Lectures Septembre 2023

KUNDERA (1929-2023)

 «Ah bon, il est mort ! Mais moi je le croyais mort depuis perpét’ ». Telle est l’épitaphe que nous emprunterons à la Miss Knife d’Olivier Py pour saluer la disparition de Kundera. Épitaphe qui évite l’esprit de sérieux que l’auteur de La plaisanterie craignait plus que tout. Épitaphe qui rappelle surtout que, chez l’écrivain, l’adieu à la vie personnelle précède de beaucoup la fin biologique. Mort depuis longtemps, donc, l’homme Kundera qui, comme Flaubert, rêvait de disparaître derrière son œuvre, à rebours d’un monde médiatique qui tente le travail inverse : se débarrasser de l’œuvre en accumulant les images de l’auteur. Le misérable petit tas de secrets biographiques sera toujours le pire ennemi de l’écriture romanesque, sur laquelle Kundera laissa un essai sans doute inégalé, L’Art du roman (Gallimard, 1986).
Est-ce le trahir de mettre en avant son écrit théorique plutôt que ses romans, alors qu’il proclame qu’il vaut mieux écouter Rabelais que Descartes, que l’exploration flaubertienne de la bêtise a plus apporté au monde que tous les écrits de Marx et de Freud et que, surtout, « les grands romans sont toujours plus intelligents que leurs auteurs » ? Non, car tous ceux qui ont découvert Kundera par ses analyses théoriques de L’Art du roman – une révélation pour bien des étudiants en Lettres lassés d’une narratologie desséchante – y ont puisé un goût renouvelé pour Don Quichotte, pour Anna Karénine ou encore pour Le Procès de Kafka. Kundera leur dévoilait la « sagesse du roman », cette connaissance de l’existence qui rompt avec la « réduction du monde à la succession causale d’événements » et fait éclater tous les conformismes manichéens. Aussi toute son œuvre était-elle mise sous le signe d’un proverbe juif : « L’homme pense, Dieu rit ».
Parmi les conformismes risibles, le pire était à ses yeux « le flirt avec l’avenir ». Guéri du totalitarisme du progrès, une des formes du kitsch (« l’attitude de celui qui veut plaire à tout prix et au plus grand nombre »), il nommait « collabos de la modernité » ceux qui exhibent un sourire publicitaire et font de l’indiscrétion une vertu : hommes vivants, œuvres mortes. Merci à Kundera d’être, au contraire, mort à lui-même depuis perpét’. Cela reste, en littérature aussi, le meilleur gage d’immortalité.

Henri Quantin

« MA PRIERE, C’EST LA PENSEE 
Jean-Paul Guitton
Saint-Léger Éditions, 2023, 426 pages, 24 €

Mort très âgé à l’extrême fin du XXe siècle, voilà qu’un sien neveu, polytechnicien de formation et ingénieur à la retraite, s’est appliqué à mobiliser maints souvenirs de famille pour faire revivre Jean Guitton. Figure de proue du catholicisme, d’abord dans notre pays, et qu’il exaltera tout au long d’une œuvre talentueuse et abondante (parmi laquelle on doit citer, bien sûr, l’extraordinaire Portrait de M. Pouget ou encore, mémorial si profond, Une mère dans sa vallée), mais se heurtant à l’intelligence émancipée de la foi et soucieuse de son autonomie radicale. Si bien que les Difficultés de croire (titre du livre de controverse publié par lui en 1948), préoccupantes, non insurmontables, méritaient en tout état de cause l’examen et le débat.
Raconter son parcours ? Il connut, à partir de juin 1940, comme prisonnier de guerre, cinq ans de captivité en Allemagne, fut titulaire d’une chaire de philosophie à la Sorbonne entre 1955 et 1968, surtout serait le seul laïc (observateur ou auditeur) appelé en 1962 à la première session du concile, avant que, le 3 décembre 1963, lors de sa seconde session, Paul VI, ami très proche, lui donne l’occasion d’adresser la parole à cette assemblée hors de l’ordinaire – longtemps attendue, désirée et pourtant jugée impossible… Néanmoins, lui qui avait vu des périls à rester trop en arrière, il s’inquiéterait de l’herméneutique du concile, erronée et préjudiciable aux exigences de l’éternelle vérité. Car, selon Jean Guitton, fidèle à l’idée de développement chère à Newman, l’Église ne pouvait inclure le nouveau qu’afin de demeurer identique.
Un universitaire et un écrivain célèbre donc, un enseignant et conférencier à l’École supérieure de guerre, un peintre aussi, auteur d’un Chemin de Croix à Saint-Louis des Invalides, enfin, membre de l’Académie française et de l’Académie des sciences morales et politiques, une sorte de « cardinal vert » respecté (et peu écouté) des évêques. Qui pensait, au bout de son existence, « y ayant beaucoup réfléchi », que le catholicisme traversait « une crise sans analogue dans son histoire de vingt siècles ».

