La Croix a fait paraître un article intitulé : « La théologie du corps : vision audacieuse de la sexualité », qui mérite que coule un peu d’encre pour qu’une réponse lui soit opposée. C’est ce que se propose de faire cet article, dans un examen des critiques exposées puis dans une réponse de fond.
Le quotidien La Croix publiait fin mars 2023 un article consacré à la théologie du corps. Les point de vue proposés laissent peu de doute sur la position de leurs auteurs à l’égard de l’œuvre de Jean-Paul II. Etonnant au regard de l’engouement que suscite la théologie du corps auprès des jeunes générations qui y trouvent, aujourd’hui, les réponses aux questions qu’ils se posent et comme en atteste le succès des forums whaou, destinés à la diffuser, dans le monde entier. Etonnant encore au regard des très nombreuses références explicites qui y sont faites par le Pape François, dans Amoris Laetitia mais aussi tout récemment dans le document adressé à toutes les conférences épiscopales : Itinéraires catéchuménaux pour la vie conjugale.
Examen des critiques :
L’article de La Croix présente la théologie du corps de Jean-Paul II comme une méditation, le terme y est utilisé à quatre reprises. Il convient de remarquer que cette terminologie minimise la portée du texte de Jean-Paul II et le range du côté des réflexions très personnelles. Si Jean-Paul II emploie parfois le terme de méditation au cours de son analyse pour désigner ses catéchèses sur la théologie du corps, ce n’est pas avec la même intention que Mgr Bordeyne : afficher une forme d’humilité intellectuelle d’un côté, relativiser la portée magistérielle de l’enseignement du Pape de l’autre.
Cette désignation semble pour le moins réductrice pour au moins deux raisons. D’une part parce que Jean-Paul II est un Pape philosophe et que sa théologie du corps, sans être un texte de philosophie, propose une vision novatrice très solidement argumentée et appuyée sur de nombreuses sources scripturaires, magistérielles et philosophiques. D’autre part parce qu’il s’agit d’une très longue catéchèse délivrée par un Pape en exercice. Pour mémoire la catéchèse est selon le site de la CEF : un processus de formation de l’Eglise au service de la croissance de la foi des personnes qu’elle accompagne. Cela confère à La théologie du corps un tout autre statut que celui d’une simple élaboration méditative. Enfin, lorsque le pontife polonais qui aimait la poésie, le théâtre et tous les arts, a voulu donner à un texte une forme méditative, il ne s’en est pas privé et lui a lui-même attribué explicitement le mot « méditation » comme c’est le cas pour sa fameuse Méditation sur le don désintéressé. Le ton personnel, le phrasé, le rythme de ce texte sont significativement différents de ceux de la théologie du corps. Si la théologie du corps n’est pas, ou n’est pas d’abord et avant tout, une méditation, il n’est en revanche sans doute pas inutile de la méditer pour ne pas la trahir.
Selon Francine Charroy, citée dans l’article, le discours de Jean-Paul II serait « éminemment normatif ». Cette formule semble jeter une ombre sur le texte du Pape et le ranger du côté des manuels dépassés. Mais le flou de la formulation laisse pantois quand on considère la réalité du contenu de la théologie du corps et le souci du Pape de sortir précisément d’une logique du « permis-défendu » en matière de sexualité. Il propose un chemin qui permette une adhésion du cœur à l’instar de ce que fit le Christ avec les pharisiens qui le questionnaient « pour le mettre à l’épreuve ». Subsiste-t-il alors un « caractère normatif » dans la théologie du corps ? Nonobstant le fait qu’employée ainsi la terminologie sous-tend une distanciation critique, il conviendra de relever que si caractère normatif il devait y avoir, celui-ci serait sans doute à découvrir dans les paroles mêmes du Christ.
« Nous annonçons un Messie crucifié », on peut le regretter, trouver cela amer, qui dirait le contraire ? Mais dépouiller le Christ de Sa Croix n’a aucun sens véritablement chrétien. Si Jésus propose encore en 2023, une voie exigeante, la joie réside dans la victoire qu’Il a déjà acquise pour notre compte. Il n’abandonne personne et accorde Sa grâce à qui la demande cette annonce à caractère kerygmatique éclot à chaque page de la théologie du corps.
Quant au psychanalyste Jacques Arènes dont l’avis est sollicité, la théologie du corps serait, selon lui : un discours idéalisé. On pourrait interroger ici la pertinence de solliciter un tel avis. En quoi la grille de lecture psychanalytique serait-elle éclairante ? S’est-on déjà mis en peine de passer d’autres textes du magistère à ce même tamis ? Il est à noter que Jean-Paul II, range Freud, le père de la psychanalyse, du côté des maîtres du soupçon dans la théologie du corps. Pour autant il sera difficile de taxer la pensée wojtylienne d’obscurantiste puisque l’auteur a justement été de ceux qui, les premiers, ont cherché à intégrer au maximum les avancées des sciences humaines, comme il l’a montré tout au long de son Pontificat dans ses écrits et dans Amour et responsabilité en particulier. D’aucuns l’ont d’ailleurs suffisamment critiqué pour cela.
