n’avait le pouvoir d’introduire de tels conseils, un nombre important d’évêques ont renoncé à franchir la ligne rouge et à s’engager dans une confrontation directe avec le Vatican. Du reste, un tel comportement a été parfaitement perçu à Rome : manifestement, il faut adresser un message sans équivoque aux évêques allemands si on veut les faire réagir.

L’institution de conseils synodaux semble ainsi être un enjeu fondamental pour les mois et les années à venir. Pouvez-vous nous expliquer ce point ?
Selon le souhait des partisans du Chemin synodal, des conseils synodaux devraient être constitués à tous les niveaux de la vie ecclésiale : conférence épiscopale, diocèses et paroisses. Ces conseils ne seraient pas seulement des organes consultatifs mais de véritables organes décisionnels. Certes, on prétend que les conseils synodaux seraient mis en œuvre dans le respect du droit canonique, mais la vérité est que, avec ceux-ci, les pasteurs – évêques et curés – accepteront « volontairement » de se lier aux décisions prises par les conseils et ainsi de leur transférer leurs missions essentielles. Il s’agit donc d’une atteinte massive portée à la constitution de l’Église. Cela n’a d’ailleurs pas échappé à Rome, qui a bloqué ces projets par la déclaration du 16 janvier 2023 et l’intervention du nonce à Dresde mentionnées ci-dessus.

Un risque de schisme de l’Église allemande est souvent évoqué. Ce risque est-il une réalité ? Et, en fin de compte, faudrait-il souhaiter ce schisme afin de clarifier la situation ?
Il nous faut attendre et voir comment Rome va réagir. En tout cas, les bombes à retardement n’ont pas été désamorcées et menacent d’exploser. Car les prescriptions faites par Rome ne sont pas suivies, qu’il s’agisse de la constitution des « conseils synodaux » ou de la question de la bénédiction des couples de même sexe. Quant à la perspective d’un schisme, personne ne peut souhaiter une telle issue, car cela représenterait une catastrophe – mais il y a des situations dans lesquelles, pour plus de clarté, il est nécessaire d’affirmer que l’unité de l’Église a été brisée.

Une particularité de l’Église allemande est sa très grande richesse financière, qui lui permet d’avoir un nombre considérable de laïcs salariés dans des fonctions pastorales (enseignement, catéchistes, etc.). Pensez-vous que cette proportion très importante de laïcs fonctionnaires soit une des raisons de l’évolution actuelle de l’Église en Allemagne ?
Tout d’abord, il importe de souligner que de nombreux laïcs occupant des fonctions pastorales sont très insatisfaits de l’évolution actuelle. Et que, à l’inverse, un nombre important de prêtres sont entièrement sur la ligne du Chemin synodal. Mais votre question soulève un aspect important, à savoir que la structure très particulière de l’Église allemande constitue un facteur significatif à l’origine des événements actuels. L’Église allemande est très solide financièrement et peut se permettre de financer un grand nombre de structures et d’employer de nombreuses personnes ; c’est même l’employeur le plus important d’Allemagne. Cette circonstance, qui pourrait être une grande chance, est toutefois devenue un problème parce que de nombreuses personnes qui sont employées dans ces structures sont plus intéressées par la préservation du système que par la conservation ou le renouvellement de la foi.

Devant la « fuite en avant » de l’Église officielle allemande, la question se pose de savoir concrètement ce que les catholiques fidèles au Magistère doivent faire. En pratique, un laïc peut-il estimer en conscience qu’il n’a plus à payer le Kirchensteuer (l’impôt d’Église) ? Qu’il doit s’abstenir de fréquenter des lieux de culte gagnés aux idées du Chemin synodal ? Qu’il n’a plus à envoyer ses enfants au catéchisme d’une paroisse progressiste ? Ou qu’un séminariste ne doit plus intégrer un séminaire tenu par un évêque proche des idées du Chemin synodal ? Ni ne fréquenter aucune faculté de théologie ayant ce même profil ?
Il est encore trop tôt pour donner une réponse définitive à ces questions. En fait, beaucoup va dépendre des personnes. À cet égard, on peut déjà constater que, dans tel ou tel diocèse, certains considèrent que la mise en œuvre des résolutions du Chemin synodal ne va pas assez vite et entendent créer des faits accomplis, ce qui ne restera pas sans conséquences. Nous devons également attendre la réaction romaine à l’ensemble de ces événements. Cela peut prendre de quelques semaines à quelques mois – et il y aura probablement encore des allers-retours. Mais une chose est claire : aucun évêque au monde ne peut obliger ses fidèles, qu’ils soient laïcs ou prêtres, à adopter quelque chose qui viole l’enseignement et la loi de l’Église catholique. Nous sommes libres de nous tourner là où nous trouvons la foi intégrale de l’Église. Cela causera certainement des conflits et des blessures dans de nombreuses paroisses et diocèses. Nous recevons déjà de nombreuses lettres et demandes, certaines désespérées et désorientées, de catholiques ordinaires qui ne savent pas quoi faire face à leur évêque qui s’éloigne de Rome. Mais, pour l’instant, le mot d’ordre est le suivant : ne précipitez pas les choses ! Le temps fera apparaître peu à peu quelles sont les voies qu’il convient d’adopter. D’ici là, demeurez ancrés en Dieu à travers une vie spirituelle intense. C’est cette vie spirituelle qui vous inspirera la manière de se comporter à l’avenir.

Propos recueillis et traduits de l’allemand par Jean Bernard

© LA NEF n° 358 Mai 2023