Le cardinal Müller en 2017 © Elke-Wetzig-Wikimedia

Cardinal Müller : l’avortement et le caractère absolu du droit à la vie

Entretien publié en allemand sur https://kath.net/ le 31 mai 2023. Nous en proposons ici une traduction exclusive réalisée par Jean Bernard.

Parmi l’ensemble des droits de l’homme reconnus aujourd’hui, le droit à la vie constitue assurément celui que l’État et l’Église doivent protéger en priorité. Cependant, ce droit est de plus en plus remis en question, car l‘image de l‘homme est sujette à un changement fondamental : alors que, selon la conception inspirée par le christianisme, l‘esprit et le corps de tout être humain forment une unité, de sorte que tout être humain, qu‘il soit né ou à naître, malade ou en bonne santé, handicapé ou non, dispose d’un droit fondamental à la vie, cette conception est contestée par une nouvelle vision inspirée du « trans- ou post-humanisme ». Cette nouvelle vision a pour effet d’introduire dans chaque être humain une division, un dualisme de l‘esprit et du corps, avec pour résultat que le droit à la vie n‘est plus conféré à la personne en tant qu’unité d‘esprit et de corps, mais exclusivement à l‘esprit, celui-ci étant compris seulement comme une conscience de soi autonome et dont l’autodétermination ne connaît plus de limite. De cette façon, non seulement le corps de l‘autre personne, mais aussi son propre corps devient un simple matériau qui peut être manipulé et remodelé à volonté. Selon cette nouvelle conception, une personne ne devrait pas pouvoir faire valoir un droit à la vie lorsqu‘elle n‘est pas encore née ou qu‘elle est malade ou handicapée, ou encore lorsqu’elle ne dispose plus d’une intelligence, c’est-à-dire d’une conscience d’elle-même (cf. Wie schutzwürdig ist der Embryo ? Zu Abtreibung, PID und Embryonenforschung, Velbrück 2014). Le caractère absolu du droit à la vie est ainsi remis en question et devient relatif, c‘est-à-dire positiviste. Cette question sous-tend l’ensemble du débat sur le droit à l‘avortement, droit qui, en France, pourrait recevoir un statut constitutionnel et pourrait même, selon le gouvernement de ce pays, être inscrit au nombre des droits fondamentaux de l’Union européenne. Avec le cardinal Gerhard Ludwig Müller, dogmaticien et historien des dogmes, nous nous sommes entretenus sur la nécessité de refuser tout projet qui viserait à restreindre la protection du droit à la vie.

Lothar C. Rilinger (R.) : La vision transhumaniste de l’homme ne reconnaît pas l’être humain à naître comme un sujet juridique, mais plutôt comme un « amas de cellules », voire comme un « amas de cellules parasites » ou encore comme un « tissu de grossesse ». Cette conception vise à présenter l’être humain à naître comme une chose, à rebours de l’opinion majoritaire de la population, pour laquelle les personnes à naître ne sauraient simplement être assimilées à une chose dont on peut se débarrasser à volonté. Selon cette vision du monde transhumaniste, l’avortement jusqu’à la dernière seconde devrait être autorisé et décriminalisé. Quel est votre point de vue sur cette question ?

Cardinal Gerhard Ludwig Müller (M.) : Les athées pensent pouvoir déduire de leur vision matérialiste du monde que « l‘élite » des puissants et des riches est habilitée à accorder le droit à la vie au reste de l‘humanité selon leurs propres critères de statut, de classe sociale, de race et d’utilité économique. Pourtant, d’un point de vue purement biologique, parler de l‘être humain à naître dans l‘utérus comme un « amas de cellules » est un non-sens que contredisent toutes les normes scientifiques. D’ailleurs, les crimes contre l‘humanité ont toujours été justifiés par la prétendue non-humanité des victimes, qu’il s’agisse des personnes de couleur réduites à l’esclavage dans les États du sud des États-Unis, ou encore des Juifs et les Slaves exterminés en tant que sous-humains. Il est évident que toute forme de pensée fondée sur la race ou la classe sociale est diamétralement opposée à la création de l’être humain à l‘image et à la ressemblance de Dieu. Et même lorsque la dignité humaine générale est fondée non pas par référence à Dieu (comme dans l’anthropologie judéo-chrétienne) mais seulement par référence à la raison, la conviction existe que le droit de tuer un autre être humain menace toute coexistence pacifique et que la guerre de tous contre tous ne peut être empêchée que là où, à tout le moins, est respecté l‘impératif catégorique de Kant :  « La loi morale est sainte (inviolable). L’homme à la vérité n’est pas saint, mais l’humanité dans sa personne doit lui être sainte. Dans la création entière, tout ce qu’on désire ou tout ce sur quoi on a quelque puissance, peut être employé comme simple moyen ; l’homme seul, et avec lui toute créature raisonnable, est fin en soi. C’est que, grâce à l’autonomie de sa liberté, il est le sujet de la loi morale, laquelle est sainte. »