Réponse de fond :
Reste à répondre sur le fond à la critique en discours idéalisé. Là encore si le chemin proposé par la théologie du corps est un discours idéalisé, que penser de l’appel à la sainteté proposé à tout chrétien ? La sainteté serait-elle un idéal ? Le Pape polonais présente sa théologie du corps non comme un idéal inatteignable mais comme un objectif qui permet de se mettre en chemin avec l’aide la Grâce. L’idéal est bien loin de la pensée chrétienne qui reconnaît l’homme pécheur au vêtement d’humilité, la théologie du corps propose justement une mise en route, une pédagogie, une conversion. C’est tout le sens du chemin de la vie chrétienne fait de chutes, de rechutes, de relèvements. Sinon renonçons d’emblée à la sainteté ! La théologie du corps est donc une pédagogie en vue de l’atteinte d’un objectif concret. Concrets aussi les moyens qui sont bien loin et d’un simple « discours » et d’un « discours idéalisé ». Et qui pourrait s’en étonner quand l’auteur lui-même rappelle qu’il l’a élaborée parmi les jeunes qui lui soumettaient leurs interrogations avec cette soif propre à la jeunesse. C’est sans doute ce qui donne au texte cette éternelle jeunesse, cette fraîcheur qui fait tant défaut à ses contempteurs.
Philippe Bordeyne semble lui aussi s’associer aux détracteurs de la théologie du corps, ce ne serait pas si triste s’il s’agissait seulement du propos d’un théologien tenant d’une position différente ou porté à la controverse. Mais Philippe Bordeyne est plus que cela, il est devenu le propre président de l’Institut Jean-Paul II créé à l’origine par le Pape polonais pour, entre autres approfondir et contribuer à diffuser cette théologie du corps. On se souvient à cet égard qu’il le fit au moment de l’attentat tragique qui faillit bien lui coûter la vie un 13 mai, comme en écho aux apparitions de Fatima dont on sait quel lien spirituel elles entretiennent avec le sujet de la famille. Celui-ci voudrait « questionner la théologie du corps » et semble déplorer que le Pape parte de la solitude originelle de l’homme évoquée dans la Genèse et explicitée par le Pape polonais. S’ensuivrait « une autoroute pour une pensée patriarcale ». Est-il permis de se demander comment on peut avoir lu cela dans la théologie du corps ? En effet dans les passages que Jean Paul II y consacre, la solitude originelle de l’homme est celle du genre humain tout entier, cette solitude précède et construit l’appétence à la relation dans l’altérité. Aadam est cet être humain non encore sexué, ni encore homme, ni encore femme. C’est seulement à la création d’Eve qu’Aadam devient Adam et se reçoit comme homme face à une femme. Il y a donc une concomitance dans la réception de la sexuation. C’est bien la solitude originelle qui permet de recevoir l’altérité, et c’est bien l’altérité au plein sens du mot qui fonde la relation. Le texte de la genèse le disait déjà mais Jean-Paul II prend un soin tout particulier à le relever et à le commenter. Dans ce passage de la théologie du corps comme dans maints autres, c’est une précaution que prend l’auteur précisément pour tordre le cou à toute tentative d’oppression de l’homme envers la femme quelle que soit la forme qu’elle prenne à travers les époques et les types de civilisations. Quelle acception Philippe Bordeyne donne-t-il à la « pensée patriarcale » ? Doit-on chercher dans cette formulation un sens historique ou bien plutôt le sens actuel inspiré du discours féministe ou même woke ? Encore une fois on peut s’interroger sur la pertinence de la grille de lecture et même sur l’intention à l’heure où un texte estampillé « patriarcal » est immédiatement voué aux gémonies. Or, à rebours de cette formule lapidaire, le texte de Jean-Paul II affirme à chacune de ses étapes, de manière totale l’égalité des sexes, leur égale grandeur, leur égale beauté, leur égale richesse de signification. Plus encore, dans une analyse fine le Pape relève pour la dénoncer, chaque tentative de dévoiement du message du Christ et de la pensée chrétienne sur ce sujet.
On ne peut que souhaiter que les lecteurs de La Croix découvrent la théologie du corps pour s’en convaincre et leur suggérer en particulier d’apprécier les explications que donne Jean-Paul II sur le fameux texte d’Ephésiens 5.
Caroline Wallet
© LA NEF, exclusivité Internet, mis en ligne le 20 juin 2023.