École primaire des bidonvilles de Mughalabad à Rawalpindi.

Pakistan : les chrétiens menacés

Dans un pays officiellement composé à plus de 96 % de musulmans, les minorités religieuses ont le sentiment de vivre en marge d’une société qui leur accorde – dans le meilleur des cas – un statut de dhimmis. Ils craignent, à juste titre, de faire les frais des crises qui se profilent dans une nation à l’instabilité grandissante.

En 1947, lors de l’indépendance du Pakistan, dans un contexte d’extrême violence, le drapeau fut dessiné avec des symboles islamiques évidents, couleur verte et croissant de l’islam. Mais une bande blanche à gauche symbolisait les minorités religieuses. Comme une place qui leur était concédée au « pays des purs », le Pakistan. Il venait de naître et peinait à trouver une identité commune aux peuples pachtounes, punjabis, sindhîs, baluchs, etc. qui le composaient. Ils avaient en commun l’islam – avec de sérieuses variantes – qui devait servir de base à la nouvelle nation.
Près de 70 ans plus tard, le poids démographique de ces minorités, essentiellement hindoues, chrétiennes et sikhs, n’a cessé de diminuer. En 1947, 23 % de la population pakistanaise n’était pas musulmane, alors qu’en 2022 la proportion est tombée à 3,5 %. S’il fallait ajuster la bande blanche du drapeau à la proportion de la population qu’elle représente, la bande serait à peine visible. Ces chiffres méritent cependant d’être pondérés, car comme le dénonce le dernier Rapport sur la liberté religieuse de l’AED, plusieurs États musulmans trichent sur le nombre réel de non-musulmans dans leur pays. La diminution des minorités au Pakistan n’en est pas moins indiscutable.
Elle ne correspond pas à un agenda politique bien établi. Aucun gouvernant pakistanais ne l’a revendiquée et aucun plan d’action à leur encontre, même secret, ne se distingue nettement à l’examen de l’histoire du pays. En revanche, d’une façon constante, les minorités tendent à perdre leur représentation politique et leur poids dans la société pakistanaise.
Les hindous qui n’ont pas décidé d’émigrer en Inde lors de l’indépendance savent qu’ils sont suspects aux yeux des musulmans, car ils pourraient représenter une cinquième colonne en cas d’affrontement entre les deux pays ennemis. Quant aux chrétiens, leur cas illustre comment une population perd progressivement pied dans son propre pays. Durant la colonisation anglaise, des hindous de castes inférieures ou même des intouchables se sont convertis, créant une nouvelle Église parallèle aux Églises indiennes historiques, Malabares et Malankares, dites des « chrétiens de saint Thomas ». Avec le soutien des chrétiens occidentaux, les nouvelles Églises catholiques ont joué un rôle social de premier ordre, notamment grâce à leurs hôpitaux et à leurs écoles.
Au Pakistan, ces structures ont été nationalisées durant le mandat de Zulfiqar Ali Bhutto (1971-1977), premier dirigeant démocratiquement élu de la nation. Le personnage fut aussi le premier dirigeant à se prononcer explicitement pour un Pakistan islamique. Le niveau des écoles catholiques s’en est fortement ressenti et elles n’ont pu, depuis, jouer le rôle qui est le leur dans d’autres pays comparables comme l’Irak ou la Syrie. Dans ces deux derniers pays, les écoles chrétiennes ont une réputation d’excellence qui pousse les musulmans aisés à y placer leurs enfants. Outre l’intérêt que ces structures permettent en termes d’éducation, elles offrent à de jeunes musulmans de côtoyer les chrétiens et les membres d’autres minorités. C’est d’ailleurs dans l’une de ces écoles que le fondateur du Pakistan, Muhammad Ali Jinna, a fait ses études. L’homme, qui est vénéré comme le fondateur de la nation, a aussi placé ses propres enfants dans des établissements scolaires chrétiens.
Ces écoles assuraient par ailleurs aux chrétiens d’avoir des élites bien formées, capables d’accéder aux plus hautes fonctions de l’État. Ce fut le cas de Shahbaz Bhatti, chrétien et ministre des Minorités, qui fut assassiné le 9 février 2011. Le ministère des Minorités a été depuis supprimé durant le mandat d’Imran Khan comme Premier ministre, si bien qu’il n’y a plus le moindre non-musulman au sommet de l’administration.

L’islamisme, ça rapporte !

