L’Église catholique est bien seule, en nos temps de postmodernité, à maintenir une vision anthropologique stable et cohérente et, ainsi, à éclairer les âmes de bonne volonté, notamment par son enseignement sur la fin de vie. Que dit donc l’Église sur la fin de vie ?
Les tentatives d’adoption de lois légitimant des formes de suicide assisté et d’euthanasie des malades les plus vulnérables se multiplient, n’épargnant aucun pays, y compris la France où leurs promoteurs demeurent actifs et comptent bien parvenir à leurs fins lors du prochain quinquennat. Le président Macron ne s’en cache pas ; après le saccage des lois de bioéthique, l’allongement du délai de l’IVG et la volonté d’inscrire le droit à l’avortement dans la Charte européenne des droits fondamentaux, ce sera le dernier chantier « sociétal » de l’actuelle majorité.
Face à de telles dérives qui ébranleraient tous les fondements de la médecine hippocratique occidentale, l’enseignement de l’Église constitue non seulement une boussole fiable, rappelant sans ambiguïté le devoir de protéger la vie des patients jusque dans les phases les plus critiques de la maladie, mais également un GPS particulièrement élaboré pour éviter les chemins de traverse qui fragilisent l’interdit de tuer. La promulgation le 14 juillet 2020 par la Congrégation pour la Doctrine de la foi (CDF) de la Lettre Samaritanus bonus « sur le soin des personnes en phase terminale de la vie » représente à ce titre un aboutissement du Magistère sur ce thème (1). Le pape François qui a suivi de près les travaux préparatoires a ordonné la publication d’un texte qui développe et éclaire une réflexion de l’Église courant sur soixante-cinq années, depuis l’allocution fondatrice du pape Pie XII en février 1957 à des médecins sur les bonnes pratiques analgésiques en fin de vie.
Il est toutefois étonnant de constater que Samaritanus bonus (SB) qui constitue un véritable vade-mecum n’a toujours pas reçu l’accueil qu’il mériterait en France, tant ce document d’une richesse exceptionnelle peut éclairer tous ceux qui ont à cœur le respect de la vie des malades. Aussi voudrions-nous ici en présenter les lignes de force pour donner le goût de l’étudier, de le mettre en pratique et de le faire connaître, y compris au sein de cercles non ecclésiaux.
Un jugement sévère sur l’euthanasie
Premier fait d’importance à rappeler, qui peut sembler couler de source, la sévérité du jugement de l’Église sur l’euthanasie, SB affirmant sans la moindre équivoque qu’elle est « un crime contre la vie humaine », un « acte meurtrier intrinsèquement mauvais, quelles que soient les circonstances », qu’« aucune fin ne peut légitimer et qui ne tolère aucune forme de complicité ou de collaboration, active ou passive » (V, 1). Il ne s’agit pas que de mots. Cette fermeté a trouvé une traduction concrète dans une affaire peu connue qu’a eue à trancher la Congrégation pour la Doctrine de la foi il y a quelques mois, alors même qu’elle avait pratiquement achevé la rédaction de la Lettre.
En mars 2017, sur le site de la branche belge de la Congrégation des Frères de la Charité, un document était publié admettant à certaines conditions la pratique de l’euthanasie des malades accueillis dans leurs structures hospitalières psychiatriques. On le sait, la Belgique est l’un des premiers États au monde à avoir légalisé le suicide assisté et l’euthanasie des malades, des enfants, des personnes âgées et handicapées, et avoir instauré une « société de l’euthanasie » dont souhaiteraient s’inspirer de nombreux responsables politiques. Dès le mois de mai 2017, la CDF avait alerté le Saint-Père de la gravité du cas qui avait alors demandé au supérieur général des Frères de la Charité des éclaircissements urgents. Entre juin 2017 et mars 2020, pas moins de huit réunions rassemblant les représentants des Frères avec les préfets et secrétaires des dicastères concernés eurent lieu à Rome, sans compter les échanges épistolaires et la nomination d’un visiteur apostolique, leur demandant de récrire leur charte et de réaffirmer leur « adhésion sincère aux principes de sacralité de la vie humaine avec comme conséquence l’impossibilité de collaborer avec les institutions civiles belges, l’inacceptabilité de l’euthanasie et le refus absolu de l’exécuter dans les institutions qui dépendent d’eux » (2). Aucun pas en avant n’ayant été effectué, les religieux belges s’obstinant à envisager le meurtre de leurs patients « psychiatriques », la CDF avec l’approbation du pape François a dès lors signifié à la province belge des Frères de la Charité qu’ils « ne pourront plus, dorénavant, se considérer comme des institutions catholiques ».
