S’ouvrir à l’émerveillement

L’émerveillement est un don magnifique qui permet d’appréhender la vie avec enthousiasme et qui ouvre la porte du Mystère. Blanche Streb, qui a écrit un bel essai sur ce thème, nous invite à découvrir ce don pour changer nos vies.

L’époque que nous vivons est fascinante et inquiétante. Toujours plus de technologie, de rapidité, de prétendus droits, de biens matériels. Et pourtant… Toujours moins de temps, de sens, d’espérance. Si bien qu’autour de nous et en nous se multiplient toutes ces tentations de fuir le présent. De s’étourdir dans l’agitation ou derrière nos écrans. De s’enorgueillir derrière nos illusions de maîtrise et de possession. De s’endurcir dans le blasement. De s’assoupir dans le ronflement de l’à quoi bon…
Et puis un jour on finit par se rendre compte que ces méfaits qu’on déplore sont d’abord des causes à combattre avant d’être des effets sur lesquels se lamenter… Et on sent poindre un acte de résistance intérieure : Non ! crie tout notre être, je ne veux pas sombrer dans l’indifférence, je ne veux pas passer à côté de ma vie, je ne veux pas céder aux chants du cygne ou des sirènes, je ne veux pas que cette épreuve emporte tout avec elle. Je suis là, vivant. Et je veux vivre pleinement, ici et maintenant.
Dans ce monde assoiffé de sens et d’espérance, il y a une science éternelle de la vie à (re) découvrir aujourd’hui, un antidote souverain contre le désenchantement et le cynisme qui gangrènent notre temps : la Grâce et la puissance de l’émerveillement. Cette intuition qui nous précède, nous en avons tous déjà perçu la Présence et la force agissante aux coins de nos vies. Car cette science-là n’est réservée ni aux sages ni aux savants, ni aux enfants, ni aux gâtés-de-la-vie. C’est au con­traire l’inspiration des inspirations qui désire passer à travers chacun de nous, quels que soient nos dons ou ce que nous faisons, dans l’éclat comme dans la discrétion, dans les petits biens et petits riens d’amour du quotidien.
S’émerveiller est une disposition innée du cœur humain. Certains en sont richement dotés. D’autres chichement. Certaines personnes, parce qu’elles ont vécu une expérience profondément « transformante » ou même frôlé la fin, redécouvrent cette science de la vie. Comme si la proximité de la mort faisait naître à l’urgence de vivre. Comme si le consentement à la fin était en réalité consentement à tout ce qui doit se vivre.
L’émerveillement nous saisit, dans la banalité comme dans l’extraordinaire de nos vies, et plante une graine d’enthousiasme qui, délicatement, vient dévier notre trajectoire, nous souffler un nouvel élan, donner une consistance, une épaisseur et une profondeur différentes à ce qui nous entoure, vit en nous et autour de nous. L’émerveillement n’est pas qu’une simple émotion, niaise ou enfantine. Il n’est pas fuite du monde réel mais porte ouverte sur l’essentiel. Il se vit dans une conscience aiguisée capable de voir la beauté là où elle est, mais aussi la bonté des actes et des personnes, le courage, la force d’âme… Il n’efface pas les épreuves et ne rend pas l’ordinaire merveilleux mais donne de voir le merveilleux dans l’ordinaire, le nouveau dans le familier, le possible dans l’existant. Il préserve nos yeux de perdre cette grâce de s’ouvrir à chaque fois sur le monde comme si c’était la première fois. Ce don de l’émerveillement nous donne de voir au-delà de ce qu’on voit, au-delà de la nature et de ses lois, d’entrevoir que le monde ne se limite pas au visible et que la réalité est plus vaste qu’on le croit. Par lui, on accède à une autre Connaissance, bien plus haute que celle tapie dans nos savoirs. Et à une rencontre, celle du Tout Autre. Au fond, ce don de l’émerveillement peut se résumer en quatre mots : ne pas être indifférent. Et plus que tout, il nous appartient de lui ouvrir la porte, de choisir d’en vivre, de le cultiver.
À la fin de ce mois, l’Église célèbre la Pentecôte. La venue de Celui qui nous a été promis de toute éternité. Celui qui nous renforce, nous console. Qui entretient en nous ce flair spirituel qui déblaye devant nos pas et nous fait discerner entre ce qu’il nous faut chercher ou fuir, ce qu’il nous faut aimer ou haïr. Là où il nous faut voir grand – car rien n’est impossible à Dieu –, là où il nous faut rester petits – car nous ne sommes ni parfaits, ni tout-puissants. Je crois profondément que beaucoup de maux de notre temps s’évanouiraient si seulement notre disposition à Ses dons servait. En eux réside ce qui pourrait panser tant de blessures et de penser les moyens de s’en prémunir. L’époque que nous vivons n’est pas facile. La crise morale et spirituelle que nous traversons est réelle et profonde. Elle conduit à tant de mensonges, d’illusions, d’irresponsabilité et d’absurdités. « Cette ère requiert de nous un embrasement spirituel », écrivait Soljenitsyne en 1978 dans son célèbre discours de Harvard.
Pour tenir la barre de son âme, rien ne compte plus que les facultés et vertus humaines. L’émerveillement en est une. Puissante. Elle nous sort de notre canapé, de notre ego. On ne s’émerveille pas de soi-même, ou seulement au travers d’une grâce dont on sent qu’elle nous a traversés, mais dont nous savons que nous n’en étions ni la source ni l’achèvement. Oui, osons dire à la Grâce : viens, entre chez moi ! Elle est à l’œuvre, elle (nous) travaille. Ces petits pas de Dieu entrevus dans nos vies ne peuvent que nous rendre plus confiants et « espérants ».
Il y a tant d’aspirations qui cherchent leurs chemins au fond de nos âmes encrassées : le désir de bon, de beau, de bien. D’être plus, mieux, heureux. De servir, progresser… mettons-y le feu. Mettons-y Dieu. Ce sera contagieux.

Blanche Streb

  • Blanche Streb, Grâce à l’émerveillement, Salvator, 2023, 170 pages, 16,90 €.

© LA NEF n° 358 Mai 2023