Sonia Mabrouk en quête de sacré

La sympathique présentatrice de télévision Sonia Mabrouk, sans doute lasse de ses plateaux bolloréens où commenter perpétuellement l’actualité aboutit à ne penser presque plus rien, sauf à déployer une « pensée grammophone » chère à Orwell (qui il y a près de 80 ans dénonçait déjà la concentration de la presse entre les mains de « quelques milliardaires »), Sonia Mabrouk donc s’est mise en quête du « sacré ». Elle présente la naissance de cette recherche sans fard, de manière presque naïve, comme conséquence du décès de sa mère, et surtout comme écho au vertige du divertissement perpétuel à quoi elle, comme nous, est confrontée. Noble entreprise, qui mériterait que l’on en définisse plus précisément l’objet : trop souvent dans ce court ouvrage, « sacré » est présenté comme une trémulation devant un lieu étrange, ruines ou vestiges du passé, lumières du printemps ou mélancolie de l’automne, bref comme un romantisme dont l’histoire des deux derniers siècles nous a pourtant trop montré quelle puissance de mort il portait en lui. Mabrouk, à sa décharge, suit de mauvais cicérones : l’influenceur Michel Onfray, qualifié ici de philosophe, est réputé savoir décrypter le sacré dans le cours des siècles, quand son matérialisme général et vide prouve tout le contraire. Parce qu’il est un jour entré dans une Trappe, le batteur d’estrade connaîtrait du sacré le salut et les épouvantes ? On pouffe.

Mabrouk a pris la peine de consulter l’immense René Girard, esprit incontestable dont l’on sait combien les pages sur la violence et le sacré, la rivalité mimétique et le bouc-émissaire, ont bouleversé l’anthropologie. Seulement, ce dur maître qu’est Girard implique qu’on ne s’arrête pas en si bon chemin : si le sacré exige son bouc-émissaire pour contenir la violence sociale, et si le Christ s’est fait agneau innocent immolé pour rompre ce cycle infernal de violence, comment ne pas le reconnaître pour la vérité, c’est-à-dire la seule origine, le seul médiateur, le seul sacrificateur et la seule offrande en même temps ? On conçoit que Mme Mabrouk soit née sous d’autres soleils, où sont « des Christ d’une autre forme et d’une autre croyance / Les Christs inférieurs des obscures espérances » que chantait Apollinaire, qu’elle puisse entendre dans le chant des muezzins de son pays natal, ou voir dans une synagogue ébréchée les signaux d’une vie plus intense qui n’a pas été vraiment trouvée : cependant, pour que sa quête aboutisse, et pour que son livre soit achevé, il est nécessaire de ne pas s’arrêter à ces seules descriptions.

Il est hardi et nécessaire de secouer cette époque : mais est-ce en lui présentant des mystiques aussi diverses que la Baghavad-Gita, certain islam, certain judaïsme ou les ruines hugoliennes de Notre-Dame que l’on donnera à boire à ce peuple ? Sonia Mabrouk est peut-être cette Samaritaine de l’Évangile, qui croit que l’eau qui étanche à jamais la soif est une eau du monde. Elle ne sait pas encore que Lui qui lui parle est cette eau, et que désormais, le temps est venu, on ne L’adorera plus dans telle chapelle, sur telle montagne ou sous tel soleil, mais en esprit et en vérité. Et que ce sacré-là est le seul qui vaille, le seul qui ne passe pas. Il est beau de pleurer devant Notre-Dame en feu, et tous nous l’avons fait. Il est beau de la reconstruire, mais là n’est pas le vrai sacré. Ce sacré-ci, celui des pierres et des grandes funérailles, ce sacré solennel, s’il sert à guider les âmes, peut trop souvent être une farce, et une mauvaise farce. Aussi bien, les Égyptiens anciens, les Aztèques savaient-ils opérer avec la magie et stupéfier leurs foules, jusqu’à les sacrifier elles-mêmes, dans un inutile bain de sang à maître Soleil qui s’en moque. Aussi bien, les musulmans et les juifs contemporains croient honorer Dieu dans le respect de rituels qui ont plus à voir avec l’hygiène et la médecine qu’avec le transport divin lui-même. Et de tous ces sacrés-là, il y a longtemps que nous ne voulons plus.

Enfin, on rêve que Sonia Mabrouk, de la place exposée qui lui a été conférée, enjoigne quelque jour prochain au petit homme occidental déses­péré et désacralisé qui la regarde dans sa télévision de l’éteindre à tout jamais, de se mettre à genoux, de prendre le Livre et de l’ouvrir. Ainsi, il saura.

Jacques de Guillebon

Sonia Mabrouk, Reconquérir le sacré, L’Observatoire, 2023, 144 pages, 19 €.

© LA NEF n° 357 Avril 2023