Ce refus très ferme de toute compromission avec des pratiques euthanasiques a été incorporé explicitement dans l’enseignement de l’Église, peu développé jusqu’ici sur ce point, avec un appel très fort à ce que l’objection de conscience ne concerne pas seulement les professionnels de santé mais aussi les « établissements de santé catholiques qui se doivent d’être des témoins fidèles des valeurs humaines fondamentales et chrétiennes qui constituent leur identité » (V, 9). SB précise ainsi que « toute désobéissance déclarée ou formelle aux enseignements du Magistère, tout comportement moralement illicite, toute collaboration institutionnelle avec le système juridique du pays ou même l’orientation d’un malade demandant l’euthanasie vers une structure la pratiquant n’est pas acceptable sur le plan éthique et remet en cause l’attribution à l’établissement de santé lui-même du titre de catholique » (ibid.).
Désormais, cette objection « institutionnelle » trouve place au côté de celle, personnelle, qui requiert bien évidemment de la part des soignants un refus absolu de la moindre coopération à l’euthanasie, formelle ou matérielle, sous quelque forme d’assistance que ce soit. Le simple fait de laisser entendre que l’on aurait pu être complice en paroles ou par omission doit être vigoureusement écarté. SB reprend in extenso l’enseignement puissant de saint Jean-Paul II sur l’obligation grave des professionnels de santé de s’opposer à toute participation directe à un acte contre la vie humaine ou à partager l’intention immorale d’autrui, rappelant que ces lois ne doivent pas être rejetées « en vertu d’une conviction religieuse privée mais en vertu d’un droit fondamental de chaque personne, ces lois étant contraires au droit naturel dans la mesure où elles sapent les fondements mêmes de la dignité humaine et d’une vie en commun fondée sur la justice » (V, 9).
Cette intransigeance trouve dans un chapitre inédit un champ d’application dans le discernement pastoral proposé à l’égard de ceux qui demandent l’euthanasie ou le suicide assisté. SB demande en effet aux prêtres de ne pas administrer les sacrements de la pénitence, du viatique et de l’onction des malades à ceux qui ont fait ce choix gravement immoral. Le fait même d’être inscrit auprès d’une association promouvant l’euthanasie ou le suicide assisté suffit à empêcher la réception des sacrements tant que la personne n’aura pas montré son intention d’annuler son adhésion associative. La CDF, consciente de son intransigeance sur ce point, explique qu’elle ne doit pas être comprise comme un manque de miséricorde envers ces malades mais plutôt comme « un acte médicinal de l’Église visant non pas à condamner le pécheur mais à le faire évoluer vers la conversion » (V, 11). SB recommande alors aux aumôniers de ne pas abandonner ces personnes en les accompagnant de telle façon qu’elles puissent comprendre l’erreur de leur choix et retrouver l’espérance. Toutefois, là aussi, en cas d’échec, il leur est demandé de ne pas assister à la réalisation de l’euthanasie d’un malade qui se serait obstiné dans cette voie, « une telle présence ne pouvant être interprétée que comme une complicité ».
Un enseignement clair et précis
Le deuxième fait d’importance est la clarté sémantique du document qui définit la réalité complexe des pratiques euthanasiques comme un objet moral dûment spécifié, à savoir une « action ou une omission qui, de soi ou dans l’intention, donne la mort » à une personne malade qui souffre. On reconnaît la célèbre définition de la CDF dans Iura et bona en 1980, offrant une clé de discernement indispensable pour qualifier moralement les pratiques en fin de vie où la prise en compte de l’intention morale est capitale. Si le but d’un soignant est de précipiter la mort du malade, omettre un traitement proportionné à son état comme la nutrition assistée (V, 3) ou administrer des sédatifs à des dosages manifestement en dehors des recommandations classiques relèvent de l’euthanasie. SB met en garde contre les dérives dont elle a eu connaissance ces dernières années au sein même des soins palliatifs qui ont pu prendre une connotation équivoque, incluant des « actions ou omissions destinées à anticiper la mort ». SB mène une réflexion déterminante sur la médecine palliative dans un chapitre qui lui est consacré, appelant à renouer avec l’esprit des origines (V, 4). Aussi la Lettre ne craint-elle pas d’entrer dans le détail pour conforter le jugement des professionnels de santé dans certaines situations complexes, ce qui fait également de ce document majeur un « manuel d’éthique » dont tout professionnel de santé, diplômé ou étudiant, doit s’emparer.
