Lectures Mai 2023

ACADÉMIE FRANÇAISE, DIRE, NE PAS DIRE. L’INTÉGRALE
PHILIPPE REY
2023, 684 pages, 24 €.

Trois ans après la première édition, l’Académie française propose à nouveau ses leçons de langue française, avec « plus de deux cents entrées inédites » sur environ un millier. Plus qu’un argument publicitaire, il faut y voir le signe de la vie foisonnante de l’organisme qu’est la langue, entre heureuse croissance et déplorables maladies. Si les ricaneurs se hâteront d’entonner Jacques Dutronc pour transformer Dire, ne pas dire en « Fais pas ci, fais pas ça », la lecture révèle que le français défendu par les supposés censeurs est mille fois plus riche que le sabir des faux innovateurs, qui réduisent le dictionnaire au mode d’emploi d’un ordinateur. À la place de chaque anglicisme épinglé, par exemple, les auteurs proposent plusieurs termes français plus adaptés, souvent rehaussés par un prolongement littéraire ou historique. Lisez l’article « flyer » et vous savourerez l’expression « feuille volante », forgée par les Grecs du XIXe siècle en guise d’hommage aux Français, qui les soutenaient dans leur lutte pour l’indépendance contre la puissance ottomane.
Par leur finesse et leur malice, les auteurs témoignent que le bon usage est avant tout un art de la nuance et, par conséquent, un apprentissage de la pensée. Apprentissage et non certitude hautaine de savoir. C’est pourquoi le soupçon d’élitisme méprisant qui accompagne toute vigilance lexicale n’est guère fondé. Même le lecteur qui jubile devant le sort réservé à « pas de souci », « ça va être compliqué », « mais pas que » ou « nos bons plans pour un monde plus green », découvre au détour d’une page qu’il n’est pas à l’abri d’une forme fautive.
Preuve qu’il faut simplifier la langue, comme on l’entend dire de plus en plus souvent ? Preuve, au contraire, que la langue ne se maîtrise pas – contrairement à la novlangue réservée aux initiés –, qu’on ne peut l’amputer sans atrophier l’esprit et qu’elle est, en dernière analyse – et non « au final » –, une école d’humilité et de patience, plutôt qu’un marqueur social discriminant. En ce sens, Dire, ne pas dire pourrait être un acte de résistance à l’affaissement généralisé. Entre un langage négligé et des mœurs relâchées, il n’est pas exclu qu’il y ait une continuité.

Henri Quantin

IL NOUS A TANT DONNÉ
Hommage à Benoît XVI

CARDINAL ROBERT SARAH
Fayard, 2023, 250 pages, 21,90 €

Livre fort et très touchant que nous offre ici le cardinal Sarah qui apparaît comme un « fils spirituel » du grand pape Benoît. On comprend que le Cardinal tenait à rendre « son » hommage à celui pour lequel il nourrissait une affection toute filiale et cela se perçoit à chaque page de la première partie, le « portrait mystique de Benoît XVI », qui est la plus marquante et aussi la seule inédite, les autres étant des reprises d’articles sur le pape Ratzinger (deuxième partie) et un choix de textes de Benoît XVI lui-même (troisième partie).
Aucun règlement de compte ou révélation ici, le cardinal Sarah prend de la hauteur pour s’intéresser à « la force de l’enseignement du maître spirituel qu’a été Benoît XVI ». Et pour comprendre son itinéraire, il faut comprendre la place que Dieu occupait dans sa vie : « Dieu. Joseph Ratzinger n’aura finalement jamais cessé d’y revenir. Il n’aura jamais renoncé à contempler Dieu lui-même. C’est ce regard premier vers Dieu qui explique ses mises en garde incessantes : l’oubli de Dieu menace le monde d’une catastrophe morale, anthropologique et politique. Seule la foi peut sauver la raison, la société et la liberté personnelle du naufrage. Le refus de Dieu engendre la négation des réalités humaines les plus fondamentales. »
Le Cardinal développe ensuite différents aspects du « maître spirituel », sa paternité, sa joie profonde conséquence de la contemplation de Dieu lui-même, son esprit d’enfance qui l’a fait proche de tous et a permis son étonnante bienveillance, son amour des prêtres… Il règle aussi la question de ce que certains ont appelé la « faiblesse politique » de son pontificat, au prétexte qu’il n’aurait pas écarté ses adversaires : s’il était patient, il ne transigeait jamais avec la vérité.
Un bel hommage d’un fils envers son père.