Michel Toda

CHARRETTE
Anne Bernet
Perrin, 2023, 576 pages, 25 €

De tous les chefs vendéens qui prirent les armes contre la Convention en mars 1793, Charette (1763-1796) fut celui qui combattit le plus longtemps et tomba le dernier. Les éditions Perrin rééditent la biographie, publiée en 2005, qu’Anne Bernet a consacrée au général vendéen. Ce travail est remarquable, tant par ses qualités littéraires que par son exhaustivité, par son objectivité, la finesse de ses analyses psychologiques. L’auteur sait rendre vivante tout une galerie de portraits hors normes, tant chez les royalistes que chez les républicains. Il sait aussi mettre en valeur les (nombreuses) qualités de son héros, sans rien cacher de ses défauts (également nombreux). Cette excellente biographie, qui nous fait vivre, au travers du destin de Charette, le drame de la révolte vendéenne, nous fait également comprendre les causes de son échec : vision locale et étroite du conflit par les paysans vendéens, rivalité des chefs pour des raisons d’ego et de fierté mal placée, soutien trop tardif de l’Angleterre, manque d’implication et intrigues des princes de la maison de Bourbon. Avertissons toutefois que la lecture du chapitre décrivant les ravages et exactions des colonnes infernales de Turreau, dont la cruauté et le sadisme dépassent toute imagination, ne peut être conseillée à un public trop jeune ou trop sensible.

Bruno Massy

ENTRE LES MAINS DU CHRIST
Marcel Callo apôtre de la fraternité
Mgr PIERRE D’ORNELLAS
Salvator, 2023, 154 pages, 9,90 €

Il aura été l’un des treize saints-patrons des JMJ de Lisbonne. Béatifié comme martyr en 1987 par le pape Jean-Paul II, Marcel Callo est né en 1921 à Rennes dans une famille nombreuse, simple, unie et croyante. Il devient typographe. Passé par le scoutisme, il rejoint en 1935 la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) dont il sera un élément moteur par sa foi contagieuse. Il se fiancera en 1943 : les lettres à sa fiancée contenues dans ce livre sont un témoignage touchant et édifiant de cette période. Il deviendra rapidement suspect aux yeux des occupants allemands.
« Beaucoup trop catholique », fut la sentence qui l’exila en Allemagne, d’abord dans le cadre du STO puis dans les camps de Flossenbürg et Mauthausen où il mourut d’épuisement : parti comme missionnaire, il n’avait jamais cessé, même aux pires heures d’incarcération, de témoigner de sa foi, de réconforter et d’entraîner bon nombre de ses camarades.

Anne-Françoise Thès

DEVENIR VOTRE FRÈRE
MATHIEU TAIEB avec CYRIAC ZELLER
Mame, 2023, 142 pages, 15,90 €

Né dans le sud-ouest de la France de parents tout juste arrivés d’Algérie, Moustafa Taieb, brillant élève, s’oriente à l’issue de ses études vers une formation d’élève officier. Musulman, il est touché durant sa formation par la rencontre d’autres élèves officiers rayonnant de leur foi chrétienne. Son cheminement le conduira au baptême sous le nom de Mathieu, à l’oblature bénédictine et à s’investir dans des associations telles les Guides et Scouts d’Europe ou Mission Ismérie.
Cet extraordinaire parcours est une illustration concrète que, lorsque la lumière n’est pas mise sous le boisseau, elle éclaire tous ceux qui s’en approchent.

