Ce livre n’a absolument aucune actualité : parce qu’il parle de la théologie après Vatican II, parce que les textes qui y sont recueillis ont été écrits entre 1975 et 1980, parce qu’il est paru il y a plus de dix ans, et parce que son auteur qui n’était pas encore pape est maintenant mort. Autant dire que c’est le seul amour de la théologie, et de la théologie rendue vivante par Ratzinger, qui nous y attire. De toute façon, chacun sait que lire Ratzinger-Benoît XVI, c’est toujours faire une cure d’altitude mentale et spirituelle.
Voyons donc.
Dans ce petit ouvrage dont les textes ont été extraits par l’abbé Iborra du grand œuvre du cardinal, Principes de théologie catholique, il s’y s’interroge sur ce qui reste de la théologie après les assauts modernistes, c’est-à-dire sur ce que serait désormais son statut vis-à-vis de la science.
Ratzinger isole ainsi ce qui fait le sel de notre foi : seul le christianisme connaît une orthodoxie, dit-il, c’est-à-dire un objet exact de connaissance, et une méthode pour le connaître : « Le fait d’avoir un contenu appartient à la structure même de la foi catholique. » Il la compare en cela à l’hindouisme ou au bouddhisme qui n’étant que des orthopraxies n’ont donc pas de prétention à la vérité comme contenu. Et le christianisme seul dans cette prétention à la vérité est capable de se confronter à une Aufklärung et de la dépasser : « La structure de la foi ne peut assumer le type de pensée de l’Aufklärung. […] Mais la foi est assez vaste pour accueillir la stimulation spirituelle de l’Aufklärung et pour assigner une tâche qui ait un sens pour la foi elle-même. »
Plus loin même, il démontre que c’est la nécessité de la mission, et l’universalité de la foi dans le Christ qui, parce qu’elle se veut communiquer aux autres, réclame un langage qui touche tout le monde, induisent que cette foi se confronte à la raison : « Nous avons déduit de la charité qui lui est connexe la nécessité du caractère rationnel de la foi. »
On touche ici l’immense apport de Joseph Ratzinger (qui évidemment s’inscrit humblement dans les pas d’Augustin, Thomas et Bonaventure), l’immense apport pour nos oreilles d’hommes du XXIe siècle convaincus de la toute-puissance de la raison seule : « Ce qui caractérise donc la foi chrétienne parmi toutes les religions, c’est qu’elle met l’homme sur la voie de la vérité, qu’elle lui donne un soutien, non dans ses habitudes mais dans l’altérité, et qu’elle revendique ainsi pour elle-même l’apanage de la raison. »
D’où il faut nécessairement induire que « la foi chrétienne est en cela plus optimiste et plus radicale que le monde culturel, non seulement de l’Antiquité, mais aussi des temps modernes, car ces derniers considèrent la question de la vérité comme quelque chose de presque indécent, en tout cas comme quelque chose de très étranger à la science et à la culture ». On rejoint ici, à l’avance, le fameux discours des Bernardins : c’est dans le quaerere deum (chercher Dieu) que l’on construit, même sans le savoir, une civilisation et une culture, et qu’on finit par s’appeler l’Occident.
Un monde de canards sans tête
Ratzinger renvoie ainsi ce monde moderne qui se croit capable de tout à ses chères études, au sens propre : « L’Aufklärung en ce sens plus étroit est une raison incohérente, qui tout à la fois n’admet que le savoir et se perd de plus en plus dans le faire. » Sans la contemplation, et donc la recherche de la vérité à adorer pour elle seule, on produit un monde de canards sans tête, courant partout, jusqu’aux étoiles mêmes, mais sans raison.
Mais, à travers cette question de la foi et de son rapport à la raison, c’est avant tout de l’Église que parle celui qui sera le grand collaborateur de Jean-Paul II avant de devenir à son tour le Saint-Père, et on devrait l’écouter plus que jamais dans la tourmente où nous sommes.
La foi chrétienne n’est pas la rencontre d’une individualité et d’un Livre, dit Ratzinger : elle est d’abord l’entrée dans une communauté, celle des croyants. « L’Église n’est rien sans la catéchèse, mais celle-ci ne peut pourtant exister que dans la vie communautaire de l’Église », développe-t-il, fidèle en ceci à sa constante démonstration en miroir, selon laquelle c’est l’eucharistie qui fait l’Église mais c’est aussi l’Église qui fait l’eucharistie.
Rappelant le rôle selon lui originaire de l’évêque, qui n’est pas de devenir l’interprète savant de la Parole, mais le promoteur « démocratique » de la foi, par le baptême et auprès des simples, il note : « Peut-être la société moderne – soit dit en passant – devrait-elle, elle aussi, tâcher de trouver une organisation de cette sorte, quelque chose comme un conseil des sages, qui rappellerait les valeurs fondamentales et intangibles. »
S’il faut, comme François d’Assise, « réparer » l’Église, et avec elle le monde, nous devrions commencer par écouter et méditer Ratzinger.
Jacques de Guillebon
Cardinal Joseph Ratzinger, Théologie et anthropologie de la foi, Téqui, 2012, 200 pages, 9,50 €.
© LA NEF n° 360 Juillet-Août 2023