SOS Chrétiens d’Orient fête son dixième anniversaire en ce mois de septembre, occasion de faire un point avec son directeur général, Benjamin Blanchard, sur l’action de cette association dynamique.
La Nef – SOS Chrétiens d’Orient a désormais 10 ans d’existence : comment est née l’association et quel bilan tirez-vous de ces dix années ?
Benjamin Blanchard – SOS Chrétiens d’Orient est née après l’occupation de Maaloula par les djihadistes, en septembre 2013. Devant leurs écrans, les Européens ont vu ce village, où l’on parle encore l’araméen, la langue du Christ, dévasté par les terroristes du Front Al-Nosra. En Syrie, des églises ont brûlé, des populations ont été massacrées ou contraintes à l’exil, dans le dénuement le plus total. Charles de Meyer et moi-même organisons alors un premier convoi humanitaire en acheminant quatre tonnes de jouets, de vêtements et de couvertures aux Syriens.
Depuis, en dix ans, SOS Chrétiens d’Orient s’est implantée sur trois continents et dans neuf pays : en Syrie, Irak, Liban, Égypte, Jordanie, Pakistan, Arménie et Éthiopie, et a mené deux missions d’urgence en Ukraine en 2022 et 2023.
Dix ans d’action ! Dix ans d’action, c’est aussi 3000 volontaires internationaux qui se sont relayés sur le terrain avec un sens de l’engagement chevillé au corps, 60 collaborateurs qui ont choisi de mettre leurs talents professionnels au service des chrétiens d’Orient, 400 000 bénéficiaires de l’aide apportée et plus de 2000 projets menés grâce au soutien de nos bienfaiteurs. Et il reste encore tant à faire !
Quels grands projets en cours portez-vous et quelles sont vos ambitions pour les prochaines années ?
À Mossoul en Irak, nous reconstruisons tout un complexe chrétien dévasté par les terroristes du groupe État islamique. L’église chaldéenne Notre-Dame-du-Perpétuel-Secours est au cœur de ce projet au budget d’un million d’euros. En Syrie, nous aidons à la réhabilitation de maisons détruites par la guerre, et plus récemment par le séisme de février dernier. En Égypte, nous avons pour projet de construire une nouvelle école permettant aux enfants des bidonvilles d’avoir accès à l’éducation.
Les projets sont nombreux et continuent de se multiplier, car l’aide est plus que jamais nécessaire. Le début de l’année 2023 fut marqué par l’ouverture d’une mission permanente en Éthiopie, ainsi que par le séisme en Syrie, qui a accru les besoins déjà immenses de la population.
Nous avons le devoir de continuer nos actions car les chrétiens d’Orient ont toujours besoin de nous pour vivre et témoigner sur leur terre. Tant qu’il le faudra, ils pourront compter sur nous.
Comment êtes-vous organisés et par quels types d’actions aidez-vous les chrétiens d’Orient ?
Dans chaque pays où nous agissons, un chef de mission est présent sur place. Il gère les relations avec nos partenaires, s’assure du suivi des projets et de la gestion des équipes de volontaires.
Un peu partout au Proche-Orient, les chrétiens subissent des violences et des discriminations à cause de leur foi. À l’indignation, SOS Chrétiens d’Orient préfère l’action, grâce à son expertise reposant sur six piliers : aide d’urgence, reconstruction, développement économique et social, développement culturel et patrimonial, éducation et aide à la jeunesse, soutien médical.
Comment voyez-vous l’avenir de la Syrie et la situation des chrétiens ? Peut-on espérer que les relations diplomatiques entre la Syrie et la communauté internationale reprennent leur cours normal ?
La Syrie est étouffée économiquement, notamment par les sanctions américaines et européennes, empêchant tout investissement, alors que la victoire diplomatique de sa réintégration dans la Ligue arabe, le 19 mai dernier, fut une réelle lueur d’espoir pour le pays.
Cependant, les conséquences pratiques tardent à advenir de façon concrète. Il est à craindre que les riches pays arabes ne soient pas encore prêts à investir en Syrie, tout simplement parce que cela est trop risqué, au regard de la situation économique, politique et des sanctions.
Les chrétiens souffrent comme tout le monde de cette situation absolument désastreuse, des pénuries de denrées alimentaires, de médicaments, et sans oublier les pénuries de pétrole, de gaz et de blé, volés par les Américains au nord-est de la Syrie.
Où en est la situation au Haut-Karabagh ? Ce conflit a-t-il une dimension religieuse ?