Christophe Geffroy

L’ABOLITION DE L’ÂME
ROBERT REDEKER
Cerf, 2023, 354 pages, 24 €

Qu’est-ce que l’âme ? C’est d’abord, selon Robert Redeker, « le mot le plus oublié de la philosophie ». Et ce sera ensuite le travail entier de son dernier livre que de tenter de réhabiliter le mot – sinon la réalité. Âpre défi que s’est en effet lancé à lui-même le professeur de philosophie : car l’âme, c’est encore selon lui, avant d’être le plus oublié, le premier mot de la philosophie occidentale, celui qui organise tout Platon, celui sur quoi se penchera Aristote avec tout son génie de la dissection, conférant au terme, qui désigne d’abord tout ce qui est animé, ses divers attributs, végétatif, sensitif, intellectif, réservant ce dernier à l’être humain. Bref, terminologie à la naissance de la philosophie (pas seulement occidentale puisqu’on la retrouve aussi chez les Arabes).
Robert Redeker se désole surtout qu’à la suite de Descartes (mal compris), le mot ait été au cours des siècles remplacé par ceux d’ego, de sujet, de personne, lui faisant perdre sa profondeur. En effet dit-il, « l’âme était l’accueil du ciel comme ciel ». Et d’embrayer sur les divers maux dont souffre, comme l’on sait, la modernité : le subjectivisme, l’anti-essentialisme, le matérialisme, mêlant ces intéressantes réflexions de faussetés devenues hélas banales ces derniers temps, comme le « biopouvoir » (soi-disant visible durant la crise du Covid) qui forcerait l’homme à continuer de vivre biologiquement contre le don de son âme (dont on nous explique ailleurs qu’elle est irréductible).
Si l’intuition qui meut M. Redeker est plus que juste, nécessaire et cruciale, on lui reprochera cependant de faire trop peu de cas de la vision de l’âme héritée de la Bible, où elle tisse pourtant toute l’histoire du Salut, depuis la Genèse jusqu’à l’Apocalypse en passant évidemment par les Évangiles. Ce qui le mène à trop ignorer les développements de la théologie scolastique sur le sujet, notamment saint Thomas bien sûr qui parvient, notamment contre Averroès, à élucider l’intuition fondamentale d’Aristote de l’âme comme « forme substantielle du corps ».
Par suite, il rate aussi Pascal qui renomme l’âme – sans doute à raison comme toujours – du nom du cœur, c’est-à-dire ce qui est le fond de l’homme, et qui se différencie ainsi de l’âme en tant que principe d’animation du vivant, tout en se différenciant aussi de la raison raisonnante seule.

Jacques de Guillebon

JURIDIQUEMENT CORRECT
Comment ils détournent le Droit
BERTRAND SAINT-GERMAIN
La Nouvelle Librairie, 2023, 384 pages, 20,50 €

« Nous sommes les sujets de l’empire du droit, hommes-liges de ses méthodes et de ses idéaux, qui nous lient mentalement lorsque nous débattons de ce que nous devons faire. » Depuis L’empire du droit, livre-phare de Ronald Dworkin publié en 1986, l’omniprésence du droit dans la vie des citoyens n’a fait que s’accentuer, prenant parfois un tour inquiétant lorsque la norme, comme au cours de la pandémie de Covid-19, est utilisée comme outil de contrôle social de masse. Omniprésence qui se traduit dans le discours public : pas un jour ne passe sans qu’un politique ou un journaliste n’assène, sans être utilement contredit, que la loi permet ceci ou exige cela. Il était temps de faire pièce à ces affirmations souvent douteuses.
C’est à cette tâche bienvenue que s’attelle Bertrand Saint-Germain, présenté comme docteur en droit et universitaire (l’auteur écrivant sous pseudonyme, nous n’avons pu vérifier ces références) dans Juridiquement correct. Sous forme de réponses à 30 questions, il passe brièvement en revue, avec rigueur et précision, les idées reçues sur la loi, les institutions, et les problématiques d’actualité les plus astringentes (Europe, sécurité, immigration, parité, bioéthique…), non sans un parti pris franchement assumé. Si le livre, volontairement concis, risque de laisser sur leur faim les juristes de formation, il n’en demeure pas moins un ouvrage utile au profane soucieux de parfaire sa culture juridique et de trier, dans le maelstrom d’approximations que le discours public nous inflige, le bon grain de l’ivraie.

