Jean de Tauriers au pèlerinage de Chartres en mai 2023 © NDC

Pèlerinage de Chartres : « Nos pèlerins recherchent l’ascèse de la marche afin d’élever leurs âmes »

Jean de Tauriers, président de Notre-Dame de Chrétienté, qui organise le pèlerinage de Chartres de la Pentecôte, revient sur le succès de l’édition 2023. Il explique aussi sa position sur la question soulevée par le père Benoît de Sinety et les débats qui l’ont suivie.

La Nef – Quel succès ! Pour la première fois dans l’histoire du pèlerinage, vous avez été obligés de fermer les inscriptions avant le départ : pourquoi et comment expliquez-vous un tel succès cette année ?

Jean de Tauriers – Depuis 2013, hors années Covid, nous avons connu une progression régulière de 8 %. Mais cette année cela a été une véritable explosion : +17 % ! Nous avons été obligés de fermer les inscriptions parce que nous dépassions les chiffres approuvés par les autorités avec qui nous travaillons toute l’année. La taille du pèlerinage, le nombre de pèlerins, est choisie près d’un an à l’avance en fonction de nos contraintes matérielles (taille des bivouacs, longueur des colonnes, etc.).

La jeunesse catholique française, j’aime bien l’appeler « fervente » pour éviter les étiquettes habituelles, aime et recherche l’exigence spirituelle, intellectuelle, physique de notre pèlerinage. Je parle de nos pèlerins comme de jeunes pèlerins puisque la moitié a moins de 20 ans ce qui ne veut pas dire que nous n’accueillons pas toutes les générations. Certains plus âgés viennent marcher quelques heures ou retrouvent leur famille sur les bivouacs du soir. J’aime beaucoup ce pèlerinage des familles où tout le monde se retrouve.

Le succès du pèlerinage peut s’expliquer aussi dans un contexte plus large : tous s’accordent pour constater un nombre croissant de conversions, de retours à Dieu, depuis quelques années : cette lame de fond est l’œuvre du Saint-Esprit, rendons grâce à Dieu si le pèlerinage peut être l’un des lieux (et pas le seul bien sûr) de son action sur les cœurs.

Pensez-vous relever l’année prochaine votre seuil de fermeture des inscriptions ? Est-ce possible logistiquement ? Comment ? Est-ce souhaitable pour le pèlerinage ? 

Nous allons y travailler et nous avons déjà commencé. Un pèlerinage se prépare 18 mois à l’avance. Il va falloir augmenter les bivouacs, les haltes, optimiser la longueur des colonnes. Notre pèlerinage est d’abord missionnaire donc ouvert à tous, nous nous efforcerons de gérer cette croissance dans le respect des règles de sûreté et sécurité.

Pouvez-vous nous dire comment se répartissent les pèlerins, en termes d’âges, d’origine sociologique, la part issue directement du monde « tradi »… ?

Nous avions fait un sondage avant les années Covid qui nous avait montré que 60 % de nos pèlerins pratiquaient régulièrement en forme extraordinaire, 20 % en forme ordinaire et 20 % se répartissaient entre les deux formes. Cette année, cette répartition a probablement évolué. Pour avoir beaucoup parlé avec nos pèlerins et entendu nos cadres, nous avons eu une nette augmentation de recommençants et de non pratiquants.

Un élément important de cette année aura été la présence des pèlerins étrangers. Pendant les trois jours des représentants de pèlerinages de chrétienté aux États-Unis (Three Hearts Pilgrimage en Oklahoma) et en Espagne (Nuestra Señora de la Cristianidad, de la cathédrale d’Oviedo au sanctuaire de Covadonga) étaient présents. D’autres pèlerinages se sont créés à l’image de celui de Notre-Dame de Chrétienté en Argentine, Australie et au Rwanda et ont tout notre soutien.

Quel rôle joue la marche dans la prière ? Le fait que ce pèlerinage propose une grande exigence et volonté pour marcher 100 km joue-t-il dans l’attraction qu’il exerce ? 

Le pèlerinage est une retraite marchante de pénitents. La pénitence intérieure peut prendre des formes différentes : le jeûne, la prière, l’aumône. Nos pèlerins recherchent l’ascèse de la marche afin d’élever leurs âmes. Les 100 km sont difficiles, même pour nos jeunes pèlerins. Marchant dans les pas de Charles Péguy, le pèlerin de Chartres connaît ce lien du charnel et du spirituel, du caractère sacramentel de l’Église : « La terre est comme les marches de l’église. Elle est pour monter au ciel comme les marches de l’église sont aussi pour monter et entrer dans l’église. Nous avons le droit que la terre soit le seuil de votre ciel. »

Comme l’année dernière au milieu des orages, j’ai trouvé nos pèlerins très courageux cette année sous un soleil de plomb.

Nous avions sollicité les dons de nos pèlerins pour offrir du matériel thérapeutique à un foyer d’autistes au cœur du diocèse de Chartres, à Lèves. Ce foyer est géré par l’Ordre de Malte et nous étions très heureux le lundi de Pentecôte de compléter par ce don nos efforts de pénitents.

Que retenez-vous plus particulièrement de cette édition 2023, quel bilan en tirez-vous ?

Le nombre exceptionnel, la ferveur, la piété, l’amitié mais aussi les inquiétudes devant la situation de l’Église, de notre pays, les attaques contre la vie, les écoles, les familles.

Parmi les satisfactions, je voudrais mentionner le développement rapide de nos anges gardiens, les pèlerins non marcheurs, cette année plus de 6000. Le dimanche sur le lieu de messe dit des Courlis, nous avons érigé un calvaire avec l’association SOS Calvaires. Depuis sa création, le long de sa route, Notre-Dame de Chrétienté parsème son chemin de croix.

