President Volodymyr Zelensky ©Wikimedia

Leçons de la guerre en Ukraine

Que nous apprend la guerre en Ukraine ? Pour répondre à cette question, essayons d’en refaire l’historique. En février 2022, Vladimir Poutine lance son offensive sur l’Ukraine. L’opération ne reçoit pas le nom officiel de « guerre », mais est désignée sous le vocable « d’opération spéciale ». Derrière cet euphémisme, nulle hypocrisie. En effet, la Russie pensait au départ mener une simple opération de police, limitée dans le temps, sans combats conventionnels majeurs. Sur le modèle des interventions de 1956 en Hongrie, de 1968 en Tchécoslovaquie (lors du « Printemps de Prague ») ou de 1979 à Kaboul, interventions qui portaient déjà le nom « d’opération spéciale », il s’agissait de renverser le Président Zelensky et de le remplacer par un régime fantoche aux ordres de la Russie.
Or, cette opération spéciale sur l’Ukraine a été un échec. Comme « l’opération spéciale » a été un fiasco, que Kiev n’a pas été prise et que le régime ukrainien n’a pas été renversé, la Russie se trouve désormais engagée dans une véritable guerre, guerre qu’elle n’avait ni voulue ni préparée et pour lequel son dispositif initial était sous-dimensionné.

Les Russes surpris…

La première raison de cet échec tient à la qualité de l’armée ukrainienne. En 2014-2015, l’armée ukrainienne avait été très facilement bousculée par les Russes. Mais depuis 2014, l’armée ukrainienne a été purgée et réformée de fond en comble. De nombreux officiers jeunes, compétents et patriotes ont été promus. D’énormes quantités d’armes et de matériel ont été fournies par les pays occidentaux (ces livraisons se poursuivant et s’accélérant depuis le début du conflit). Instructeurs américains, canadiens et surtout britanniques ont assuré la formation et la transformation de l’armée ukrainienne, qui est clairement aujourd’hui une armée de type OTAN (même si des survivances soviétiques subsistent parfois). Les conseillers américains fournissent tout le renseignement nécessaire (grâce aux satellites) ainsi que de nombreuses recommandations stratégiques. Ainsi, la première nuit de l’offensive russe, informée par des renseignements américains, l’armée ukrainienne est sortie de ses casernes et s’est dispersée lors des toutes premières frappes russes, ce qui lui a permis de ne pas être décimée par les missiles.
Les soldats ukrainiens se sont montrés souples, rusés et surtout déterminés. Comme le souligne Emmanuel Todd, la société ukrainienne, très malade et corrompue, semble avoir retrouvé une raison de vivre dans cette guerre, qui contribue à forger le sentiment national ukrainien.
Par ailleurs, autre raison de l’échec de Vladimir Poutine, l’armée russe a montré rapidement ses faiblesses. Elle manque d’un corps de sous-officiers nombreux et de qualité (ce qui est une maladie dont souffrent toutes les armées russes depuis plusieurs siècles). Elle commit, au printemps 2022, de graves erreurs tactiques dans l’emploi de ses chars, ce qui fit de ses blindés des cibles faciles pour les Ukrainiens. Pour communiquer, les soldats employaient souvent des applications civiles (comme WhatsApp)… entièrement contrôlées par les Américains. Surtout, cette armée souffre d’une corruption endémique qui se paie sur le terrain : par exemple, il arrive régulièrement que les soldats se retrouvent sans munition ou que les pneus de leurs véhicules éclatent, car des fournisseurs indélicats ont encaissé leur chèque sans faire le travail pour lequel ils étaient payés.

… mais non en déroute

Est-ce à dire que les Russes sont en déroute ? Non. Et ce pour deux raisons.
D’une part, la Russie apprend militairement de ses erreurs sur le terrain. Elle ne commet plus les mêmes fautes de débutant qu’au commencement du conflit. Elle progresse dans de nombreux domaines, notamment celui de la guerre électronique. Au printemps 2022, c’était les chars russes qui s’enlisaient. Aujourd’hui, grâce à l’avantage aérien, ce sont les Russes qui détruisent les blindés occidentaux livrés à l’Ukraine. Moscou combat aujourd’hui à l’économie. D’offensive, sa stratégie est devenue défensive. Sa ligne est simple : ne pas conquérir de nouvelles zones pour le moment (car ce serait trop coûteux en soldats), économiser les vies russes, se défendre crânement derrière une puissante ligne défensive… et tuer un maximum de soldats ukrainiens pour saigner l’armée ennemie. Le plan est que l’enthousiasme des Ukrainiens tourne au suicide.
D’autre part, la Russie possède un avantage majeur : l’avantage économique. Depuis bientôt dix-huit mois, l’économie russe est déconnectée du système financier occidental (notamment de la fameuse plateforme SWIFT). Pourtant, elle ne s’effondre pas. Surtout, elle continue de produire en masse des armes et des munitions. Au contraire, les capacités occidentales à approvisionner l’Ukraine s’épuisent comme peau de chagrin.
Aujourd’hui, c’est le peuple ukrainien qui risque de payer le prix de la désindustrialisation de l’Occident.

Jean-Loup Bonnamy

© LA NEF n° 360 Juillet-Août 2023