Ancien joueur de cricket vedette, volontiers critique à l’égard des islamistes, Imran Khan n’a pourtant pas le profil d’un barbu décidé à anéantir des minorités qui ont un impact plutôt positif sur la société pakistanaise… Mais confronté à la chute de sa popularité, il a eu besoin de donner des gages aux conservateurs, en se prononçant en particulier en faveur de la loi anti-blasphème. Ce coup politique dénonce le mal qui ronge la société pakistanaise, non pas tant le cynisme des politiques – quel pays est épargné ? – que la prégnance des islamistes radicaux. Aucun politique ne peut les négliger et ils influencent l’ensemble de la société.
L’islamisme guerrier s’introduit dans les cerveaux des jeunes enfants dès les bancs de l’école. L’histoire du Pakistan a été réécrite dans les manuels scolaires, donnant la part belle à des conquérants musulmans esclavagistes. Les hindous, à l’inverse, sont décrits comme mauvais et brutaux, et les adeptes d’autres religions minoritaires, notamment les chrétiens, sont qualifiés « d’infidèles ». Tous les élèves, quelle que soit leur appartenance, doivent apprendre et réciter par cœur : « Je suis Pakistanais. Je suis un musulman. Les Pakistanais sont musulmans. »
Plus généralement, le mépris des musulmans pour toutes les autres communautés se traduit de mille et une façons au quotidien. Il est difficile d’appréhender l’étendue de cette discrimination pour les étrangers, prévient Naeem Yousaf Gill, directeur de la Commission Justice et Paix au Pakistan (CNJP), alors il l’illustre par un faisceau d’exemples. Sa Commission émane de l’Église catholique locale et reçoit le soutien de l’Aide à l’Église en Détresse en raison de son travail pour la défense des chrétiens pakistanais.
Dans une série de documents consacrée aux discriminations durant l’année 2021-2022 (1), la Commission énumère des centaines d’incidents à l’encontre de chrétiens, d’hindous et de sikhs, tous considérés comme des sous-hommes. Cette litanie comprend des actes de violences, des discriminations, couvrant un large spectre.
Ainsi, le cas de Riaz Gill, employé compétent, qui fut promu directeur de son hôpital à Karachi. Il a aussitôt subi des menaces de morts de ses collègues. Des petites frappes étaient payées pour le suivre jusque chez lui et l’avertir que sa famille et lui-même auraient de sérieux problèmes s’il ne renonçait pas à son poste, car il était intolérable qu’un chrétien dirige des musulmans. De guerre lasse, Riaz Gill est revenu à son poste antérieur. Mais la pression a continué, jusqu’à ce qu’il remette sa démission.
Autre cas typique rapporté par la Commission : un musulman qui passait à moto devant le parvis d’une église s’est plaint d’avoir été sali par deux jeunes chrétiens qui passaient le balai à cet endroit. Il est revenu avec une troupe en colère de soixante hommes, brandissant des crosses de cricket et des barres de fer. Ils ont tabassé la famille des deux jeunes hommes, femmes et enfants compris.
Une autre série de faits dénonce le traitement à l’égard des jeunes chrétiennes. Il arrive qu’une chrétienne échappant à une tentative de viol, dénonce son agresseur, pour découvrir qu’une foule se forme pour prendre la défense de son assaillant… La question de la sécurité des jeunes femmes chrétiennes représente un défi douloureux. Elles savent qu’elles risquent d’être considérées comme des victimes faciles pour des prédateurs sexuels. Elles peuvent être enlevées, « converties » puis « épousées » de force. Les cas de ce type abondent. On se souvient de Maira Shabbaz, enlevée à l’âge de 13 ans, qui parvint finalement à échapper à son agresseur, mais il représente malheureusement une exception. Dans la majorité des cas, les parents de ces jeunes filles sont désemparés et craignent de porter plainte devant la police, de peur qu’elle ne se retourne contre eux. La CNJP fait observer que dans 90 % des cas, les agresseurs divorcent de ces « épouses » dans l’année. Le plus souvent, ils avaient au moins une autre femme au moment des faits et sont beaucoup plus âgés que les jeunes filles qu’ils prennent de la sorte.

