Mgr François Touvet

Entretien avec Mgr Touvet, évêque de Châlons-en-Champagne : saisir l’histoire d’un diocèse

Mgr François Touvet, évêque de Châlons-en-Champagne depuis fin 2015, a eu l’idée de publier un riche album présentant les évêques de son diocèse depuis les origines au Moyen Âge : une belle façon de s’approprier l’histoire d’un diocèse. Entretien.

La Nef – Vous avez publié un magnifique album sur les évêques de Châlons : pourquoi cette initiative, en quoi ce projet artistique s’inscrivait-il dans votre mission d’évêque ?
Mgr François Touvet – Je m’étais intéressé à la succession des évêques de Langres lorsque j’étais recteur de la cathédrale, et j’avais présenté les portraits et armoiries dans le cadre d’une exposition. En découvrant petit à petit le diocèse de Châlons, et en prenant quelques photos lors de mes déplacements, l’idée m’est venue de faire un livre. Grâce à l’aide précieuse de quelques personnes pendant 4 ans, et des heures de loisirs consacrées à ce travail, j’ai pu aboutir à ce livre qui présente 300 images et des notices historiques sur les 104 évêques m’ayant précédé. Cela permet au lecteur de découvrir l’histoire du diocèse et de mettre en lumière la succession apostolique.

Parmi les figures d’évêques sur lesquelles vous vous arrêtez, lesquelles vous inspirent le plus et en quoi peuvent-ils être des modèles pour un évêque du XXIe siècle ?
Je vous invite à découvrir le livre ! Il y a beaucoup de figures intéressantes comme Guillaume de Champeaux (1113-1121) qui soutint le futur saint Bernard pour l’installation à Clairvaux et lui conféra la bénédiction abbatiale ; Jean de Sarrebrück (1420-1438) qui fit allégeance au Dauphin et l’accueillit avec Jehanne le 14 juillet 1429 ; Antoine Le Clerc de Juigné (1764-1781) qui fonda la « Caisse départementale des incendiés de la Marne », devenue aujourd’hui la CMMA ; Joseph-Marie Tissier (1913-1948) qui sauva Châlons de la destruction en 1914, fut très présent sur les champs de bataille et laissa de magnifiques sermons, comme « Vive Dieu et vive la France » prononcé le 17 novembre 1918 à la cathédrale, et que je pus lire en de très larges extraits le 11 novembre 2018 au monument aux morts, avec l’accord de monsieur le préfet. Beaucoup furent des bâtisseurs, installèrent des communautés religieuses, entretinrent des relations régulières avec les autorités du Royaume ou de la République, initièrent des projets à caractère social, et se dévouèrent à la formation du clergé. Malgré la pénurie actuelle, je m’efforce de guider le diocèse avec conviction, le cœur habité par cette grande espérance que le Saint-Esprit fait croître l’Église : publication du projet missionnaire intitulé « Prophètes de l’espérance » (1), installation des Bénédictines de Montmartre à Notre-Dame de L’Épine, mise en place d’équipes de prêtres sur des « espaces missionnaires » qui regroupent jusqu’à 121 villages, etc.

Quelle est l’importance de l’histoire longue du diocèse dans la façon qu’a un évêque de considérer son propre diocèse ?
Il est important pour un évêque, non seulement de connaître l’histoire lointaine, mais surtout l’histoire récente en écoutant les anciens. L’évêque doit « s’inculturer » dans une région qui n’est pas la sienne, se faire adopter. Alors « le berger connaît ses brebis et ses brebis le connaissent » (Jn 10,14). J’aime citer Otto de Habsbourg-Lorraine, fils du Bienheureux Karl, que j’avais eu la joie de rencontrer à Dijon le 30 novembre 2007, lors d’un chapitre de la Toison d’or présidé par son fils l’archiduc Karl : « Celui qui ne sait pas d’où il vient ne peut savoir où il va car il ne sait pas où il est. »

