Alors que la guerre civile s’installe en Birmanie, le sort des chrétiens y est plus précaire que jamais, et ils figurent hélas parmi les premières victimes de ce conflit.
La frappe meurtrière (au moins 50 morts) menée en avril dernier par l’armée birmane contre un village du centre du pays a fait brièvement revenir sur le devant de la scène le conflit qui divise le pays. Conflit dans lequel les chrétiens comptent parmi les premières victimes.
Depuis son indépendance acquise lors de la décolonisation de l’Inde britannique en 1948, la Birmanie a vécu au rythme des dictatures militaires, qui se sont succédé depuis 1962 et au rythme d’une guerre civile d’intensité plus ou moins forte entre le groupe ethnique majoritaire, les Bamars, et les très nombreuses minorités ethniques. En 1988, d’importantes manifestations en faveur de la démocratie ont lieu en Birmanie et le mouvement d’opposition à la dictature militaire trouve une figure phare en la personne de Aung San Suu Kyi, fille du général Aung San, père de l’indépendance. Une forte répression écrase les manifestations. Le régime tient malgré tout grâce au soutien de la Chine. En 2010, la junte militaire ouvre une démocratisation progressive, mais en février 2021, ayant peur de perdre tout son pouvoir, elle procède à un nouveau coup d’État. Depuis, ce pays, déjà éprouvé par les crises économiques, connaît une guerre civile ayant déjà fait plus de 30 000 morts.
Par la force des événements, plusieurs mouvements ont convergé : notamment les manifestants qui, après avoir protesté contre le coup d’État militaire, sont passés à la lutte armée sous la bannière des « Forces de défense Populaire », et les différents mouvements de guérilla initiés par les minorités ethniques. Depuis deux ans, le conflit est bloqué, la junte militaire tenant les grandes villes et les forces d’opposition parvenant à contrôler des territoires assez étendus.
Le régime a annoncé des élections pour l’automne 2023 : elles doivent lui permettre de légitimer la situation issue du coup d’État. Voilà qui devrait encore accroître la violence, car le régime tient à faire voter la population par la force, et l’opposition s’évertuera à montrer, par le boycott, la faible légitimité du régime. Il est difficile de prédire ce que fera la communauté internationale. Si la Chine soutient fermement la junte militaire, certains signes laissent entendre qu’elle pourrait faire pression en faveur de négociations, notamment si la guerre menace ses intérêts économiques directs. Par ailleurs, un possible soutien des États-Unis pourrait modifier l’équilibre en faveur de l’opposition.
Dans ce contexte, la junte militaire cible spécifiquement les chrétiens birmans (6,2 % de la population), qui appartiennent pour la plupart aux minorités ethniques. Le nationalisme birman mélange nationalisme bamar et adhésion religieuse au bouddhisme – d’autant que les Bamars sont quasiment tous bouddhistes. Cela s’était déjà vu pendant la crise des Rohingya : cette minorité musulmane présente dans l’État d’Arakan, au nord-ouest du pays, a été victime en 2017 d’une épuration ethnique qui a fait fuir 1 million d’entre eux vers le Bangladesh. Ils étaient ciblés en tant qu’étrangers, musulmans et non-Bamars. La même logique s’applique aux autres minorités ethniques, quoique de manière moins radicale – il est difficile de les considérer comme étrangères et une partie d’entre elles sont bouddhistes, même si l’évangélisation progresse. De nombreux témoignages indiquent que dans leurs attaques, les forces armées birmanes ciblent spécifiquement les églises. Il y a même une « persécution systématique et assez diffuse », l’Église catholique n’ayant par exemple « pas le droit de construire de nouveaux édifices ou d’avoir de comptes en banque » (Père David Michael de Penha, Nuit des témoins de l’AED en janvier 2023).
Peu d’issues semblent se dessiner. Le conflit continue à s’enliser, menaçant à terme de déstabiliser des pays voisins parfois déjà fragiles (Bangladesh, Thaïlande, Inde). Le meilleur scénario, l’ouverture de nouvelles négociations, est malheureusement peu probable à ce jour. Les généraux semblent convaincus que leur répression finira par vaincre l’opposition, et ils n’hésitent pas à recourir aux fondamentalistes bouddhistes pour gagner le soutien des masses : cela laisse craindre le pire pour les minorités religieuses.
Rainer Leonhardt
© LA NEF, exclusivité internet, mis en ligne le 20 juin 2023.