R. : Même si le catholique ne peut pas suivre le transhumanisme sur cette voie, la question se pose néanmoins de savoir si l’interdiction absolue de l’avortement, et ce en toute hypothèse, doit être défendue par l‘Église. La première situation délicate est celle où la grossesse non désirée est le résultat d’un viol : faut-il interdire moralement à la mère de recourir à l’avortement, au risque de la condamner au rappel permanent du crime dont elle a été victime et à toujours voir dans l’enfant le visage du criminel ? Ne faudrait-il pas accepter, au nom de la miséricorde – la vertu chrétienne par excellence –, que le droit de l’enfant doit céder devant celui de la mère, afin de permettre à celle-ci d’oublier et de surmonter le traumatisme dont elle a été victime ?

M. : Même lorsqu‘un enfant n’est pas conçu conformément à la volonté originelle créatrice de Dieu, à savoir dans l’amour de l’homme et de la femme, mais est la conséquence d’un acte criminel, il faut rappeler que le droit à la vie de l’enfant est non seulement garanti par Dieu mais qu’il peut également être déduit de la raison. Ainsi, si la sanction doit viser le violeur, elle ne saurait frapper l‘enfant innocent. […] Dans le cas d’une naissance à la suite d’un viol, ce qui constitue le traumatisme, ce n’est pas la vie de l’enfant en tant que telle, mais l’acte de violence dont elle a été victime. Or, le souvenir de cet acte ne saurait être effacé avec le meurtre de l‘enfant innocent, mais il s’alourdirait même, par l’avortement, d’un crime contre la vie d‘une personne innocente. L‘existence en tant que telle d’une personne ne peut jamais être vue comme un problème qui pourrait être résolu par la suppression de cette personne. L‘enfant qui est né sans aucune culpabilité ne peut payer de sa vie la dette d’un tiers. Je précise toutefois qu’une femme devenue mère à la suite d‘un viol n’a pas l’obligation morale d’élever cet enfant et peut confier celui-ci à l’adoption, étant précisé que le violeur doit être tenu par l’obligation de contribuer financièrement à l’éducation de l’enfant.

R. : Serait-il néanmoins justifié d’un point de vue moral de différencier le viol commis par le conjoint (par exemple dans le cadre d’une procédure de divorce) de celui commis par un tiers ?

M. : Comme il vient d’être dit, le droit à la vie d’un être humain découle de Dieu et ne saurait être relativisé par les circonstances – éventuellement criminelles – entourant sa conception. Cela ne signifie pas que le criminel doit échapper à sa responsabilité à l’égard de l’enfant issu de son crime. Certes, avec l’élimination de l’enfant, on peut penser que la victime du viol n’aura pas à se rappeler en permanence le traumatisme du crime. Néanmoins, le crime ne sera pas réparé par la mort de l’enfant innocent et la mémoire de celui-ci pèsera sur la conscience. Mais combien de personnes doivent vivre avec le souvenir et les conséquences de l‘injustice ? Parce que nous mettons notre espérance en Dieu, nous ne pouvons désespérer comme Job, l‘homme de douleur, car nous savons qu‘à la fin Dieu essuiera toutes les larmes de nos yeux.

R. : Mais est-il justifié de contraindre une femme victime d’un viol à garder toute sa vie devant les yeux le fruit de ce viol – l’enfant –, au prétexte que d’autres personnes subissent elles-aussi des injustices ? N’incombe-t-il pas plutôt à l‘Église de protéger les fidèles du mal et de l’injustice ?