Arnaud Fabre

RIEN D’AUTRE QUE LA VÉRITÉ
Ma vie aux côtés de Benoît XVI
GEORG GÄNSWEIN avec Saverio Gaeta
Artège, 2023, 350 pages, 19,90 €

Secrétaire personnel du cardinal Ratzinger en 2003, puis du même devenu le pape Benoît XVI en 2005, enfin du pape émérite jusqu’à sa mort, Mgr Gänswein est assurément un témoin clé de cette période de la vie de l’Église et de ses instances dirigeantes. Ce livre était donc très attendu : autant l’avouer d’emblée, nous avons été quelque peu déçus, l’ouvrage ne manquant certes pas d’intérêt, mais ne parvenant jamais à décoller au-delà de l’anecdote ou de témoignages factuels, sans guère de recul ou de hauteur pour leur conférer une profondeur ouvrant la voie à des analyses plus substantielles. L’aspect le plus sympathique du livre est l’admiration et l’amour filial que Mgr Gänswein porte à Benoît XVI, cela se perçoit à chaque page, et il en a assurément été un fidèle serviteur.
Écrit avec l’aide du journaliste italien Saverio Gaeta, l’ouvrage se lit très agréablement, Mgr Gänswein relatant à la première personne les événements ayant marqué la vie du cardinal Ratzinger à partir de 2003, jusqu’à sa mort à Rome fin 2022, tout en revenant sur le passé plus lointain pour éclairer certains aspects des faits et gestes de son héros. Un chapitre est également consacré à la présentation des principaux textes du pape Benoît. Tout ce qui touche au gouvernement de l’Église, aux relations avec la Secrétairerie d’État est fort éclairant, Mgr Gänswein reconnaissant que même si « le pape Ratzinger n’avait pas un intérêt marqué pour les questions de gouvernement » (p. 127), il y consacrait un large temps au point même de devoir protéger parfois ses subordonnés, dont le cardinal Bertone. Il montre aussi, contrairement à ce qui se pratique aujourd’hui, combien Benoît XVI avait à cœur de nommer des personnalités couvrant un large spectre des positions ecclésiales. Il fournit enfin des explications aux « affaires » qui ont marqué le pontificat, sans apporter de vrais « scoops », et s’arrête aussi aux relations entre Benoît et son successeur. Mgr Gänswein rapporte son étonnement face à l’ambiguïté de la fameuse note d’Amoris laetitia ouvrant la porte à la communion des divorcés-remariés et sa tristesse après la publication de Traditionis custodes qui lui est apparue comme une « erreur ».

Christophe Geffroy

ÉDUQUER LA CONSCIENCE DÈS L’ENFANCE
GABRIELLE VIALLA
Artège, 2023, 220 pages, 16,90 €

En ces temps tout imprégnés de relativisme moral, l’éducation de la conscience dès le plus jeune âge devient une nécessité de plus en plus fondamentale. La conscience ne peut se contenter d’être infuse, mais doit être guidée, enseignée, accompagnée. Ce guide apporte une aide essentielle aux parents, premiers éducateurs, pour aborder ce défi éducatif à chaque étape de la vie, de la petite enfance à l’âge adulte. Très structuré, il fourmille d’exemples concrets permettant d’éclairer bon nombre de situations auxquelles chacun de nous peut être confronté. Une seconde partie aborde les difficultés tant intérieures qu’extérieures rencontrées par la conscience : endurcissement, souffrance psychologique, destruction de la famille, sens des mots, éducation… difficultés auxquelles s’ajoutent celles rencontrées au sein de l’Église.
Guidée par l’attitude du cardinal Newman lors de sa conversion au catholicisme, l’auteur nous fait découvrir que c’est au sein des familles que « l’Église porte du fruit par ses saints, parce que chacun d’eux a su écouter sa conscience, et suivre le Christ ».