Vous êtes évêque de Châlons depuis 2015 : quel regard portez-vous sur ce ministère épiscopal, vous attendiez-vous au travail qui est le vôtre ? Quels sont les principaux défis d’un évêque d’un diocèse comme le vôtre aujourd’hui ?
J’avais été vicaire général à Dijon et à Langres, ce qui m’avait donné un aperçu du ministère de l’évêque, des joies et des croix qui sont les siennes, des défis qu’il doit relever, et du poids de sa charge. Comme me le disait Marc, mon ancien chef scout devenu évêque en 2008 : « Tu verras, François, être évêque, c’est à la fois le Thabor et le Golgotha. » Je découvre et vis cela. Le cœur de ma mission, c’est l’annonce de l’Évangile. Cela se fait principalement lors des visites pastorales, des célébrations liturgiques et des prédications. Mais je dois donner beaucoup de mon temps pour écouter, réconforter, encourager, réconcilier. Ma mission d’administrateur de la communauté du Verbe de Vie, en vue de sa dissolution, m’a demandé une immense capacité d’écoute pour accompagner les personnes et guérir les blessures. Le dossier très douloureux des abus dans l’Église émergeait avec force lors de ma première assemblée plénière en mars 2016, avec l’affaire Barbarin. Depuis, c’est récurrent, envahissant, douloureux, mais c’est un devoir d’affronter cela avec vérité. Les personnes victimes m’ont bouleversé et beaucoup appris.
Mon principal défi est double : engager le diocèse dans la « conversion pastorale et missionnaire » demandée par le Saint-Père (Evangelii Gaudium, 2013), et préparer l’avenir avec un clergé très restreint (18 prêtres actifs de moins de 75 ans dont 5 sont originaires du diocèse et sont plus âgés que l’évêque !).

Un prêtre qui devient évêque est-il préparé à cette tâche et la façon dont les évêques sont choisis aujourd’hui vous semble-t-elle améliorable et dans quel sens ?
Devenir évêque est un vrai changement de vie, ou même de métier, si je peux oser ce terme. La plupart des évêques ont été vicaires généraux ou supérieurs de séminaire, et cela les a préparés, au moins un peu. On pourrait certainement améliorer le processus, mais il me semble indispensable de maintenir la confidentialité pour préserver la liberté. La formation initiale et continue, elle, devrait vraiment être revue. Je suis heureux que les évêques aient voté en mars dernier l’idée de visites régulières par des tiers, comme dans les couvents et monastères, et aussi d’offrir à chaque jeune évêque un frère plus ancien qui jouera le rôle de mentor.

On a parfois l’impression que les évêques doivent être maintenant de bon « managers », passant pas mal de temps en réunions, commissions, etc. : comment, dans un tel contexte, assumer ce qui devrait être la première tâche de tout évêque, l’évangélisation et la mission à l’image des apôtres ?
Un évêque est en effet un dirigeant, même si sa mission est avant tout celle du pasteur, dans l’ordre de la grâce, au nom du Seigneur Jésus lui-même. Pour rester concentré sur l’essentiel et être vraiment l’évêque plus que le dirigeant, il doit s’entourer de collaborateurs, clercs et laïcs compétents, à qui il délègue une part de ses responsabilités, et qui lui rendent compte très régulièrement pour lui permettre d’avoir une vision d’ensemble. Ainsi, il peut valider les décisions stratégiques dans un souci missionnaire.

Le récent décès d’un curé de paroisse parisien très populaire dont on a publié le « testament spirituel » a révélé combien les simples curés étaient souvent seuls et pas toujours soutenus par leur évêque : avez-vous déjà perçu ce genre de problème et comment y remédier ?
Ce prêtre a exprimé dans son testament ce qui était son expérience à lui. Certes je connais les difficultés rencontrées par beaucoup de prêtres, mais je doute fort qu’ils soient tous habités par cette même rancœur à l’égard de leur évêque. Quand j’étais prêtre, je savais pointer les failles et les limites de mes évêques successifs. C’est facile. Maintenant que je suis évêque, je tâche d’accompagner les prêtres de mon mieux : la contestation ambiante cristallisée dans la lutte contre le cléricalisme les blesse, et l’apparente stérilité de leur ministère peut les décourager. Je cherche bien humblement à être, selon les textes du Magistère, à la fois un père, un frère et un ami. Chacun comprendra que ce n’est pas facile.

On observe en France et en Europe un fort recul du christianisme et même de la culture chrétienne : qu’est-ce que cela vous inspire et qu’est-ce que l’évêque que vous êtes peut faire contre un tel mouvement ?
Bien sûr, je constate la sécularisation, la paganisation de notre société. Ça saute aux yeux. Dans mon diocèse, les baptêmes d’enfants ont chuté de 75 % en 50 ans ! Le nombre d’enfants catéchisés a baissé de 80 % en 30 ans ! Le défi de la Mission en est rendu d’autant plus passionnant. Cela m’enthousiasme. L’évêque doit parler courageusement, représenter l’Église avec assurance, enseigner la foi catholique sans arrangement, nourrir la foi des fidèles par la prédication et la vie sacramentelle. L’évêque est souvent un martyr, parfois plus en interne qu’en externe. Je retiens surtout qu’il est un « prophète de l’espérance » (saint Jean-Paul II).

Propos recueillis par Christophe Geffroy

(1) Cf. le site : chalons.catholique.fr/esperance

Mgr François Touvet, Évêques de Châlons, Liralest/Éditions Dominique Guéniot, 2022, 240 pages, 40 € (cf. www.liralest.fr).

© LA NEF n° 359 Juin 2023