M. : Le fait que nous devons souvent endurer les souffrances physiques et mentales que les autres nous ont infligées pour le reste de notre vie découle précisément du mal subi, non d’une volonté sadique de nous contraindre à éprouver ces souffrances. On ne peut faire en sorte que l’injustice subie n’ait pas eu lieu. Cette injustice peut seulement être supportée en vue de la plus grande justice de Dieu, qui seul rachète le monde du mal et de la mort. « Nous le savons bien, la création tout entière gémit, elle passe par les douleurs d’un enfantement qui dure encore. Et elle n’est pas seule. Nous aussi, en nous-mêmes, nous gémissons ; nous avons commencé à recevoir l’Esprit Saint, mais nous attendons notre adoption et la rédemption de notre corps. Car nous avons été sauvés, mais c’est en espérance… » (Romains 8, 22-24).

R. : Si l’avortement après un viol, même commis par un tiers, n‘est pas autorisé par l‘Église, comment la femme enceinte, qui porte l’enfant d’un criminel, peut-elle alors être aidée non seulement pendant la grossesse mais également après ?

M. : Je voudrais vous renvoyer à la parole de réconfort adressée par Saint-Augustin aux femmes violées lors de la prise de Rome par les Goths (410 après JC) ou lors de la conquête de l‘Afrique du Nord par les Vandales. […] L‘aide du prochain ne se limite pas à l‘aide matérielle pour prendre soin du bien-être physique de la mère et de l‘enfant. Il est également important d’assurer une aide spirituelle sensible afin que la conscience de sa propre dignité humaine inviolable soit restaurée et renouvelée.

R. : Au-delà de l’évidence selon laquelle ce n’est pas la femme victime d’un viol qui a commis la faute mais l’auteur de ce crime, la question se pose de savoir quel jugement porte l‘Église sur l’avortement lorsque la femme décide malgré tout de procéder à un tel acte. La femme devrait-elle être contrainte de regretter l’avortement afin d’être libérée de la culpabilité du péché, ce qui signifie qu’elle devrait accepter le viol comme un mal terrible à supporter ?

M. : On revient sans cesse à la même thèse, à mon avis fondamentalement fausse, que l’avortement, c‘est-à-dire le meurtre d‘un enfant innocent, fait disparaître ou, du moins, fait oublier le crime du viol. Certes, il serait complètement absurde que l‘Église veuille forcer la victime d‘un crime à accepter ce crime comme un mal acceptable. Mais le crime contre la femme est un mal, pas l‘enfant vivant. Je ne peux pas éliminer les conséquences d‘une injustice grave, comme une mutilation de guerre ou les conséquences d‘un accident en infligeant une injustice à un tiers innocent. Un juste châtiment pour le coupable est aussi justice, mais ne peut faire disparaître les conséquences souvent graves du crime. Dans une telle circonstance, c‘est Dieu seul qui nous console et qui cache nos blessures dans les plaies de son Fils souffrant et innocemment crucifié. Pensons aussi à la mère de Jésus, qui a dû endurer sept douleurs à cause de son fils et qui est pour nous un modèle et une consolatrice dans nos souffrances.

R. : Je voudrais aborder une deuxième situation délicate, celle où l’enfant à naître est si gravement atteint que, malgré l’assistance technique, il ne pourra survivre après la naissance et décédera de causes naturelles peu de temps après. Dans ce cas, la mère doit-elle continuer à porter l’enfant jusqu’à son terme ? Peut-on, dans une telle circonstance où l’embryon est gravement handicapé, autoriser l’avortement ?

M. : Ce sont des situations extrêmes, où une appréciation fondée sur des principes moraux risque de vous faire passer pour impassible et froid et où il est toujours plus facile de parler de l‘extérieur que lorsque vous êtes directement impliqué. Cependant, nous ne pouvons pas condamner l‘enfant à mort simplement parce qu’il est handicapé. Et ce qui se passe après la naissance, nous ne le savons pas. Combien de fois un diagnostic s’est-il finalement révélé erroné ? En outre, une vie sans souffrance ne peut exister, et les avancées de la médecine et de la technologie ne peuvent rien changer à ce constat. Enfin, j‘ai vu de nombreuses personnes handicapées mentales et physiques rayonner d’une dignité et d’un amour profonds au-delà de leurs capacités cognitives limitées. En fin de compte, nous devons reconnaître les limites du jugement humain et confier tout à Dieu avec confiance. Il nous éclairera plus tard sur tous les mystères de notre vie qui, pendant celle-ci, dépassent notre compréhension.