Anne-Françoise Thès

LA FIN DE L’ANTIJUDAÏSME CHRÉTIEN
L’ÉGLISE CATHOLIQUE ET LES JUIFS DE LA REVOLUTION FRANÇAISE AU CONCILE VATICAN II
PHILIPPE CHENAUX
Cerf, 2023, 312 pages, 24 €

C’est un très vaste, douloureux et complexe sujet que l’histoire que Chenaux parvient à synthétiser en quelques centaines de pages : la relation de l’Église catholique aux juifs vivant en Europe et particulièrement, comme le titre l’indique, les deux siècles durant lesquels elle accoucha difficilement de rapports plus amènes avec nos « frères aînés » dans la foi. Quelles qu’aient pu être les variations dans la tolérance des princes chrétiens ou des papes au cours des quinze siècles de chrétienté qui vont de Constantin à la Révolution française, force est de constater que le statut des juifs y fut toujours celui de la ségrégation, celui de la servitude, selon le principe qui s’imposa peu à peu, celui du « double protectorat » : la papauté les préservait des persécutions de chrétiens zélotes, mais elle protégeait en même temps le chrétien de la « perfidie » du juif, tout ceci se résolvant dans l’invention du ghetto. Et c’est un certain discours des Lumières (bien que celles-ci fussent aussi remplies de préjugés antijuifs) qui aboutit, par la Révolution, sous la plume de l’abbé Grégoire par exemple, à leur conférer les droits civils que tout homme peut revendiquer.
On découvre cependant que la première contre-révolution était beaucoup moins obsédée par un complot juif que par un complot franc-maçon, et qu’il faut attendre la fin du XIXe siècle, avec la prose infâme de Drumont et consorts pour que le sentiment antijuif reprenne de la vigueur chez les catholiques. Parallèlement, la conversion des frères Ratisbonne ou des frères Lémann va semer les germes a contrario d’une nouvelle théologie qui, passant par Léon Bloy, Péguy, les Maritain et de nombreux autres religieux héroïques, aboutira à la doctrine de Vatican II.
L’épopée que retrace Philippe Chenaux et dont l’issue fut heureuse, en témoignent les magistères de Jean-Paul II et de Benoît XVI, ne fait l’impasse sur aucune péripétie, vicissitude, ni n’écarte la complexité du pontificat de Pie XII qui, s’il est bien loin de la légende noire répandue par les communistes, demeura cependant souvent timide sur la reconnaissance des souffrances endurées par les juifs au XXe siècle. Une somme équilibrée, fine et érudite qui solde enfin, historiquement, « l’enseignement du mépris ».

Jacques de Guillebon

LA VIE DE JESUS
ANDREA TORNIELLI
Cerf, 2023, 428 pages, 21,90 €

Ce livre n’est qu’un coup éditorial. C’est un assemblage de trois textes différents : un roman sur Jésus écrit par le journaliste Andrea Tornielli, directeur éditorial du dicastère pour la communication du Vatican ; des textes tirés des quatre évangiles ; ici et là des extraits d’homélies du pape François, à tonalité plutôt moralisatrice. Tout cela présenté en couverture comme La vie de Jésus commentée par le pape François, ce qui est bien trop prometteur. Rien à voir, évidemment, avec le Jésus de Nazareth de Benoît XVI. On pourra s’en dispenser.

