Jésus guérit deux aveugles de naissance sur la route de Jéricho, par Nicolas Colombel (1682) ©Wikimedia

Le miracle : motif de crédibilité de la foi ?

Nous démarrons ce mois-ci notre nouvelle rubrique dans laquelle nous vous proposerons chaque mois un article argumenté développant une « raison de croire ». Commençons par nous interroger sur le miracle : est-il un motif de crédibilité pour la foi ?

Partons de quelques citations bibliques pour situer la question.

– Dans la finale de l’Évangile selon saint Marc, les apôtres, après l’Ascension, « s’en allèrent prêcher en tout lieu, le Seigneur agissant en eux et confirmant la Parole par les signes qui l’accompagnaient » (Mc 16, 20). Ces signes sont précisément les miracles qui accréditent les hérauts de l’Évangile. Dans le même sens, en Ac 2, 22, Pierre, présentant « Jésus le Nazôréen » comme « cet homme que Dieu a accrédité auprès [des hommes d’Israël], par les miracles, œuvres et signes qu’il a opérés par lui au milieu [d’eux] », distingue, par ces trois termes, l’admiration suscitée par le fait insolite (miracles), l’opération elle-même telle qu’elle résulte de la toute-puissance divine (œuvres) et sa valeur significative (signes) ;

– En Mt 13, 58, il est précisé que « Jésus ne fit pas beaucoup de miracles [à Nazareth], à cause de leur incrédulité », ce qui fait de la foi un préalable pour bénéficier de miracles, tandis qu’une foi « grosse comme une graine de moutarde » semble requise pour accomplir celui de déplacer les montagnes (cf. Mt 17, 20). De là l’ambivalence du rapport entre le miracle et la foi : le miracle étaye rationnellement la foi mais la foi donne sa signification théologique au miracle. Comme la prophétie donc, le miracle est un motif de crédibilité mais ne saurait se réduire à cette fonction. Enfin, on ne peut sous-estimer la dialectique dans l’Évangile selon saint Jean entre « voir », notamment des œuvres, et « croire » en la Parole, ce qui semble situer la présence de signes et l’adhésion de la foi dans un rapport d’inversion proportionnelle.

Objections

La capacité du miracle à rendre crédible une proposition de foi se heurte à un certain nombre d’objections.

La première porte sur le lien entre le miracle et le message qu’il est supposé confirmer. Si, selon Mt 24, 24, « il surgira de faux prophètes, qui produiront de grands signes et prodiges », à la manière des magiciens de Pharaon, en quoi les miracles accréditent-ils de vrais prophètes ? Du reste, le miracle peut bien témoigner de l’agilité ou du savoir-faire d’un (vrai) prophète sans pour autant attester nécessairement de la pertinence de la prophétie elle-même.

Le deuxième type de difficultés tourne autour de la connaissance du fait qualifié de miraculeux. N’est-ce pas par défaut provisoire d’explication scientifique que l’on recourt à la catégorie du merveilleux ? Plutôt donc que de crédibiliser quoi que ce soit, c’est plutôt une crédulité naïve qu’il manifeste ! Quant à la reconnaissance du miracle par l’Église, elle apparaît suspecte puisque c’est l’Église elle-même qui authentifie ce qui la conforte. Quelle est d’ailleurs cette foi qui prétend s’appuyer sur la factualité (« phénoménale ») alors qu’elle ne devrait s’intéresser qu’au symbolisme (« théologouménal ») des « récits » en question ?

La troisième série de mises en cause du miracle vise la réponse ponctuelle au problème du mal que le miracle semble apporter. Pourquoi, par exemple, une guérison opérée sur tel malade et pas sur tel autre ? En n’étant qu’une solution partielle et donc arbitraire au scandale de la présence du mal, le miracle ajoute l’injustice à ce scandale ! Et qu’est-ce que ce Dieu capricieux qui, par cette exception que représente le miracle, suspend lui-même l’ordre des choses qu’il a établi ?

La position de l’Église

On trouve une synthèse remarquable du rapport entre la foi et les miracles, notamment à partir de l’enseignement du concile Vatican I, dans le Catéchisme de l’Église catholique : « Le motif de croire n’est pas le fait que les vérités révélées apparaissent comme vraies et intelligibles à la lumière de notre raison naturelle. Nous croyons “à cause de l’autorité de Dieu même qui révèle et qui ne peut ni se tromper ni nous tromper”. “Néanmoins, pour que l’hommage de notre foi fût conforme à la raison, Dieu a voulu que les secours intérieurs du Saint-Esprit soient accompagnés des preuves extérieures de sa Révélation”. C’est ainsi que les miracles du Christ et des saints, les prophéties, la propagation et la sainteté de l’Église, sa fécondité et sa stabilité “sont des signes certains de la Révélation, adaptés à l’intelligence de tous”, des “motifs de crédibilité” qui montrent que l’assentiment de la foi n’est “nullement un mouvement aveugle de l’esprit” » (CEC 156).