R. : Ma question visait bien, vous l’avez compris, les situations extrêmes. Non pas celles des enfants handicapés, même lourdement, mais plutôt celles des enfants qui, par exemple, naissent sans colonne vertébrale ou sans cerveau et dont la mort, de l’avis unanime de la science, est inévitable dans les suites immédiates de la naissance. Dans de telles situations, peut-on attendre de la mère qu’elle porte l‘enfant jusqu’au terme et qu’elle accepte toutes les épreuves de la grossesse ?

M. : On ne peut pas simplement faire dépendre la vie d’un être humain des souffrances et des inquiétudes des personnes impliquées dans ces situations – en l’occurrence la mère de l’enfant –, et accuser d’insensibilité ceux qui restent fermement attachés au principe du droit inconditionnel à la vie. Il existe une différence éthique entre tuer activement et laisser mourir dans des situations médicalement désespérées. Il n‘est pas juste non plus d’évoquer systématiquement, dans des discussions purement casuistiques, les situations les plus extrêmes pour, in fine, faire du droit inconditionnel à la vie que tout être humain possède par nature l‘objet d‘une mise en balance de nature utilitaire, où le critère est celui d’une vie digne d’être vécue. Ainsi, nous ne pouvons pas accepter l‘éthique conséquentialiste qui refuse que des actes puissent, par eux-mêmes, être qualifiés de mauvais. Car cela reviendrait à admettre le relativisme éthique, lequel ne connaît aucune limite. Pourquoi ne pas sacrifier alors le moins utile à la survie d‘une partie de l‘humanité au sens malthusien, si les ressources de notre planète ne suffisent pas à tout le monde ?

R. : Je voudrais aborder une troisième situation, celle où les droits de l‘enfant et ceux de la mère sont en conflit. Il s’agit, en pratique, du cas où la naissance de l’enfant risque, selon toute probabilité, d’entraîner le décès de la mère et où, par conséquent, seul l’avortement peut sauver la vie de cette dernière. La mère (qui peut par ailleurs avoir encore d’autres enfants à charge) doit-elle se sacrifier pour l’enfant à naître ? Où est-il justifié de sauver la vie de la mère aux dépens de celle de l’enfant à naître ?

M. : Il faut toujours être prudent avec ces situations individuelles extrêmes, car celles-ci sont souvent invoquées et détournées par les lobbyistes de l’avortement et par les idéologues qui agissent en faveur de la diminution des populations. À l‘aide d‘exceptions construites, ils entendent relativiser l‘interdit moral absolu du meurtre, voire l’inverser, c‘est-à-dire construire un droit de tuer des personnes à naître ou handicapées ou encore revendiquer une obligation morale de sélection naturelle et artificielle du matériel humain superflu. La façon dont l’opinion publique mondiale est systématiquement influencée dans cette direction a été clairement mise en évidence par Grégor Puppinck dans son livre Der denaturierte Menschen und seinerechte (Heiligenkreuz im Wienerwald 2020), écrit à l’origine en langue française. Il conclut son enquête très instructive sur la menace mondiale que représente pour l‘humanité une vision du monde athée-matérialiste de l‘inhumanité la plus totalitaire par ces mots : « Supprimez [la charité], et nous perdons notre humanité. Elle ne s’exerce pas dans les rêves de puissance ni dans les discours, mais s’incarne dans la réalité de l’existence. Il faut avoir la grâce de la désirer pour elle‑même. Face aux nouvelles démesures qui menacent notre humanité, le propre de l’homme, à préserver et à cultiver, ce n’est pas la puissance désincarnée, mais son exact opposé : la charité incarnée. » (p. 275)

La « certaine ressemblance entre l’union des personnes divines et celle des fils de Dieu dans la vérité et l’amour » montre bien que « l‘homme, seule créature sur terre que Dieu a voulue pour elle-même, ne peut se trouver pleinement que par le don désintéressé de lui-même » (Vatican II, Gaudium et Spes, 24).