Denis Sureau

QUEL AVENIR POUR LA MESSE TRADITIONNELLE ?
Contretemps, 2022, 132 pages, 15 €

Ce volume rassemble les actes d’un colloque organisé en septembre 2022 à Paris par Renaissance catholique, Una Voce et Notre-Dame de Chrétienté. Qu’on ne s’attende pas à des études savantes sur la liturgie ou à des analyses historiques. Le but premier de ce colloque était de réagir à Traditionis custodes présenté comme l’antithèse de Summorum Pontificium. Le recueil s’ouvre par une vibrante apologie de la messe traditionnelle par le chanoine Alban Denis, jeune prêtre de l’Institut du Christ-Roi. Parmi les pages intéressantes de ce volume, on relèvera les témoignages de représentants de plusieurs associations de laïcs qui exposent la situation de la messe traditionnelle dans leurs diocèses respectifs (Bordeaux, Versailles, Paris, Le Mans, Nantes, Grenoble), situation très variable d’un diocèse à l’autre. On lira aussi avec attention les réponses de Cyrille Dounot, professeur de droit et avocat ecclésiastique, sur l’obéissance dans l’Église. Le débat qui a réuni l’abbé Grégoire Celier, de la Fraternité Saint-Pie X, l’abbé Claude Barthe, ancien prêtre membre de la même Fraternité aujourd’hui incardiné dans le diocèse de Toulon, et l’historien Luc Perrin aligne une succession de jugements qu’on peut contester : des évêques de France « lamentables », un pape François « despotique », le pontificat de Benoît XVI caractérisé par « la faiblesse du chef ».

Yves Chiron

JE N’AI PAS DIT MON DERNIER MOT
ÉRIC ZEMMOUR
Rubempré, 2023, 334 pages, 21,90 €

L’exercice est périlleux. On le sait, il le savait. Nous livrer son récit de la séquence présidentielle passée pouvait difficilement mener à autre chose qu’à une longue autojustification. Éric Zemmour s’est quand même lancé dans l’affaire. Construit chronologiquement, son livre nous plonge dans les prémisses et les incertitudes du début, dans la fièvre de l’automne 2021, les oscillations de l’hiver et les déceptions du printemps 2022. Le récit s’efface par moments pour laisser place à de l’analyse politique (sa vision de la France, ses axes de campagne, sa réflexion stratégique, la guerre en Ukraine, l’adversaire Jean-Luc Mélenchon, le cas Macron…). Ceux que les coulisses d’une campagne politique passionnent y trouveront leur compte.
Pour le reste, le bilan est plus mitigé. On comprend sans difficulté que Zemmour ait voulu revenir avec ses propres mots sur cette année hors-norme, on imagine bien l’urgence qu’il ressentait de raconter les choses comme il les a vécues, et c’est à cet égard une lecture non dénuée d’intérêt ; mais il est plus difficile de se convaincre que c’était à lui de faire son propre plaidoyer. L’entreprise le met dans une position assez peu avantageuse. On a parfois du mal à tracer la ligne de démarcation entre le jugement sévère mais lucide de ses adversaires (ou anciens amis) et le règlement de comptes. Nous relevons quelques petites imprécisions, qui tournent à l’avantage de Zemmour, mais le ton est sincère. La dramatisation dans la description des soutiens reçus et des espérances suscitées par sa candidature porte parfois à sourire – mais peut-être nous répondrait-il qu’il en était ainsi dans la réalité. Il s’attribue de grands mérites, ce dont nous ne doutons pas nécessairement, mais est-ce à lui de s’en faire le chroniqueur ?
Il résulte de tout cela que cet ouvrage apparaît peut-être moins noble qu’on le souhaiterait, et c’est bien dommage, car le personnage de Zemmour nous semble s’être montré capable de panache. Mais à notre tour de ne rien dramatiser : un parcours tel que le sien ne saurait se réduire à un seul ouvrage, et ce dernier n’enlève rien à la liberté dont il a si heureusement irrigué le débat public, ni à la page qu’il a voulu écrire dans le grand livre de notre histoire.