Si l’on prend l’exemple particulièrement complexe de l’analgésie, SB développe l’enseignement de Pie XII et explicite la licéité de la sédation palliative en phase terminale d’un malade qui souffre, afin que la fin de vie se fasse dans la plus grande paix possible, avec le consentement éclairé du patient et après qu’il a pu recevoir une préparation spirituelle adéquate (V, 7). Mais cette sédation ne doit pas dissimuler une euthanasie qui ne dirait pas son nom, elle doit être ajustée et proportionnée, excluant comme but direct l’intention de provoquer la mort, même si celle-ci est inévitable. Si l’Église nie l’existence d’un droit quelconque à l’euthanasie, elle rappelle qu’il existe au contraire un « droit à mourir dans la plus grande sérénité possible et avec la dignité chrétienne qui lui est due ».
Se garder toujours de toute anticipation intentionnelle de la mort donc. Mais également exclure tout acharnement thérapeutique. SB fait du maintien sur cette ligne de crête une obligation morale. Devant l’imminence d’une mort inévitable, il ne faut pas craindre de « renoncer à des traitements extraordinaires ou disproportionnés qui ne feraient qu’entraîner une prolongation précaire et pénible de la vie » (V, 2). Il s’agit alors du choix réfléchi sur le plan scientifique d’éviter la mise en place d’un dispositif médical qui ne ferait que retarder artificiellement la mort. L’Église insiste toutefois pour que l’exclusion de l’acharnement thérapeutique ne s’accompagne pas d’une suspension des soins dus au malade tant qu’il en tire profit, comme le soutien de la nutrition, le soulagement de la douleur ou le maintien l’homéostasie corporelle.
Le cas douloureux des enfants
Le troisième aspect saillant de la Lettre est le fait de consacrer un chapitre spécifique aux cas douloureux des nourrissons et des enfants souffrant de maladies incompatibles avec la vie, c’est-à-dire qui conduiront à la mort dans un court laps de temps. Le document insiste sur la participation à la vie divine par le baptême et la confirmation, reprend tous les principes que nous venons de rappeler dans un « parcours de soins intégré » en les appliquant avec beaucoup de rigueur et de délicatesse aux enfants (V, 6). Les pédiatres y trouveront une mine d’or pour nourrir leur réflexion dans ces situations extrêmes. Ce chapitre sur « les soins prénataux et pédiatriques » est un puissant antidote aux législations barbares qui ont validé l’euthanasie des enfants comme aux Pays-Bas et en Belgique. Un point doit retenir notre attention, là aussi peu explicité jusqu’ici : la CDF fait le lien entre l’euthanasie néonatale et le recours obsessionnel au diagnostic prénatal à des fins abortives et sélectives, rassemblant toutes ces pratiques abjectes sous une même idéologie eugénique.
Cette remarque nous conduit à la question du contexte actuel, SB analysant de manière serrée les « obstacles culturels qui obscurcissent la valeur sacrée de la vie humaine » (IV) : confusion entre dignité intrinsèque de chaque personne et qualité mesurable de sa vie dont la perte équivaut à une sentence de mort, déformation de la véritable miséricorde au profit d’une euthanasie compassionnelle, prétention de se sauver soi-même dans le cadre d’un nouveau pélagianisme, désintégration de la solidarité intergénérationnelle, insensibilité pathologique à l’égard des malades et perte de toute charité surnaturelle. Autant de facteurs idéologiques que la CDF regroupe sous l’expression « culture du déchet » dénoncée à maintes reprises par le pape François. Face à cette « culture du déchet et de la mort qui met au rebut par euthanasie les êtres humains les plus fragiles » (IV), SB lance un appel à prendre soin du prochain (I), à repartir de l’expérience vivante du Christ souffrant (II) et à placer au cœur de la médecine et de l’accompagnement des malades le « cœur qui voit » du Bon Samaritain qui donne son nom à l’ensemble du document (III). Toute cette partie théologique et morale du texte doit beaucoup au pape François dont la parabole du Bon Samaritain, image du Christ qui soigne les blessures de l’homme souffrant, est l’une des clés de compréhension du pontificat. Il est urgent de la lire et de la méditer.
Pierre-Olivier Arduin
(1) Congrégation pour la Doctrine de la foi, Lettre Samaritanus bonus sur le soin des personnes en phases critiques et terminales de la vie, 14 juillet 2020.
(2) Congrégation pour la Doctrine de la foi, Lettre au Supérieur général des Frères de la Charité, 30 mars 2020.
© LA NEF n° 345 Avril 2022