R. : Exiger de la mère qu’elle coure le risque de mourir pendant la grossesse ou l‘accouchement, au nom du caractère absolu du droit à la vie de l’enfant, ne revient-il pas surtout à nier le droit à la vie de la mère ? Et est-il moralement justifié de faire prévaloir ainsi le droit à la vie de l’enfant sur le droit à la vie de la mère ?

M. : D‘un point de vue médical, tout doit être fait pour sauver la vie de la mère et de l‘enfant. Il est éthiquement inacceptable qu’il soit mis fin activement et sciemment à la vie de l’une ou de l’autre. L‘action humaine atteint ici une limite où nous devons reconnaître que c‘est Dieu, et non nous-mêmes, qui est le maître de la vie et de la mort.

R. : Pouvez-vous comprendre que l’interdiction absolue de l’avortement posée par l‘Église, même dans des situations extrêmes, soit considérée comme dépourvue de pitié par de nombreux catholiques, y compris conservateurs ?

M. : Non, je ne peux pas comprendre cela, parce que ce point de vue témoigne, à tout le moins, d’un manque d‘amour. C’est le fait de tuer un enfant innocent qui est sans pitié. Et la situation médicale extrême évoquée ci-dessus n‘est pas causée par l‘éthique et l‘enseignement de l‘Église, mais par une complication liée au fait que la nature humaine a part à la souffrance. Causer du mal à un être humain innocent ne peut jamais être la solution que nous pouvons, en conscience, adopter devant le Créateur.

R. : Le gouvernement fédéral allemand a adopté il y a un an une loi qui interdit le broyage des poussins mâles. On envisage même d’interdire la destruction des œufs fécondés dans lesquels se développe un tel poussin mâle, ce pour lui épargner toute souffrance et lui garantir un bien-être. Si aucune douleur ne peut plus être infligée à l’animal, il en va différemment de l‘être humain à naître victime d’avortement, cet être humain qui, d’ailleurs, n’est plus qu’une chose dans la vision du transhumanisme. L‘être humain à naître, auquel s’appliquent pourtant les droits de l‘homme en vertu de notre système juridique, peut être tué, alors même qu’il ressent nécessairement la douleur lors d’un avortement par démembrement. Le bien-être animal jouit ainsi d’une priorité par apport au bien-être humain. Comment jugez-vous cette différence d’appréciation ?

M. Il s’agit bien évidemment d’une contradiction flagrante. Mais les idéologues, confondant la réalité avec leurs constructions de pensée, considèrent la logique comme non pertinente aussi longtemps qu‘elle contredit leurs objectifs. Bien sûr, l‘homme dans l‘utérus n‘est pas une chose. Parce qu‘une chose ne peut jamais devenir une personne. Ni scientifiquement ni philosophiquement, l‘être humain qui reste toujours le même génétiquement et ontologiquement ne peut être réduit, en fonction de telle ou telle phase de développement, au statut d’objet sur lequel un autre être humain dispose du droit de vie ou de mort.

Les lois de ce type ne sont rien de plus que des « crimes contre l‘humanité » au-delà de l’habillage juridique formel. Ils minent le consensus social sur lequel repose notre démocratie. Après les terribles expériences des idéologies inhumaines du national-socialisme et du communisme en Union soviétique et en Chine, les auteurs de la Loi fondamentale de la République fédérale d‘Allemagne ont fondé notre Constitution sur cette vérité fondamentale : la dignité humaine est inviolable. Et la tâche de toute autorité étatique est de la protéger et de la préserver.

L‘engagement religieux et humaniste en faveur des droits humains inconditionnels à la vie et à l‘intégrité physique ne peut être compris dans toute son ampleur que dans le contexte des horreurs des guerres mondiales et de l‘inhumanité des idéologies athées totalitaires. Dans ce contexte, Vatican II peut déclarer ainsi : « tout ce qui s’oppose à la vie elle-même, comme toute espèce d’homicide, le génocide, l’avortement, l’euthanasie et même le suicide délibéré ; tout ce qui constitue une violation de l’intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les contraintes psychologiques ; tout ce qui est offense à la dignité de l’homme, comme les conditions de vie sous-humaines, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l’esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes ; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et responsable : toutes ces pratiques et d’autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu’elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s’y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement à l’honneur du Créateur. » (Gaudium et spes, 27).


© LA NEF le 31 mai 2023, exclusivité internet, traduction de l’allemand par Jean Bernard