Élisabeth Geffroy

LA PROVIDENCE
Un dieu si proche !
JOËL GUIBERT
Artège, 2022, 314 pages, 19,90 €

Alors que le monde actuel montre tant de signes d’effondrement jusqu’au sein de l’Église, suscitant partout une désespérance croissante, voire une révolte insurmontable, la parution de cet ouvrage mérite d’être accueillie comme une intervention providentielle et ceci pour deux raisons principales qui en constituent la trame : rappeler la présence et l’action de la Providence au cœur de la foi chrétienne ; conduire le lecteur sur la voie d’une juste compréhension et d’une authentique spiritualité d’abandon à la volonté de Dieu.
Conscient de l’oubli dans lequel sont relégués ces principes essentiels et des déformations qui leur sont appliquées, alors que le Magistère contemporain en rappelle l’omniprésence et la permanence fondées sur l’Écriture Sainte, la Révélation du Dieu trinitaire et les dogmes relatifs à l’histoire du salut, le Père Joël Guibert s’est attelé à un travail théologique et pastoral d’envergure.
L’un des axes de son livre consiste à montrer le lien inséparable entre la souveraineté de Dieu (cause première) et la liberté de l’homme (les causes secondes) qui découle du « mystère d’alliance » entre le Créateur et ses créatures. En se référant aux enseignements de la Bible, des docteurs de l’Église et du Magistère catholique, l’auteur invite à en finir avec un grand nombre d’idées erronées, telles que l’anti-spécisme (équivalence entre l’homme et l’animal), la Providence assimilée au hasard, le préjugé anti-surnaturel (le miracle perçu comme « ingérence de Dieu »), la peur d’un Dieu qui serait « une menace » pour « l’homme-esclave ». Le bien que Dieu peut tirer du mal, à travers l’histoire comme pour chaque être humain, ce dont témoignent tant de saints, est l’objet de précieux développements : la permission divine doit être distinguée de sa volonté, raison pour laquelle l’homme ne peut céder au fatalisme. C’est donc l’amour qui doit être au centre de cette relation.
L’abandon à la Providence trouve ainsi toute sa pertinence, y compris dans les épreuves qu’il convient de vivre, non dans le quiétisme mais dans un détachement purificateur et confiant qui permet de comprendre et d’accueillir la grâce. Enfin, instruit par son expérience de prédicateur de retraites, le P. Guibert présente les divers « ingrédients » de l’abandon spirituel qui sont autant de voies vers la béatitude céleste. Comment résister encore à une lecture si riche et si bienfaisante ?

Annie Laurent

EN FINIR AVEC LE RÈGNE DE L’ILLUSION FINANCIÈRE
Pour une croissance réelle
JACQUES DE LAROSIÈRE
Odile Jacob, 2022, 144 pages, 17,90 €

Jacques de Larosière fut directeur du FMI dans les années 1980, gouverneur de la Banque de France dans les années 1990 puis président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. Il met dans cet ouvrage son expérience de la finance mondiale et l’acuité de son analyse au service d’une réflexion qui vise le retour à la croissance. Une croissance basée sur les ressorts économiques fondamentaux, une croissance de l’investissement productif. Actuellement, l’essentiel de la croissance n’est qu’une hausse d’actifs financiers, qui n’alimente plus l’économie réelle, laquelle se contracte, qui nous appauvrit et crée des bulles inflationnistes (inflation immobilière et mobilière).
Il nous rappelle que le vrai rôle de la finance est de financer les entreprises et le travail des hommes dans l’économie réelle. Son livre nous permet de comprendre et de décrire les processus qui nous ont amenés aux dérèglements actuels. Face à des problèmes économiques ou de société, on a intensifié le recours au crédit et à la création monétaire. L’explosion généralisée de la dette (+ 360 % du produit intérieur brut mondial) laisse présager de graves crises financières. En outre, les taux bas découragent l’investissement (trop risqué, pas assez rémunérateur). La création monétaire, quant à elle, engendre l’inflation.
Pour permettre de libérer les forces de l’épargne et de l’investissement pour bâtir notre avenir, il formule des recommandations simples pour sortir du découplage de la finance et de l’économie réelle. C’est un petit livre simple et clair qui est une lecture utile pour tous ceux qui veulent comprendre les illusions économiques que nous subissons. C’est un premier pas pour en sortir.

Nicole Geffroy

NOUS ET LES AUTRES
ALAIN DE BENOIST
Éditions du Rocher, 2023, 238 pages, 20 €.