Anne-Françoise Thès

RENÉ GIRARD, DE L’ETHNOLOGIE À LA BIBLE ET RETOUR
ALAIN TORNAY
Kimé, 2023, 290 pages, 26 €

Voilà un livre qui à coup sûr est un pavé jeté dans la grande mare du girardisme. Alain Tornay, docteur en philosophie exerçant à l’Université de Genève, s’attaque avec finesse, intelligence et sensum fidei, pourrait-on dire, à l’une des œuvres les plus marquantes, étourdissantes et profondes du XXe siècle : l’anthropologie de René Girard, et la théologie qui en découle. On le sait, le maître, qui fêterait ses cent ans, après avoir décrit la mécanique du « désir mimétique » et de la rivalité qui s’ensuit tel que les mettraient en lumière de grandes œuvres littéraires occidentales (Mensonge romantique et vérité romanesque) a transféré son intuition vers les sciences de l’homme et des sociétés, pour établir qu’originellement on trouve toujours une violence que les rites sont destinés à exorciser, usant pour cela de la méthode du bouc émissaire, sorte de dieu à qui l’on fait porter toutes les fautes avant que de le vénérer (La Violence et le sacré). Troisième étape de la pensée et de l’existence de René Girard, le christianisme, par les Évangiles, est le dévoilement de cette violence « cachée depuis la fondation du monde », et le Christ, victime volontaire, signe la fin de ce cercle perpétuellement destructeur.
Tornay, sans manquer jamais de respect au grand homme, entreprend dans des pages serrées de « dévoiler » à son tour les apories, les subterfuges et partant les erreurs de cette pensée si systématiquement séduisante. Ainsi, du désir : si l’on ne désire jamais que ce que désire le modèle dont l’on fait son rival, comment ce modèle-ci désire-t-il primordialement ? Ainsi, de l’ethno-anthropologie girardienne : elle ne se sert, dans la longue histoire des hommes, que des exemples qui vont confirmer la démonstration. Enfin, objection qui n’est pas des moindres : Tornay accuse Girard de tordre les textes saints pour accoucher d’une lecture de l’Évangile qui serait parfaitement neuve, et qui ferait de l’Évangile une méthode de résolution du conflit politique dont nul n’aurait jusqu’ici mesuré la portée. Et le vrai souci de l’anthropologie pessimiste de Girard, tout à l’opposé en ce sens de l’aristotélicienne, c’est qu’elle pose la violence intra-humaine comme fondement de tout, des cœurs, des âmes et de la société. Et en cela, les effets de la bonté divine sont, involontairement souhaitons-le, effacés.
Le travail qui nous attend sera donc d’intégrer les traits de génie girardiens à la vision catholique, sans que son système abolisse entièrement toute pensée critique.

Jacques de Guillebon

DIEU, APRÈS LA PEUR
MARTIN STEFFENS

Salvator, 2023, 174 pages, 16,90 €

Faut-il craindre Dieu ? Oui, car la crainte est un don du Saint-Esprit, montre l’auteur de cet essai dont il faut d’emblée saluer à la fois l’originalité et la profondeur. Professeur de philosophie à l’Université de Strasbourg, Martin Steffens rappelle que « toutes les religions sont fondées sur la crainte », attitude qui peut prendre la forme de l’idolâtrie ou de la superstition. Mais, il va plus loin en scrutant le rôle unique et essentiel de la perception chrétienne, où cet attribut se rattache à la troisième Personne de la Trinité. La crainte consiste à « pénétrer dans le cœur de Dieu, dans l’intimité du Dieu-Amour, du Dieu-relation-d’Amour », souligne-t-il, rappelant que le Créateur « n’est pas un tyran ». Tout son livre consiste à montrer les diverses modalités de la peur, forme particulière de la crainte : rapport au sacré, à la maladie, à la mort, à la modernité, menace, angoisse, inquiétude, agitation, souci, etc. Dans cette solide réflexion, l’auteur recourt souvent à la richesse d’exemples bibliques pour inviter ses lecteurs à s’émanciper « de tout ce qui empêche la réception de la vie comme don ». Et son ultime conseil consiste à faire confiance à Dieu en toutes circonstances, y compris donc dans les temps d’incertitude qui caractérisent le monde actuel, ce qui justifie la pertinence de cet ouvrage.