Le conflit qui oppose l’Arménie à l’Azerbaïdjan sur le territoire du Haut-Karabagh est un conflit ethnique et territorial plus que religieux, bien que cela soit non négligeable. L’Azerbaïdjan est un pays musulman. L’Arménie est chronologiquement la première nation chrétienne. Cependant, les alliés de chaque partie au conflit ne sont pas positionnés en fonction de critères religieux. L’Azerbaïdjan est fortement soutenue par la Turquie et Israël, et l’Arménie a pour principaux alliés l’Iran et la Russie.
Le Haut-Karabagh est toujours sous blocus (212e jour au moment où je vous réponds). Les 120 000 Arméniens qui y habitent sont coupés du reste du monde et subissent de graves pénuries de denrées alimentaires et de carburants.
Par ailleurs, l’Azerbaïdjan continue non seulement d’agresser la petite République (non reconnue internationalement) d’Artsakh (le Haut-Karabagh), mais aussi la République d’Arménie elle-même, en menant plusieurs incursions à la frontière, en tuant des soldats arméniens et en attaquant les civils.
Nous déplorons le manque de réactions internationales sur ce conflit. Cette passivité des États-Unis et de leurs alliés est particulièrement flagrante si on compare avec leur soutien sans faille à l’Ukraine.
En Éthiopie, quelle est la situation des chrétiens sur place, quasiment un an après le cessez-le-feu signé entre le gouvernement fédéral et les Tigréens ?
L’Éthiopie est également une des premières nations chrétiennes. À ce jour, plus de 60 % de la population est chrétienne. Ce conflit n’est pas religieux mais ethnique, opposant les périphéries et le centre du pays.
C’est d’abord un conflit ethnico-politique puisque les Tigréens (ethnie du nord) ont perdu le contrôle du gouvernement central en 2018, désormais aux mains du premier ministre actuel, Abiy Ahmed, d’origine oromo par son père et amhara par sa mère. La nouvelle classe dirigeante a eu ses dernières années une attitude revancharde qui a exacerbé les tensions avec les Tigréens jusqu’à l’explosion de 2020.
Au bout d’un an, la situation est toujours très compliquée dans le Tigré. La population est au bord de la famine. Il est toujours très difficile d’acheminer l’aide humanitaire dans le nord.
Le nombre des chrétiens d’Orient ne cesse de diminuer : est-il possible d’enrayer ce déclin et comment analysez-vous l’évolution de la solidarité des Français et des Européens envers les chrétiens d’Orient ?
Le nombre de chrétiens ne cesse de diminuer au Proche-Orient, oui hélas ! Mais pas partout ! Par exemple, en Éthiopie ou en Égypte, le nombre de chrétiens augmente car ce sont des pays où il y a un taux de natalité très élevé et une démographie très forte. En revanche, dans les pays du Levant, le nombre de chrétiens chute drastiquement.
Je ne sais pas s’il est possible d’enrayer ce déclin, mais nous l’espérons. Pour cela cette région a besoin de calme, de stabilité et de prospérité. Les guerres incessantes, notamment menées par les États-Unis et leurs alliés, ne font qu’accentuer le déclin démographique. La funeste invasion américaine de l’Irak en 2003 a considérablement ébranlé la région.
La solidarité des Français envers les chrétiens d’Orient est toujours immense. On a pu le constater au premier trimestre 2023, qui était le meilleur trimestre de récolte de dons pour l’association. Bien sûr, cela est lié à des circonstances exceptionnelles et tragiques, notamment le tremblement de terre en Syrie. Nous remercions nos donateurs pour leur générosité et leur fidélité qui perdurent depuis dix ans.
Concrètement, comment allez-vous fêter ces dix années, quels événements sont prévus ?
À la rentrée, trois grands évènements rassembleront nos bienfaiteurs, volontaires et soutiens. Le 15 septembre prochain, nous organisons un colloque sur le thème du « basculement géopolitique au Moyen-Orient : quel impact pour les chrétiens d’Orient ? », avec la participation de Roland Lombardi et d’Annick Asso.
Dans la soirée, nos invités seront attendus au Nouveau Chalet du Lac, à l’Orée du bois de Vincennes, pour une soirée de gala en l’honneur des dix ans de notre association (inscriptions payantes pour ces deux évènements).
Le lendemain, Son Éminence le cardinal Burke nous fait l’honneur de célébrer une messe pontificale en l’église Saint-Eugène, en action de grâce pour ces dix ans au service des chrétiens d’Orient.
Propos recueillis par Christophe et Élisabeth Geffroy
- SOS Chrétiens d’Orient, 10 rue du Dôme, 92100 Boulogne-Billancourt
- www.soschretiensdorient.fr
- 01 83 92 16 53.
- Messe pontificale célébrée par le cardinal Raymond Burke le samedi 16 septembre à 11h en l’église Saint-Eugène, 4 rue du Conservatoire, 75009 Paris.
© LA NEF n° 361 Septembre 2023