Dans cet essai sur l’identité, Alain de Benoist s’attache à définir, dans une première partie, ce qu’est l’identité, d’un point de vue historique et philosophique et, dans une seconde partie, il évoque ce qu’il appelle « les délires du néoracialisme identitaire », c’est-à-dire le développement récent de l’indigénisme et de l’idéologie « décoloniale » qui, paradoxalement, font primer la notion de race pour dénoncer le racisme des Blancs.
L’identité a rapport avec l’identique et avec la différence, et aussi avec les notions d’appartenance, de filiation (au sens large) et d’héritage. Elle est constitutive de la personne (notion qui apparaît avec le christianisme, reconnaît Alain de Benoist), mais elle n’est jamais figée et a toujours de multiples facettes. Avec l’âge moderne qui donne le primat à la raison (Descartes) et à la volonté, il y a une « dévalorisation des appartenances situées en amont du sujet et la montée de l’idéologie du Même ».
Comme toujours dans les livres d’Alain de Benoist, le lecteur chrétien sera en désaccord avec certaines affirmations. Ainsi à propos de la morale : « Avec le christianisme, la morale cesse de se confondre avec ce qu’il est bon d’être pour se rapporter à ce qu’il est juste de faire. La morale cesse d’être substantielle, elle devient obligation procédurale » (p. 21). Au contraire, la morale chrétienne est une morale du bonheur qui conjugue éthique de l’obéissance (aux commandements, aux préceptes, etc.) et éthique de l’accomplissement (la vie trouvant son accomplissement ultime dans la béatitude céleste).
Alain de Benoist, qui fait référence à de très nombreux essais, aurait pu aussi se référer ou au moins mentionner le dernier livre de Jean-Paul II, Mémoire et identité (Flammarion, 2005).

Yves Chiron

ÉLOGE DE LA RELIGION
PAUL VALADIER
Salvator, 2022, 198 pages, 18 €

Jésuite, longtemps professeur de philosophie et rédacteur en chef des Études, Paul Valadier se défend d’avoir voulu écrire un livre d’apologétique. Il ne veut pas démontrer la vérité du catholicisme, mais la légitimité et la permanence de la religion définie comme « attitude devant le divin ou l’Absolu ». L’auteur définit aussi la religion comme « démarche essentielle à la nature humaine » et dans des pages bienvenues il conteste la thèse de Régis Debray qui voudrait remplacer le mot « religion » par le mot « communion » (p. 40-41) ou certaines thèses de Marcel Gauchet (p. 111-113). On ne sera pas convaincu en revanche quand il qualifie l’Inquisition de « cancer » (p. 31) ou quand il balaie d’un revers de main « les fausses théologies du Christ Roi » (p. 119). Plus fondamentalement, ce sont les affirmations de l’auteur sur la foi et le salut qui surprennent. Il interprète la célèbre péricope de Matthieu sur le Jugement dernier (Mt 25, 31-46) comme la démonstration que « le Roi de gloire ne juge pas sur le comportement religieux ou sur la foi, mais sur le rapport au prochain, et au prochain en détresse » (p. 100). Sans être exégète ou théologien, on peut facilement opposer à l’auteur les paroles du Christ à la pècheresse : « Ta foi t’a sauvée, va en paix » (Lc 7, 50) ; ou à l’aveugle de Jéricho : « Va, ta foi t’a sauvé » (Mc 10, 52).

Yves Chiron

DOGMES EN DEVENIR
MICHAEL SEEWALD
Cerf, 2022, 408 pages, 29 €

Le Catéchisme de l’Église catholique définit ainsi la nature des dogmes : « Le Magistère de l’Église engage pleinement l’autorité reçue du Christ quand il définit des dogmes, c’est-à-dire quand il propose, sous une forme obligeant le peuple chrétien à une adhésion irrévocable de foi, des vérités contenues dans la Révélation divine ou bien quand il propose de manière définitive des vérités ayant avec celles-là un lien nécessaire » (§ 88).

Michael Seewald, théologien allemand, contredit cet enseignement en s’appuyant sur une abondante littérature théologique essentiellement allemande (catholique et protestante). Il cherche à développer « une théorie de l’évolution des dogmes ». Il se réfère notamment au célèbre Essai sur le développement de la doctrine chrétienne de Newman, faisant comme si chez Newman les termes « développement » et « évolution » étaient similaires. Or ce n’est pas le cas. Dans son essai, Newman n’emploie le terme « évolution » qu’une seule fois, et dans un sens négatif. La doctrine chrétienne n’évolue pas, elle se « développe » dans son expression, elle se déploie.

