« Le Chemin, la Vérité, la Vie »

La célèbre phrase du Christ, « Je suis le Chemin, la Vérité, la Vie » (Jn 14, 6) trace pour le chrétien un précieux itinéraire de conversion. Explications.

I. « Je suis le Chemin »

… tout d’abord. Quelle que soit notre vocation, notre chemin s’appelle Jésus. Il s’agit de suivre Jésus. C’est donc lui qui choisit le chemin, et moi je marche derrière. Parfois nous sommes tentés d’organiser tout seul notre vie comme ça nous arrange, et une fois que tout est bien ficelé, nous prions Jésus de faire réussir nos projets. Autrement dit, nous disons à Jésus : viens et suis-moi ! Il me semble pourtant que dans l’Évangile c’est l’inverse, c’est Jésus qui nous dit : viens et suis-moi !
On ne choisit pas son chemin ! « Jamais je n’aurais choisi d’attendre tout de suite un quatrième enfant », dit telle mère de famille. On ne choisit pas son chemin, on le reçoit comme un mystère.
Par contre, on choisit comment avancer sur ce chemin : en traînant un boulet, ou en disant un grand « oui » à ce chemin offert par la providence. Dire oui au chemin c’est dire oui à Jésus ; « Je suis le chemin » dit Jésus !
Ainsi, je dois aimer ma situation réelle d’aujourd’hui, toute imparfaite qu’elle soit. Bien sûr, je peux et même je dois espérer que ce chemin s’aplanisse et s’éclaircisse – je dois espérer me marier, avoir un enfant, trouver du travail, guérir d’un souci de santé ou d’une blessure du cœur – mais en attendant, je dois aimer ce chemin tel qu’il est, parce que c’est celui sur lequel Jésus veut que je le suive.
Écoutons cette lumineuse parole de Wanda Poltawska, la petite sœur spirituelle de saint Jean-Paul II, mère de famille polonaise très éprouvée : « Aimer Dieu signifie aussi aimer le chemin qu’il a pensé pour nous. » Bien souvent en effet, nous voulons sincèrement aimer Dieu… mais nous détestons le chemin par lequel il nous fait passer !
La force de la grâce est nécessaire pour aimer ce chemin que Dieu a pensé pour moi, pour arriver à consentir pleinement à ce que la providence me donne de vivre aujourd’hui. Soyons doux et patients avec nous-mêmes, il nous faut parfois lutter avec Dieu comme Jacob, nous heurter à sa volonté, passer par des étapes de colère intérieure ou de découragement, pour arriver à dire un oui total. Pourtant, si loin que nous soyons d’une vraie paix intérieure et d’une authentique sainteté, Jésus est avec chacun d’entre nous aujourd’hui, là où nous en sommes. Jésus n’a pas dit : « je suis le terminus », « je suis au bout du chemin » mais : « Je suis le chemin ».

II. « Je suis la Vérité »

… dit ensuite Jésus. Nous entendons là une chose tout à fait inattendue : la vérité n’est pas une théorie, ni un ensemble de dogmes, si beaux soient-ils. La Vérité est d’abord quelqu’un : « Je suis la Vérité » dit Jésus. Il est le Verbe en qui Dieu se dit tout entier, sans le moindre mensonge.
Alors que nous-mêmes, dans notre cœur et dans nos actions, la vérité et le mensonge sont mêlés de manière inextricable. Dire de quelqu’un qu’il est faux, ça n’inspire vraiment pas confiance ! Seul Jésus n’est que « vrai » : « Il n’a pas été oui et non, écrit saint Paul, il n’y a eu que oui en lui » (2 Co 1, 19).
Il ne s’agit donc pas seulement d’adhérer à une doctrine mais à quelqu’un, à Jésus. Connaître la vérité c’est connaître Jésus de façon toujours plus personnelle, c’est devenir ami de Jésus, vivre avec lui, nous arrêter près de lui, l’écouter et lui parler.
Ma foi n’est-elle pas trop cérébrale : dans le sens où elle consisterait seulement à ce que mon esprit adhère à des vérités sur Dieu ? Le pape François nous met souvent en garde contre le danger de l’intellectualisme. Nous avons besoin que l’Esprit-Saint fasse descendre notre foi de notre tête jusque dans notre cœur, qu’il nous apprenne à rencontrer véritablement Jésus, à le laisser poser ses yeux sur notre âme, sur nos misères, sur nos péchés, à ne pas fuir la lumière de son regard afin de faire la vérité sur nous-mêmes.

III. « Je suis la Vie »

… dit enfin Jésus. Ne nous arrive-t-il pas parfois de regarder la banalité de notre quotidien et de nous écrier : « Mais ce n’est pas une vie, je ne veux plus continuer ainsi ! J’ai soif de vivre à plein ! » Nous attendons tous, plus ou moins consciemment, un mieux, un épanouissement, une réussite, une libération. Pourtant, les années passent, la vie avance, et rien n’arrive ! La vie reste pareille, la grisaille quotidienne revient chaque matin !
Mais ne nous trompons pas : la nouveauté que nous espérons ne viendra pas par les évènements extérieurs, dans une vie devenue enfin palpitante. La seule nouveauté qui peut nous libérer de la routine se trouve à l’intérieur de nous. Cette source intérieure porte un nom et a un visage. Elle n’est pas une lumière ou une énergie. Elle est Quelqu’un : c’est l’Esprit-Saint. Nous chantons dans le Credo qu’il donne la vie : vivificantem. Pour saint Jean-Paul II, c’était le mot le plus beau et le plus important du Credo. Cette vie véritable est exprimée ainsi par saint Paul : « Je vis, mais ce n’est plus moi ; c’est le Christ qui vit en moi. » (Ga 2, 20) La voilà la véritable libération tant attendue ! Je vis, mais ce n’est plus moi. Ce n’est plus une existence renfermée seulement dans mon moi : ma santé, ma réputation, mes projets, mon épanouissement… On étouffe quand on reste centré sur soi ! La vraie vie est celle qui me libère de mon moi, de mon isolement et de mes étroitesses, et qui transforme les petites choses de chaque jour en louange permanente.
Alors, selon la sympathique expression de sainte Élisabeth de La Trinité, « On n’est jamais banal ! Oh ! – poursuit-elle – comme tout ce qui n’a pas été fait pour Dieu et avec Dieu est vide ! Je vous en prie, marquez tout avec le sceau de l’amour ! Si je recommençais ma vie, comme je voudrais ne plus perdre un instant ! C’est si grave, si sérieux, je voudrais vivre chaque minute pleine ! »
Demandons à l’Esprit-Saint de nous faire vivre en vérité sur le chemin pascal tracé par Jésus. L’Esprit-Saint, c’est Jésus qui le donne, mais c’est Marie qui l’attire !

Père Louis,
prieur de l’abbaye Sainte-Madeleine du Barroux

© LA NEF n° 344 Février 2022, mis en ligne en juillet 2023.