Les nouvelles modes ésotériques qui fleurissent pour prendre la place laissée vide par le recul du christianisme et l’oubli du sacré, mettent en scène des anges qui nous connecteraient à des énergies invisibles. À mille lieues de ces figures, et loin de nous maintenir dans notre égocentrisme tendanciel, l’archange a le regard tourné vers le haut, et nous invite à en faire de même. Saint Michel nous apprend à retrouver le sens de Dieu. L’abbé Paul Roy nous présente cet archange que l’on ne pourra que mieux invoquer en le connaissant davantage.
Après les siècles des Lumières, du rationalisme, du scientisme, de la foi dans le progrès, notre époque marque un retour vers le sacré. Hélas, l’éclipse du religieux ne prend pas fin pour autant : plutôt que de revenir à la foi des anciens, les hommes demeurent radicalement modernes, disposés à tout sauf à se reconnaître héritiers, et préfèrent bâtir chacun leur propre spiritualité. Consciemment ou non, la plupart vont rejoindre les rangs de ce que l’on appelait naguère le Nouvel Âge, que d’aucuns désignent aujourd’hui sous le nom de pensée magique. L’ésotérisme fait feu de tout bois, au su de tous, et attire nombre d’âmes maladroitement en quête de Dieu.
Les anges, êtres spirituels, à mi-chemin entre l’homme et le ciel, reviennent en force dans l’imaginaire contemporain. Une rapide recherche sur internet laisse cependant songeur quant à la conception contemporaine des esprits angéliques : les anges – en particulier les « 72 anges gardiens » – semblent être devenus un moyen de se connecter à des énergies et à un monde invisible dans lequel nous serions baignés sans en avoir conscience, de développer sa capacité d’empathie et de créativité personnelle. On est là en pleine réminiscence de la doctrine émanatiste des platoniciens, qui faisaient de l’homme un être quasi-divin tombé sur la terre et enfermé dans la matière, séparé de l’Un originel par une échelle d’êtres intermédiaires, à parcourir en sens ascendant, par illumination, pour revenir à l’harmonie fondamentale. Ainsi conçus, les anges ne sont plus des ministres ou des auxiliaires de Dieu, mais des obstacles dans la relation des hommes au vrai Dieu. À l’image des doctrines ésotériques qui fleurissent partout aujourd’hui, ils mènent nos contemporains sur des voies de garage et les détournent de la quête religieuse profonde, celle de la vraie lumière, qui conduit à un profond changement de vie.
Un défenseur puissant
Nous sommes arrivés bien loin de la vraie nature des anges, et de la figure de leur prince, Michel. Loin de nous maintenir dans l’attitude égocentrique qui caractérise la religiosité moderne, l’archange a le regard tourné vers le haut, et nous invite à faire de même. Mi-ka-El, en hébreu : « qui est comme Dieu ». Son nom est un programme. Saint Michel est un intermédiaire efficace, un défenseur puissant du genre humain, mais un messager qui s’efface, pour que l’homme soit à nouveau orienté vers son Créateur. L’archange apparaît ainsi au sommet des montagnes – lieux théophaniques par excellence de l’Ancien Testament – pour nous rappeler que son rôle n’est autre que celui d’un trait d’union, d’un panneau indicateur. Du Mont Gargan au Mont Tombe, devenu Mont-Saint-Michel, les sanctuaires où le prince des anges est vénéré sont des invitations à la contemplation des choses célestes. Le prince des anges est nommé dès l’Ancien Testament, comme celui qui lutte pour le peuple d’Israël (Dn 10, 13), le « chef des armées du Seigneur ». Dans l’épître de Jude (Jude 9), il est mystérieusement désigné comme celui qui disputa au diable le corps de Moïse, expirant sur le Mont Nébo, en vue de la Terre Promise, sans que personne ne retrouve jamais sa dépouille. Dans l’Apocalypse (Ap 12, 7), il est à la tête des anges pour combattre le dragon : malgré la riposte de ce dernier, il a le dessus, et du haut du ciel, précipite Satan sur la terre.
Le rôle de saint Michel dans l’histoire de l’Église ne s’arrête pas là : bientôt objet d’une vénération populaire en Orient (les coptes lui consacrèrent jusqu’à sept fêtes liturgiques), puis en Occident (avec quelques excès que l’autorité sera obligée de réprimer, comme en témoignent certaines lettres de saint Augustin), il apparaît au Mont Gargan au Ve siècle, puis au début du VIIIe à l’évêque Aubert d’Avranches, à qui il intime, moyennant une forte pression… du doigt sur le crâne (la relique conservée en l’église Saint-Gervais d’Avances en témoigne encore), de faire construire un sanctuaire au sommet du Mont Tombe, ce rocher isolé au milieu de la grande baie sablonneuse qui borde son diocèse.
Des siècles plus tard, la vénération des peuples chrétiens pour le prince des anges ne s’est pas affaiblie, et Dieu permit qu’il continue d’intervenir visiblement à leur côté. Lorsque la France se trouva en détresse, c’est lui qui fut le messager envoyé à Jehanne, Pucelle de Domrémy, bientôt libératrice d’Orléans. Pour préparer les enfants de Fatima à recevoir les apparitions de Notre-Dame, l’ange leur apparut trois fois, leur apprit à prier et leur donna mystérieusement la sainte communion. Ce rapport étroit de saint Michel à l’eucharistie est encore visible dans les rites de la messe, où l’ange est invoqué à de nombreuses reprises : au Confiteor, dans la bénédiction d’encens de l’offertoire à la messe traditionnelle, et jusqu’au Canon romain (implicitement dans la prière du Supplices) où l’on demande même que l’offrande sainte soit portée par lui sur l’autel céleste. Au dernier jour, saint Michel sera encore notre intercesseur en même temps qu’il participera au jugement (1 Th 4, 16), lui que l’on représente souvent portant en main la balance qui évalue nos âmes au poids de leur charité.
Saint Michel a donc une fonction au double aspect, qui est un enseignement de poids pour notre vie spirituelle : la tradition l’identifie parmi les sept anges qui se tiennent continuellement devant la face du Seigneur (To 12, 15), son nom même est une louange à la gloire infinie de Dieu ; mais l’archange lui présente aussi la prière des hommes pieux (comme Raphaël présentait la prière et les actes religieux du vieux Tobie, cf. To 12, 12), il sert volontiers de messager et d’intercesseur.
Signe divin, saint Michel nous montre qu’il n’est pas de créature trop haute ou distante pour condescendre à soutenir notre misère, puisque Dieu lui-même s’est fait homme en Jésus. Modèle angélique, il nous apprend à tenir nos yeux élevés vers le ciel, pleins de reconnaissance et d’admiration pour la majesté divine, clamant avec lui : « Qui est comme Dieu ? » Dans un monde si éloigné de la religion et pourtant si versé dans les spiritualités, saint Michel, dûment présenté et vénéré, pourrait-il servir de pont pour ramener nos contemporains à l’unité de la vérité et de la foi ?
Abbé Paul Roy*
*Prêtre de la Fraternité Saint-Pierre, modérateur du site et application de formation Claves.org, qui propose sur Hozana une neuvaine de préparation à la saint Michel.
© LA NEF n°361 Septembre 2023