Annie Laurent

LE CONCILE DES ÉVÊQUES FRANÇAIS
CHRISTIAN SORREL

CLD éditions, 336 pages, 28 €

Quatre automnes de suite, de 1962 à 1965, les quelque 110 évêques français ont participé au concile Vatican II. Ils ne représentaient qu’à peine 5 % des évêques venus du monde entier. Les quatre sessions, soit 168 congrégations générales, aboutiront à l’élaboration et à la promulgation des seize constitutions, décrets et déclarations qui constituent l’enseignement du concile.
Christian Sorrel, bon spécialiste de l’histoire contemporaine de l’Église, propose une étude originale et très riche sur la participation des évêques français au concile. Il s’appuie notamment sur les archives laissées par ces évêques. Les tableaux statistiques publiés en annexe montrent la part modeste qu’ont eue les prélats français dans le travail conciliaire : cinquante-trois évêques français seulement pourront prendre la parole, une ou plusieurs fois, lors des congrégations générales et vingt évêques français font partie des commissions conciliaires qui retravaillent les textes discutés en congrégations générales. Il y a eu un « moment français », aux premiers jours du concile, lorsque le cardinal Liénart, par une intervention restée célèbre, a remis en cause la composition des commissions conciliaires qui était proposée. Mais ce fut une exception. D’autres épiscopats, notamment le belge et l’allemand, ont eu un rôle plus important dans le déroulement du concile et dans l’élaboration des textes. Hormis quelques évêques très actifs (en particulier Garrone et Ancel), Christian Sorrel montre bien que ce sont surtout certains théologiens français qui ont eu un rôle très important au concile. Ils étaient periti, experts officiels au concile, ou théologiens privés d’évêques : notamment les dominicains Congar et Chenu, le jésuite de Lubac, l’abbé Martimort.
Le septième et dernier chapitre, fondé quasi uniquement sur des sources tirées des archives de l’épiscopat, montre la crise qui se développe en France avant même la fin du concile, et dont « la hiérarchie prend la mesure à partir de 1964 ». C. Sorrel reconnaît que les évêques « n’ignorent pas les symptômes inquiétants [de cette crise], mais craignent de donner l’impression de remettre en cause le concile en leur accordant trop d’importance ».

Yves Chiron

L’OURS ET LE RENARD
MICHEL GOYA ET JEAN LOPEZ

Perrin, 2023, 348 pages, 21 €

Quelques rappels. Conséquences de l’écroulement, en 1917, de l’Empire russe (mis en déroute par les Puissances centrales et bouleversé par une immense entreprise subversive), avait surgi, au début de 1918, la « République populaire d’Ukraine », devenue en 1922 une République socialiste au sein de la nouvelle construction soviétique dénommée URSS. Mais celle-ci ayant commencé de se déliter avec Gorbatchev, voilà qui va stimuler le vif penchant particulariste d’un pays auquel les tsars se montraient trop peu attentionnés. Tandis qu’après eux, au temps mauvais du bolchevisme, alterneront prévenances et répression. Aussi, maintenant relancé le prurit de l’indépendance, et cette dernière proclamée en 1991, les sociétés russe et ukrainienne, à partir de là, s’éloignent l’une de l’autre. Divergence en effet, de plus en plus accentuée, de leurs « récits nationaux » respectifs et, lors de la « révolution orange » de 2004 ou « deuxième Maïdan » (après le premier Maïdan de 1990), brutal élargissement de la fêlure que rien ne devait ressouder. Surtout au lendemain, en 2013-2014, du « troisième Maïdan », suivi de la reprise de la Crimée par les Russes (que Khrouchtchev, d’une manière illégitime, avait placée en 1954 sous la juridiction de l’Ukraine), puis de l’affaire du Donbass où se manifeste, contre le gouvernement de Kiev, un séparatisme belliqueux, favorable à ces mêmes Russes.
Au fond, le regret d’avoir perdu une vieille domination sur leur périphérie, d’avoir très mal vécu la grave sécession (jugée impensable et impossible par Joseph Brodsky et Alexandre Soljénitsyne, tous deux prix Nobel) de l’Ukraine, tel a été le motif de l’attaque, ou de l’« opération militaire spéciale », du 24 février 2022. Mais une amère déconvenue attendait le Kremlin, assez vite obligé, devant une résistance opiniâtre, d’ailleurs puissamment soutenue par les Américains, de beaucoup réduire son objectif stratégique initial. Néanmoins, à la mi-avril 2023, quand est sorti le livre fort éclairant de nos auteurs, rien ne laissait espérer la fin rapide de cette guerre d’usure, ô combien pénible, cruelle, dangereuse pour l’équilibre du monde. De cette guerre dont nous savons pourtant qu’un jour elle s’arrêtera.