Analyse théologique

À ce stade, qu’est-ce qu’un miracle ? C’est un événement physiquement avéré, produit par-delà ou au-delà de l’influx des causes naturelles secondes par une intervention immédiate de Dieu, provoquant, par la dérogation au cours habituel des choses, l’admiration de ses témoins ; il crédibilise la personne du Christ et authentifie son discours ; il signifie l’action (souvent en parallèle avec la guérison physique) de Dieu dans l’ordre du salut ; il anticipe enfin le renouvellement eschatologique. Saint Thomas d’Aquin part de la notion d’ordre, soit un ensemble ouvert – car un ordre peut être subordonné à un ordre supérieur – de causes secondes principales hiérarchisées jusqu’à l’effet ultime produit. Cette notion est particulièrement féconde car elle articule la cause efficiente et la cause finale à travers la mise en œuvre des moyens. Dieu, en tant que cause première, transcende tout ordre. Il peut donc de l’extérieur soit produire des effets sans le concours de leurs causes secondes naturelles soit produire plus qu’elles ne le pourraient. Le miracle constitue bien une dérogation à l’égard de l’ordre naturel en tant que cet ordre dépend des causes secondes mais pas une violation en tant que cet ordre dépend de la cause première (1).

Solutions

Il est temps de répondre aux objections.

Tout d’abord, les prodiges attribués ultimement aux démons, ne dépassent pas leur capacité naturelle, qui est certes plus étendue que la nôtre ; surtout, le vrai miracle est à proprement parler un « charisme », soit un don gracieusement accordé en vue du bien commun de l’Église (2), ce qui n’est certes pas le but des tours de passe-passe diaboliques ! Or le miracle, en tant qu’il confirme un discours pour que celui-ci devienne croyable, est très utile au service de ce bien commun. En ce sens, la prophétie, qui prévoit un futur qui pourrait ne pas échoir, constitue le miracle par excellence car elle associe encore plus étroitement l’œuvre prédite au discours qu’elle corrobore. Comme pour tous les charismes qu’on peut bien posséder sans avoir la charité, un méchant peut accomplir des miracles lesquels, s’ils ne manifestent certes pas l’exemplarité du prédicateur-prévaricateur, confirment cependant la vérité énoncée, comme dans le cas de la prophétie de Caïphe (cf. Jn 11, 49-52).

Il est clair ensuite qu’un vrai miracle, dépassant effectivement la puissance de la nature et de ses processus, doit faire l’objet d’un examen scientifique pour établir sa véracité. L’Église en confie le soin à des experts indépendants, comme dans les cas de guérison à Lourdes, et elle est plus que circonspecte quand il s’agit d’authentifier un fait miraculeux. Quant à dénier aux récits miraculeux leur soubassement factuel pour ne retenir que leur signification, comme le faisait Bultmann, ce serait dissocier le Christ de la foi du Jésus de l’histoire et, par conséquent faire reposer cette foi sur l’aléatoire et le fictif.

Le miracle, enfin, ne prétend nullement être une « solution miracle » au problème crucial du mal, qui demeure entièrement un mystère. Le miracle vise certes des personnes ciblées mais il est pour tous une annonce et une promesse du renouvellement eschatologique quand les corps, participant à la résurrection du Christ, seront glorifiés. Que Dieu court-circuite les causes secondes pour intervenir directement dans le cosmos entre dans le champ de sa liberté souveraine et est conforme à sa Providence pleine de sollicitude.

Concluons en précisant que la création et la justification, entendue comme le passage du péché à la grâce, bien qu’elles soient l’œuvre de Dieu seul, ne sont pas à proprement parler des miracles car elles ne sont pas aptes, par nature, à être produites par d’autres causes (3). L’eucharistie est un cas intéressant. Comme telle, elle n’est pas un miracle car Dieu seul, encore, a pouvoir sur la substance. On ne parle de « miracle eucharistique », comme celui de Lanciano, que lorsque certains accidents sont modifiés pour faire apparaître de la chair et/ou du sang, « en figure d’une vérité », dit saint Thomas, celle de la réalité de la présence du Christ (4).

Chanoine Christian Gouyaud

(1) Saint Thomas d’Aquin, Somme de théologie, Ia, 105, 6.
(2) Somme de théologie, IIa-IIae, 178, 1.
(3) Somme de théologie, Ia, 105, 7.
(4) Somme de théologie, IIIa, 76, 8.

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© LA NEF n°362 octobre 2023