Réflexion d’un laïc sur la place du prêtre, le cléricalisme et la juste répartition des tâches entre prêtres et laïcs.
Un des axes majeurs du pontificat du pape François est de lutter contre ce qu’il appelle le cléricalisme. Si l’on suit le Souverain Pontife, l’Église serait ainsi en grave danger de cléricalisme, entendu comme une attitude surplombante des clercs sur les laïcs qui viendrait « diminuer et sous-évaluer la grâce baptismale que l’Esprit Saint a placée dans le cœur » (1) de ces derniers. Face à ce péril, une des réponses les plus courantes serait de donner une plus grande place aux laïcs dans l’Église. On en veut pour preuve les récentes conclusions de la synthèse française sur le Synode 2022. C’est devenu une sorte de leitmotiv qui rejoint d’ailleurs souvent celui de la place des femmes qui, si elles ont le malheur d’être en plus laïques, se trouveraient être doublement écartées des rôles de décisions ecclésiaux… On aimerait balayer ces arguments d’un revers de main en l’attribuant au malheureux « esprit du siècle » qu’il faudrait fuir pour se réfugier dans une rassurante routine. Ce serait à mon avis une erreur, une erreur d’autant plus dommageable qu’il y a bien une façon authentiquement catholique et amie de la Tradition de répondre à ces aspirations et au problème soulevé par le pape François.
Pour cela, on peut repartir du vrai retournement de sociologie paroissiale qu’a connu notre époque, et ce notamment dans les paroisses urbaines (2). Si dans les époques antérieures, le curé était – la plupart du temps – un lettré au regard de ses paroissiens, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Le catholique « moyen » en France a fait des études et a souvent une position sociale confortable (je schématise à dessein mais je ne pense pas être si loin de la réalité statistique). C’est, à mon avis, un des points de départ de ces revendications d’égalité entre les laïcs et les clercs. D’autre part, les prêtres ont la responsabilité de paroisses toujours plus complexes avec des aspects managériaux et administratifs toujours plus poussés : budgets, associations, bonnes œuvres, travaux divers de réfection des bâtiments, lien avec les établissements privés locaux, etc. La bureaucratisation des paroisses n’est pas une vue de l’esprit ! Face à l’ampleur de la tâche, le risque est identifié depuis, au moins, saint Jean de la Croix qui, dans son Cantique Spirituel, s’inquiétait déjà de ce tourbillon d’activité qui engloutit le prêtre volontaire et plein d’ardeur. Pour les laïcs, le risque est plus subtil mais peut-être encore plus dangereux pour l’Église. Il pourrait ainsi être tenté de se mêler de la pastorale et de la liturgie afin de « coller » à ses penchants quels qu’ils soient. Sans formation théologique et avec une compréhension partielle du dogme (ce qui est normal car il ne peut y consacrer autant de temps qu’un clerc), les erreurs et les innovations malencontreuses sont possibles, voire probables.
À mon humble avis, cela relève d’une confusion des genres. Une vraie alternative, cohérente avec la Tradition de l’Église catholique, serait, au contraire, de distinguer de manière absolue ce qui relève du ministère sacré et ce qui relève de l’intendance. C’est d’ailleurs ce à quoi invitait le pape Benoît XVI en parlant de la distinction entre les laïcs et les clercs comme d’un « lien organique d’un corps, d’un organisme avec ses diverses fonctions. […] Dans cet organisme, à la structure articulée, chacun exerce son ministère selon la vocation reçue » (3).
Pour le dire encore plus clairement, le rôle des laïcs dans une paroisse n’est pas de jouer les apprentis sorciers avec la liturgie ou le dogme, mais de décharger le prêtre du poids du siècle pour lui permettre d’être ce que Dieu attend de lui : être un saint prêtre comme l’exprime la prière bien connue : « Mon Dieu, donnez-nous des prêtres. Mon Dieu, donnez-nous de saints prêtres… »
Dans cette optique, oui, il est possible de donner plus d’importance aux laïcs dans l’Église. Ils seront comme ces enfants de chœur qui, dans la liturgie traditionnelle, soulèvent la chasuble du prêtre quand, ad orientem, il consacre l’hostie. Par ce geste humble entre tous, ils embarquent dans un navire dont le prêtre est la proue spirituelle. Pour que le prêtre devienne toujours plus cette figure de proue que nous décrivons, il faut donc que les conditions matérielles soient réunies afin qu’il ne devienne pas un de ces « opérateurs sociaux ou politiques » comme les autres (4). C’est aux laïcs, dans une complémentarité bien comprise, que revient cette tâche ; une tâche vraiment sanctifiante si elle est vécue comme une école de foi et d’humilité.
Pierre Vétois
(1) Lettre au Cardinal Ouellet du 19 mars 2016.
(2) Notre propos se concentre sur la situation de l’Église en Europe – l’Église en Afrique, en Amérique ou en Asie demanderait certainement des études à part entière.
(3) Benoît XVI, Catéchèse du 7 mars 2007 sur Clément de Rome.
(4) Cardinal Robert Sarah, Dieu ou Rien, Fayard, 2016, p. 184.
Venu au catholicisme à l’âge adulte, Pierre Vétois est l’auteur du blog Ecce Mater Tua : https://catholique4.fr/