Martyres du XXIe siècle

En 2021, Abida, 26 ans, et Sajida, 28 ans, deux sœurs chrétiennes qui vivaient dans le quartier de Makhan dans la banlieue de Lahore, ont été harcelées puis enlevées par des musulmans. Elles ont été retrouvées mortes, égorgées dans des sacs abandonnés dans un canal, probablement parce qu’elles ont refusé le mariage et la conversion forcés.
Une multitude d’autres exemples moins dramatiques sont symptomatiques de l’aversion maladive que ressentent beaucoup de Pakistanais à l’encontre de personnes d’autres religions. Toujours durant cette année examinée par la CNJP, une famille hindoue a été tabassée pour avoir rempli ses bouteilles d’eau à un robinet situé devant une mosquée.
Les centaines de cas recensés permettent de constater que les mauvais traitements ne proviennent pas directement de l’administration. Des Pakistanais ordinaires, face à une contrariété ou simplement pour obtenir ce qu’ils désirent – un terrain, une épouse, une vengeance… – estiment avoir le droit de s’en prendre aux « castes inférieures ». Mais si les autorités ne sont pas à la source de ces exactions, elles ne s’en montrent pas moins défaillantes pour rétablir la justice.
L’administration pakistanaise, qui combat les terroristes talibans sur son propre sol, se montre manifestement frileuse à s’attaquer à l’islamisme ordinaire qui gangrène les rapports entre ses citoyens. Il y a là une faiblesse fondamentale qui menace la société tout entière, prévient Babar Ayaz, journaliste et auteur de Qu’est-ce qui ne va pas au Pakistan ? (What’s wrong with Pakistan, Hay House Inc.). Lui-même musulman, il constate que la République islamique ne faisait pas partie du projet des fondateurs du pays. Il craint aussi qu’elle n’aboutisse nécessairement au chaos et à la ruine en raison des différences religieuses profondes qui existent dans son pays. Il constate en particulier que si la majorité des Pakistanais condamnent sans équivoque le djihad et le terrorisme, il n’en va pas de même des Oulémas, qui préfèrent s’en prendre aux autorités pakistanaises, les accusant en particulier d’être pro-américaines. Peu d’entre eux condamnent ouvertement la violence des extrémistes. Dans ces conditions, il interroge sur l’intérêt de son pays à continuer à former plus d’Oulémas que de médecins, d’avocats et d’ingénieurs. Souhaitant une séparation entre la religion et l’État, il constate que le Parlement pakistanais est au contraire contraint par les sujets religieux : « Le Parlement devrait être libre de débattre de sujets religieux, et ne pas avoir à se déclarer musulman si l’on veut séparer religion et État. C’est crucial si l’on veut faire retourner dans sa bouteille le mauvais génie de l’islamisme », écrit-il.
C’est d’autant plus crucial que le Pakistan passe par une période de crises qui ne présage rien de bon pour les minorités qui y vivent. L’expérience prouve qu’elles sont les premières à en pâtir. Économiquement, le pays frôle la banqueroute et le contexte international n’arrange rien à ses affaires. Sur le plan politique, l’arrestation de l’ancien Premier ministre Imran Khan et la destruction de son parti, le PTI, démontrent la fébrilité de l’actuelle administration, qui craignait son retour sur la scène politique. Ses partisans encore nombreux risquent de se révolter, faisant planer le risque d’une guerre civile.
Méprisés, vivant dans un pays mal bâti, au bord du gouffre depuis sa création, les chrétiens du Pakistan devraient probablement représenter une communauté anémiée selon la logique humaine. Il n’en est rien, nous assure Mgr Shukardin, évêque d’Hyderabad : « Les églises sont pleines lors des célébrations de fin de semaine et pendant les grandes vacances. Le peuple est fier de sa foi et l’Église est la grande source de sa foi, et ce qui l’encourage. » Interrogé sur l’étrange dynamisme de son Église, Mgr Shaw, l’archevêque de Lahore, répondait : « Je ne sais pas si l’environnement pour les chrétiens au Pakistan s’améliore, mais je sais que nous améliorons notre capacité à nous adapter à la situation ! »

Sylvain Dorient
Journaliste de l’AED

(1) Religious Minorities in Pakistan.

L’AED au Pakistan

L’an passé, l’AED a consacré 1,2 million d’euros pour des projets au Pakistan. Cette somme a été dépensée pour une soixantaine de projets au service de l’Église catholique pakistanaise. La construction d’une église à Chakwal, la formation de prêtres et de catéchistes… Il existe aussi – entre autres initiatives – des campagnes d’éducation des jeunes filles initiées par l’Église et soutenues par l’AED.
La très médiatique libération d’Asia Bibi en 2019 a pu faire espérer que le recours à la loi anti-blasphème pakistanaise diminue, mais c’est le contraire qui advient. Le 17 janvier 2023, le Parlement portait la peine minimum d’emprisonnement à 10 ans pour « délit de blasphème ».
Pour aider l’action de l’AED au Pakistan : https://aed-france.org

Rapport 2023 de l’AED sur la liberté religieuse

62,5 % de la population mondiale vit dans des pays où la liberté religieuse est gravement violée, alerte l’AED qui vient de publier, le 22 juin, la 16e édition de son Rapport sur la liberté religieuse. Depuis le précédent rapport de 2021, la situation s’est fortement dégradée pour 47 pays sur les 196 étudiés.
L’Afrique est le continent le plus concerné par les violations de la liberté religieuse. La cause principale, outre la pauvreté et les guerres civiles, est l’expansion des groupes terroristes islamistes.
En Asie, les pouvoirs nationalistes ethnoreligieux instrumentalisent la religion à des fins politiques par le biais de lois anti-conversion et anti-blasphème opprimant les minorités religieuses.
Face à ces constats, l’AED rappelle l’importance capitale de maintenir le droit à la liberté religieuse, comme condition essentielle à la paix dans le monde. Elle exhorte les pouvoirs publics, ainsi que les citoyens, à « ne pas fermer les yeux » sur la persécution religieuse. Elle continuera d’informer et d’aider concrètement les victimes des persécutions religieuses par son action dans 128 pays.
Pour obtenir le Rapport 2023 : https://aed-france.org

S.D.

© LA NEF n° 360 Juillet-Août 2023