La Leçon de catéchisme, par Jules-Alexis Muenier © Wikimedia

Devenir ce que l’on a reçu

Alors que le christianisme recule, il est des chrétiens pour s’en réjouir, pour penser que c’est une « chance » pour l’Église, et qu’un « christianisme de conviction » est heureusement en train de se substituer à un « christianisme sociologique ». Mais est-on si certain de vouloir ainsi congédier sans regret les notions d’héritage familial ou civilisationnel chrétien ?

Les clercs ont cette merveilleuse propension non seulement à transformer tout problème en opportunité mais aussi à considérer les situations de crise comme autant de chances inouïes. Ainsi, récemment, des restructurations ou autres réaménagements pastoraux, qui étaient sans doute nécessaires en raison de la réduction drastique du nombre des ministres ordonnés, lesquels n’étaient plus en effet en mesure de couvrir sacramentellement chaque dimanche tout le territoire. Ces restructurations ont été présentées non pour ce qu’elles étaient : des pis-aller aux allures inquiétantes de prochain dépôt de bilan, mais comme des occasions inespérées de mutualiser les « forces vives », de planifier en termes de « synergie », de « coresponsabiliser », voire d’ouvrir des perspectives en vue d’un élargissement des conditions d’accès au presbytérat.

De la quantité à la qualité ?

Un phénomène similaire a pu s’observer à partir de 1965, année qui correspond selon Guillaume Cuchet à un « tournant » dans le recul de la pratique religieuse (1), où l’on a justifié cet état de fait en expliquant que, désormais, on n’avait plus affaire à un christianisme de quantité mais, enfin, de qualité. On se souvient de l’intitulé du livre d’entretiens de Mgr Albert Rouet : La chance d’un christianisme fragile (Bayard, 2001). Il faut entendre qu’on serait passé d’un christianisme sociologique à un christianisme de conviction, ou encore d’un christianisme transmis à un christianisme choisi. On peut certes s’étonner de cette condescendance à l’égard des générations qui nous ont précédés, comme si ces dernières avaient été portées par un christianisme institutionnel purement formel qui dispensait de toute implication personnelle, comme s’il n’y avait pas eu, dans le passé, d’âmes de « qualité » !
On peut aussi prendre acte de ce que Guillaume Cuchet, encore lui, nomme « le devenir minoritaire du catholicisme français » et préconiser, avec Benoît XVI, face au processus d’exculturation de la foi catholique, de devenir positivement des « minorités créatives », « oasis » ou autres bases arrières capables d’infléchir l’histoire bien plus que ne sauraient le faire des majorités conformistes. Au vu de l’engouement vocationnel dans certains mouvements dont les fondateurs se sont révélés être des gourous, on peut enfin, avec François, considérer tout afflux numérique de postulants dans des séminaires ou instituts comme étant a priori suspect.
Quoi qu’il en soit, les circonstances remettent à l’honneur la fameuse formule de Tertullien : « On ne naît pas chrétien, on le devient. » Sans nous appesantir sur les variations dé-structuralistes, et notamment féministes, que l’on a fait subir à l’adage de Tertullien, l’écrivain carthaginois écrivait, à la charnière entre le IIe et le IIIe siècles, dans un contexte de persécution où la fidélité au Christ devait passer par l’épreuve du martyre. « Devenir chrétien », dès lors, signifiait témoigner de son amour préférentiel au Seigneur pour manifester, dans des circonstances tragiques, qu’on est vraiment son disciple. Aujourd’hui, le sens le plus obvie est qu’il ne suffit effectivement pas d’être baptisé peu de temps après la naissance dans une famille chrétienne : la décision personnelle de suivre le Christ s’impose à un moment ou à un autre. Les parents qui ont tenté de transmettre la foi à leurs enfants en font tous l’expérience, parfois amère.

Le christianisme hérité dévalorisé

Mais l’ingéniosité cléricale consiste à appeler de ses vœux, si l’on peut dire, qu’il n’y ait justement plus de transmission de sorte que, faute de foi héritée, il n’y a plus désormais d’autre foi que celle résolument optée, ou encore à théoriser la fin de structures porteuses, comme pouvait l’être la chrétienté, pour être enfin assuré qu’il n’y a plus de chrétiens que d’adhésion.
Entendons-nous : autre est la constatation du phénomène de la déchristianisation qui faisait naguère dire au cardinal Scola : « Désormais, le christianisme ne sera plus un fait de naissance, mais le résultat d’un choix conscient », autre est la posture idéologique qui réclame de droit, au nom de l’authenticité de l’engagement, l’abolition de tout héritage familial ou civilisationnel chrétien. Cette dernière position correspond au renoncement à toute inspiration chrétienne de l’ordre social ; elle milite aussi en faveur d’un élitisme chrétien qui semble contraire à la mission universelle ; la catéchèse peut en être enfin lourdement impactée dans la mesure où l’on s’adressera aux baptisés comme à des païens, en méconnaissant que le baptême leur a conféré une potentialité à recevoir les réalités divines, y compris les dogmes. De là, le minimalisme dans la proposition de la foi. En réalité, plutôt que dialectiser entre « naître et devenir », il s’agit de « devenir ce que l’on a reçu », ce qui suppose à la fois transmission et choix !

Christian Gouyaud

(1) Comment notre monde a cessé d’être chrétien, Seuil, 2018.

© LA NEF N° 356 Mars 2023