Michel Toda

DÉCONSTRUIRE L’ANTIJUDAÏSME CHRÉTIEN
CONFÉRENCE DES ÉVÊQUES DE FRANCE
Cerf, 2023, 156 pages, 18 €

« Il est urgent que les chrétiens cessent définitivement de se représenter le Juif suivant des clichés qu’une agressivité séculaire avait forgés », écrivait en 1973 le Comité épiscopal pour les relations avec le judaïsme. Répondant à ce besoin, son directeur actuel, le Père Christophe Le Sourt, a coordonné la réalisation de l’ouvrage publié sous la responsabilité de la Conférence des évêques de France (CEF). En vingt courts chapitres, les lecteurs chrétiens y apprennent à se situer face aux ignorances et aux préjugés les plus répandus sur le judaïsme et ses fidèles, mais aussi à comprendre la justification théologique et pastorale de la démarche de dialogue et de réconciliation entreprise par l’Église catholique envers eux.
Sur le fondement d’épisodes bibliques et de l’enseignement de Jésus, qui a lui-même assumé pleinement son héritage et son identité juifs, le livre insiste sur la continuité entre l’Ancien et le Nouveau Testament, « tous deux divinement inspirés ». « L’ancienne Alliance n’a jamais été révoquée », lit-on dans l’édition actuelle du Catéchisme de l’Église catholique (1992), si bien qu’il est impossible de voir dans le judaïsme une religion étrangère au christianisme. Même la liturgie reflète ce lien de parenté, qui rend impensable la théorie de la substitution ou la confusion entre accomplissement et achèvement de l’Ancien Testament. C’est d’ailleurs pourquoi l’Église catholique « ne promeut aucune action missionnaire institutionnelle en direction des juifs » tout en appelant ses fidèles « à rendre témoignage de leur foi en Jésus-Christ, avec humilité et délicatesse ». Le livre omet cependant de préciser que le judaïsme façonné après le Christ, dans sa diversité (rabbinique, talmudique, etc.), s’est éloigné de celui des prophètes annonçant la venue du Messie. Dès lors, s’agit-il de la même religion ?
Il reste que, dès le début, les chrétiens ont porté des jugements négatifs, voire haineux, sur les juifs qui n’avaient pas choisi le baptême. L’accusation de « déicide » s’est très vite répandue au sein de l’Église. Mais les événements tragiques vécus par les juifs en Europe au XXe siècle ont conduit le magistère à réviser ses positions antérieures et à bannir toutes les formes d’enseignement du mépris, invitant les chrétiens à aimer leurs « frères aînés dans la foi » (Jean-Paul II). Le concile Vatican II a constitué une étape décisive dans la lutte contre l’antijudaïsme.
La CEF y ajoute la dénonciation de l’antisémitisme. Sur ce point, on peut regretter son alignement moderne sur la réduction politique ou nationaliste du terme au seul peuple juif alors qu’étymologiquement il s’applique à tous les peuples sémites du Levant, notamment les Arabes, chrétiens et musulmans.

Annie Laurent

MOURIR SUR ORDONNANCE OU ÊTRE ACCOMPAGNÉ JUSQU’AU BOUT ?
Dr VÉRONIQUE LEFEBVRE DES NOËTTES

Éditions du Rocher, 2023, 328 pages, 18,90 €

Psychiatre en service de gériatrie, docteur en philosophe, Véronique Lefebvre des Noëttes a toute autorité pour éclairer le débat de la fin de vie et son prolongement actuel par la possibilité d’une légalisation de l’euthanasie.
Émaillé de nombreux témoignages, ce livre est un panorama très complet et précis de la question : évolution sociétale de la perception de la mort, formation des médecins face à la mort, temps de mourir, peur de mourir, spiritualité, douleur, arsenal législatif de 1986 jusqu’aux propositions récentes.
Parce qu’elle est essentiellement une peur de mal mourir et de ne pas maîtriser sa mort, la demande d’euthanasie s’efface généralement devant le traitement de la douleur. En cela les soins palliatifs peuvent répondre à cette angoisse et proposer une alternative des plus dignes et humaines aux propositions d’euthanasie, déjà légales dans certains pays et que l’on souhaite imposer comme modèle alors que s’instaurent déjà des pratiques laissant la personne seule dans sa décision d’euthanasie.
Il est enfin nécessaire de redonner au concept de dignité sa véritable signification, celle qui permet de rendre ce devoir d’humanité qu’est l’accompagnement en fin de vie.