Le chapitre Emmaüs a poursuivi ses actions d’évangélisation autour de la colonne de pèlerins afin d’expliquer aux passants ce que nous faisons et recueillir leurs intentions de prières.

La présence des reliques de saint Thomas d’Aquin cette année placée sous le thème de « l’Eucharistie, salut des âmes » a été une grande joie pour les pèlerins. Nous remercions de tout cœur le père Philippe-Marie Margelidon de sa confiance.

Le Père Benoît de Sinety a, en quelque sorte, jeté un pavé dans la mare en soulevant une question légitime peu connue du grand public : l’obligation pour les prêtres accompagnateurs de célébrer leur messe privée, seul, dans la « forme extraordinaire » ; pourquoi une telle obligation qui empêche certains prêtres sympathisants de venir marcher avec vous – alors même que vous manquez de prêtres eu égard au monde présent –, dès lors où les trois messes publiques sont célébrées dans la « forme extraordinaire » selon le charisme propre et reconnu de ce pèlerinage ?

Cette question est, tout au contraire, très bien connue au sein de notre association puisque nos statuts spécifient que la seule liturgie célébrée lors du pèlerinage est la liturgie traditionnelle. Nous n’interdisons aucune liturgie mais une seule forme est célébrée, la forme extraordinaire. Comment comprendre cette exigence ? Depuis le premier jour, notre pèlerinage a voulu répondre à l’appel de Jean-Paul II au Bourget en 1980 et rechristianiser notre pays. Nous sommes missionnaires grâce à la messe tridentine. Nos méditations reviennent souvent sur cette question au centre des charismes de notre pèlerinage. Les prêtres qui participent au pèlerinage connaissent bien ces spécificités et les aiment d’ailleurs. Ils viennent pour célébrer la forme extraordinaire, ils nous soutiennent et nous encouragent comme de très nombreux catholiques de toutes les préférences. Parmi les prêtres, particulièrement nombreux cette année (environ 200), le clergé diocésain était en hausse de plus de 10 %. Cette progression montre leur courage dans le climat actuel de persécutions.

Dans notre fonctionnement un prêtre n’est pas affecté à un groupe marchant de pèlerins mais appelé à circuler dans les régions en fonction des besoins. Il sera ainsi amené à commenter des méditations, à répondre aux pèlerins. Comment un prêtre ne connaissant pas la liturgie traditionnelle, ne la célébrant pas, pourrait-il répondre aux différentes questions des pèlerins sur un thème fondamental de notre œuvre ?

Quand un prêtre ne sait pas célébrer la messe traditionnelle et souhaite participer au pèlerinage en adhérant à sa spiritualité, il lui est proposé de l’apprendre. Tout se passe très bien, notre pèlerinage étant très connu.

Rappelons que participer au pèlerinage de chrétienté n’est en rien une obligation. Un prêtre voulant absolument célébrer le Nouvel Ordo trouvera certainement un autre excellent pèlerinage catholique.

L’autorisation cette année – pour la première fois ? – donnée à un prêtre de célébrer sa messe privée selon le nouvel Ordo inaugure-t-elle une nouvelle règle sur ce plan pour l’avenir ?

Encore une fois, nous sommes une association de laïcs et nous ne donnons aucune autorisation. Nous expliquons aux prêtres qui ne nous connaissent pas encore ce que nous sommes et le sens de notre exclusivité liturgique. Nous avons constaté que nos choix, bien expliqués, étaient très bien compris et acceptés.

Quant à savoir si une messe privée (300 sont célébrées lors de chaque pèlerinage) a été célébrée cette année sur le pèlerinage selon le nouvel Ordo, mes services n’en ont pas entendu parler. Je ne vois pas comment cela serait possible d’ailleurs si mon explication sur le choix des prêtres au pèlerinage a été claire et bien reçue.

Alors que les « tradis » vivent une période difficile avec de très sévères mesures de Rome contre la messe traditionnelle – que l’on peut juger injustes et disproportionnées en faisant des « tradis » un bloc homogène –, au prétexte, selon le pape François, qu’ils rejettent la messe de Paul VI et le concile Vatican II, en quoi la grande popularité du pèlerinage de Chartres peut-elle favoriser une paix liturgique si nécessaire dans l’Église ?

Comme le dit le pape François « la réalité est plus importante que l’idée » : Pourquoi ne pas accueillir le succès de notre pèlerinage comme un signe de la Providence ? Pourquoi ne pas croire que toutes ces vocations décidées chaque année au pèlerinage sont l’œuvre de Dieu ? Pourquoi vouloir changer les charismes d’une œuvre qui porte à l’évidence du fruit grâce à Dieu en exigeant la célébration du Nouvel Ordo pour les messes privées ? Pourquoi ne pas montrer un minimum de considération, de prudence et de charité pour les organisateurs de ce pèlerinage « extraordinaire » ? Nous sommes désolés de cette guerre liturgique, de ces incompréhensions, de ces sacrements refusés dans certains diocèses. Les persécutions actuelles marqueront durablement les intelligences et les cœurs, notamment des jeunes générations.

Comment pourrions-nous favoriser cette paix liturgique à notre petite place ? Dans son dernier article, le père Benoist de Sinéty proposait une discussion fraternelle. Nous le remercions de ce geste auquel nous répondrons avec joie.

Propos recueillis par Christophe Geffroy

Photos du pèlerinage 2023, homélies… sur le site de Notre-Dame de Chrétienté : https://www.nd-chretiente.com/

© LA NEF, le 15 juin 2023, exclusivité internet