La dégradation de la note de la France par les agences de notation financière a commencé en 2010, lors de la crise de l’euro. En 13 ans, la France est passée chez Fitch de la note la plus élevée (triple A) à la quatrième sur une échelle qui en compte 23 (la note de la banqueroute). Cette Agence privée vient de dégrader la France à la note AA-, au niveau du Royaume-Uni, l’Allemagne restant triple A. Ce qui est en jeu est la capacité financière de la France, en tant qu’emprunteur, à rembourser ses emprunts (la dette publique française est actuellement de 2950 milliards à 111,6 % du PIB, soit 50 points de plus qu’en 2008). La France fait partie du club des pays riches par son PIB, mais sa dette souveraine est sous surveillance.
Plus un investisseur est confiant dans la capacité de remboursement de son débiteur, plus les taux de crédit sont faibles ; plus il est inquiet, plus les taux sont élevés (spéculatifs). Le Ministre de l’économie Bruno Le Maire a déploré « l’appréciation pessimiste » de Fitch, arguant de la capacité du gouvernement à faire « passer des réformes structurantes ». Certes, le report d’âge de la retraite à 64 ans est passé. La résistance politiquement incompréhensible du gouvernement et de l’Élysée – face à sept Français sur dix – était déterminée par la volonté d’échapper à une nouvelle dégradation de la note française. Les observateurs ne sont pas aveugles.
La France joue les cancres
S’ils continuent de faire confiance à la France, ainsi qu’en atteste sa facilité à emprunter des centaines de milliards d’euros par an (à la fois pour financer le perpétuel déficit annuel – encore 4,7 % du PIB en 2022 – et pour refinancer les traites à échéance), c’est qu’elle est protégée par le double bouclier de l’Allemagne et de la BCE au sein de l’euro. Pour le reste, la France joue les cancres, ainsi qu’en atteste la liste à la Prévert des cadeaux et dépenses que le gouvernement et la présidence annoncent tous les jours ce printemps, alors que l’encre de la loi sur les retraites est à peine sèche. Notre désendettement est toujours repoussé.
Fitch a constaté que le passage en force de la loi retraite (sans vote du Parlement ni référendum) s’est fait au prix d’une contestation sociale sans équivalent par sa nature dans les démocraties, d’une impopularité record pour l’exécutif, et de l’annonce par les oppositions qu’elles aboliront cette réforme l’alternance venue. Le symbole choisi par le président de la République pour attester de la capacité de la France à faire des « réformes structurantes » et contenir les taux d’intérêt (et leur écart avec l’Allemagne) est un affichage qui peine à convaincre. Que révèle la dégradation de l’état réel de l’économie et de la société françaises ?
La France a amplement démontré depuis le début du siècle son incapacité à remédier aux maux structurels de son économie (taux endettement, taux d’emploi – 10 millions d’emplois manquent par rapport à l’Allemagne –, croissance faible…), sa capacité à dégrader ses atouts les plus solides (énergie, école, agriculture, démographie), sans pour autant améliorer sa balance extérieure, ses déficits publics ni son PIB industriel (toujours en baisse relative). Il est plus facile de saper les fondements d’une économie productive que d’inverser la courbe de sa dégradation. La crise des Gilets jaunes a révélé le malaise de la moitié du pays condamné au sous-emploi et à la redistribution sociale. La crise du Covid a dévoilé la crise de la fonction publique et les conséquences d’une délocalisation irresponsable de notre production (même agricole). L’inflation et les difficultés d’approvisionnement (matériaux, médicaments, énergie) attestent l’ampleur des réformes à entreprendre.
De faibles marges de manœuvre
Or nos marges de manœuvre sont étroites. Comme l’Italie, la France est victime d’un euro surévalué au regard de ses capacités productives dégradées et de sa population vieillissante. Notre capacité de réaction face à l’Allemagne est paralysée : désormais nettement plus riche, plus productive et plus dépendante des BRICS, l’Allemagne attend des pays d’Europe du Sud (par la dette nous avons rejoint les pays du « Club Med ») qu’ils se désendettent par l’impôt et la réduction des dépenses publiques. Nous devrions produire, mais l’euro nous bloque. En contexte d’inflation et de remontée des taux, c’est l’assurance de la stagflation (l’inflation sans la croissance). Rien n’empêche en théorie la France de débloquer ses services publics en panne, afin de former les médecins et les ingénieurs dont son économie a besoin ; mais l’appauvrissement relatif des Français – face aux Américains, notre pouvoir d’achat s’est effondré de moitié en 20 ans – paralyse les pouvoirs publics. Ils préfèrent ouvrir le robinet des dépenses sociales pour éviter la révolte, et miser sur une immigration de consommateurs pauvres mais nombreux pour entretenir une micro-croissance basée sur la consommation par les importations. Pour nos financiers et pour le CAC 40, la France n’est plus intéressante. À paramètres inchangés, les agences de notation n’ont pas fini de dégrader notre dette.
Pierre Vermeren
Pierre Vermeren est professeur des Universités en histoire contemporaine et auteur notamment de La France qui déclasse. De la désindustrialisation à la crise sanitaire, Tallandier/ Texto, 2022, 240 pages, 8,50 €.
© LA NEF n° 359 Juin 2023