Anne-Françoise Thès

LES VÉRITÉS CACHÉES DE LA SECONDE GUERRE MONDIALE (TOME II)
DOMINIQUE LORMIER
Éditions du Rocher, 2023, 304 pages, 19,90 €

Le tome II complète le premier sans le trahir. À partir des archives militaires, Dominique Lormier met fin à de nombreuses idées reçues sur le conflit le plus connu de l’histoire : par exemple, le rôle des Américains dans la guerre n’a pas été aussi décisif qu’on l’a écrit. Ces derniers ont connu de lourdes pertes malgré leur supériorité technologique et numérique. Ajoutons aussi les massacres des alliés, ceux de Tito et des communistes, mais aussi ceux des soldats américains. Dominique Lormier essaie d’apporter de la nuance dans une histoire parfois trop réécrite, souvent manichéenne. Il n’existe pas de guerre propre. Le mythe d’un soldat Ryan à sauver qui honore la patrie américaine doit être revisité.
Mais ce livre ne consiste pas en une simple révision négative du rôle des alliés. L’auteur nous montre aussi l’honneur au combat de l’armée française dès le début de la guerre. Certes Dominique Lormier constate sa faiblesse technologique, mais les soldats français ont montré beaucoup de courage et de ténacité. Sans leur défense de la ville de Dunkerque, les soldats anglais n’auraient pas eu le temps d’être secourus et de rentrer sur leur île. Cette suite d’histoires anecdotiques sur la Seconde Guerre mondiale redonne confiance en une patrie française qu’on a trop souvent accusée de lâchetés et de compromissions alors qu’elle a contribué à la victoire finale.

Pierre Mayrant

TRO BREIZ, MA BRETAGNE INTÉRIEURE
XAVIER ACCARTSalvator, 2023, 172 pages, 17,50 €

Les maisons de vacances ont souvent un avant-goût de paradis d’enfance dont il est difficile de se détacher, surtout définitivement. Celle de Xavier Accart, posée sur une île, à un trait d’une des étapes du Tro Breiz, sera le point de départ de cette boucle des sept saints de Bretagne qu’il convient d’honorer. Avec finesse et émotion, il nous livre le journal de ces quelques semaines de pérégrinations, qui, comme chaque pèlerinage, sont l’occasion de prier, de méditer en avançant au pas de la providence et au gré des rencontres, souvenirs, rendez-vous provoqués ou même manqués.

Anne-Françoise Thès

TROP LOIN DE DIEU
KIM ZUPAN
Gallmeister, 2023, 620 pages, 26,80 €

Dans une petite ville du Montana, les habitants tentent de vivre – survivre serait le terme le plus adéquat – dans un environnement aussi somptueux qu’hostile. Même l’installation d’un camp paramilitaire, nouvelle source de revenus, ne suscite guère qu’une curiosité quelque peu apathique. Hickney, employé à ramasser sur les routes les cadavres d’animaux heurtés par des véhicules, profite lui aussi de cette nouvelle manne mais pressent néanmoins une menace sourde et impalpable, d’autant que de curieux évènements, dont la découverte d’un cadavre humain, commencent à bouleverser sa vie.
Les paysages enneigés peinent à adoucir la noirceur de ce roman. Avec une tension croissante, l’auteur, originaire de cette région, dévoile magistralement la dureté d’un milieu qui ne cesse de rejaillir sur les existences des habitants. Ceux-ci tentent, comme le héros, de rester debout, confiant parfois furtivement à Dieu leurs misères… et la vie reprendra son cours malgré le déchaînement final.

Anne-Françoise Thès

SUR LA DALLE
FRED VARGAS

Flammarion, 2023, 510 pages, 23 €

À Louviec, charmant et tranquille petit village de Bretagne (proche de Combourg), qui héberge le descendant et sosie de Chateaubriand, se produisent de curieux assassinats, toujours selon le même procédé. Le commissaire Adamsberg est envoyé sur place pour résoudre l’affaire qui se complique du fait d’un nouvel assassinat, a priori selon le même mode opératoire, mais qui s’avère une imitation ! Un excellent polar qui se lit agréablement : Fred Vargas sait donner de l’épaisseur à ses personnages et elle nous brosse ici toute une galerie de portraits sympathiques, notamment Johan, qui tient le restaurant du village, ou le fameux Chateaubriand qui fuit la notoriété de son nom. La personnalité d’Adamsberg n’est pas le moindre intérêt de ces enquêtes bien écrites.

Patrick Kervinec

© LA NEF n° 361 Septembre 2023