Seewald combat l’immutabilité des dogmes. Il estime que « le dogme est un moyen au service d’une fin » – ce qui est vrai –, mais aussi qu’« il doit pouvoir faire l’objet d’une interrogation ». S’il « ne répond plus à sa finalité, il n’en devient pas faux pour autant, mais, malgré toute impossibilité de le réformer, il perd en quelque manière de sa pertinence et n’est donc plus d’aucun profit pour le but qu’il est censé servir ».

Le titre français du livre, Dogmes en devenir, est moins radical que le titre original allemand : Dogma im Wandel, qu’on devrait traduire par « Le Dogme en mutation ». L’expression est plus que dangereuse. Elle conduit à un relativisme théologique. Or, les dogmes n’entravent pas la réflexion théologique, ils lui donnent un cadre sûr parce qu’ils sont en lien étroit à la Révélation divine. Benoît XVI, à l’ouverture de l’Année de la foi en novembre 2012, l’avait exprimé en termes lumineux : « Dieu, par sa grâce, éclaire la raison, lui ouvre des horizons nouveaux, incommensurables et infinis. C’est pourquoi la foi constitue un encouragement à chercher toujours, à ne jamais s’arrêter et à ne jamais trouver le repos dans la découverte inépuisable de la vérité et de la réalité. Le préjugé de certains penseurs modernes, selon lesquels la raison humaine serait bloquée par les dogmes de la foi, est faux. »

Yves Chiron

Romans à signaler

TOUT LE PAYS EST ROUGE
FRÉDÉRIC ROUVILLOIS
La Nouvelle Librairie, 2022, 294 pages, 18 €

Crime crapuleux ou petit meurtre entre camarades suivant une tradition assez bien ancrée dans ce petit groupuscule maoïste qui venait de fêter, comme tous les ans, chez la victime, le discours du 7 mai 1966 de Mao appelant à la rééducation des intellectuels et des cadres ? Il est vrai que bon nombre d’entre eux pourraient désormais bénéficier de cette rééducation et qu’il n’est pas bon de faire ressurgir quelques souvenirs de cette peu glorieuse époque. À l’épicurien commissaire Lohmann et à sa chère partenaire, le capitaine Morin, la charge de faire la lumière sur cette sordide affaire aux ramifications inattendues. Un policier efficace et qui nous fait découvrir les arcanes d’une sordide affaire criminelle qui secoua la France dans les années 70.

Anne-Françoise Thès

LES MURMURES DU CIEL
ERIK L’HOMME
Éditions Héloïse d’Ormesson, 2023, 224 pages, 19 €

Erik L’Homme est essentiellement connu comme un auteur de livres de fantasy pour la jeunesse ayant obtenu un véritable succès de librairie avec Le Livre des Étoiles. À partir de 2018, il s’est tourné vers la littérature classique et, dans Les Murmures du Ciel, il aborde le roman historique. La trame centrale du récit repose sur le fait que ce n’est pas sainte Jeanne d’Arc qui a été brûlée à Rouen mais un sosie. Sur cette idée, Erik L’Homme bâtit une histoire évoquant les pérégrinations de Jeanne d’Arc pour libérer Charles Ier d’Orléans. La facture en est solide, l’écriture dynamique, sobre et enlevée, la lecture plaisante. Un point particulièrement frappant est le rapport de Jeanne d’Arc à sa foi. Si au début, le Ciel ne parle plus à Jeanne, elle continue à prier avec ardeur et foi. À la fin du livre, elle sent à nouveau la présence de Dieu : « Jeanne entend de nouveau le froissement des choses immensément lointaines, les plissements d’horizons grenat bousculant d’autres plaines, ces indicibles chuchotis qui ont le goût du miel : les murmures du ciel. » Si Erik L’Homme, à en juger par son œuvre, n’est pas chrétien, on peut le féliciter d’avoir écrit un livre traduisant la foi de Jeanne sans en avoir fait une druidesse ou une sorcière de l’époque médiévale, transgression de l’histoire trop souvent répandue.

Rainer Leonhardt

© LA NEF N° 358 Mai 2023