Témoignage d’un médecin soignant en soins palliatifs. Les militants favorables à l’euthanasie présentent celles-ci comme l’unique solution pour mettre fin aux souffrances d’un patient : qu’en est-il réellement ?
La question provoque. Il n’y a pas de remède à l’euthanasie, car l’euthanasie, c’est la mort. La vraie question est celle de la demande d’euthanasie.
Je suis soignant en soins palliatifs. Notre grande chance est d’avoir du temps à consacrer aux malades et à leurs familles. La demande d’euthanasie n’émerge que de situations complexes : personnes submergées par une souffrance physique et surtout psychologique. Elle naît de la confrontation au regard de la famille, de la société entière, du sentiment d’être un poids. Notre première tâche est de décoder ces demandes, pour soulager à la racine. D’abord traiter la douleur physique, apporter un soutien psychologique, mais surtout regarder l’autre comme une personne et non comme un malade, de prêter attention à la dimension spirituelle et existentielle de sa souffrance. Cela nous demande beaucoup d’énergie, de temps, de créativité, de travail en équipe. Tout cela notre culture hospitalière l’a bien perdu : sous ce rapport l’euthanasie est certainement la solution la plus simple, mais en réalité elle ne satisfera personne.
Prise en charge de la douleur
La douleur physique est aujourd’hui bien prise en charge, on arrive à en soulager la plus grande part ; il est plus difficile d’apaiser la souffrance psychologique et spirituelle, la perte de sens. Notre service de soins palliatifs met pour cela en œuvre des méthodes diverses. Outre l’art-thérapie, une socio-esthéticienne aide les personnes à guérir le regard porté sur leur propre corps, à ne pas le voir seulement comme le lieu de la douleur. Une biographe vient recueillir leurs témoignages de vie pour les aider à transmettre. Je me souviens d’une dame d’une cinquantaine d’années, gagnée par ce sentiment d’inutilité, qui a retrouvé l’envie de vivre jusqu’au bout en partageant ainsi son expérience avec ses deux filles.
La dépendance éprouve l’humilité des personnes, elle explique souvent les demandes d’euthanasie : il faut demander, être aidé pour tout, sans cesse. La question des demandes d’euthanasie concerne toute la société, c’est celle du regard porté sur la fragilité. Parler de « légumes » est le triste réflexe d’une société qui ne valorise que la performance. Or la vie d’une personne ne se réduit pas à son utilité, sa dignité n’est pas diminuée par la dépendance : nous voulons aider les personnes pour leur beauté intrinsèque. Une étude anglaise de 2011 sur des personnes atteintes du locked in syndrome (dépendance totale suite à un accident vasculaire cérébral) rapportait que les trois quarts pensent jouir d’une bonne qualité de vie (1). Qu’auraient anticipé ces personnes si elles avaient dû établir par avance des directives sur l’opportunité d’être soignées au prix d’une telle dépendance ? En soins palliatifs, nous apprenons au quotidien la valeur de la vie humaine et la résilience formidable des personnes chez qui elle apparaît la plus fragile. Notre rôle est de les aider à accepter cette situation.
La fin de vie est toujours de la vie
La question de la demande d’euthanasie est aussi celle de la liberté, par rapport à la souffrance, par rapport à la pression sociale, familiale. Rencontrant une vieille dame vivant en EHPAD, dans le cadre de nos équipes de soins palliatifs à domicile, j’entendais sa fille dire : « dis-lui Maman, que ta vie est insupportable ! » La mère ne répondait rien, mais son visage pétrifié ne manquait pas d’éloquence. Une dépénalisation de l’euthanasie renforcerait chez ces personnes la culpabilité, le sentiment d’être un poids pour la société et pour leur entourage.
Au contraire l’unité de soins palliatifs est un lieu de vie, de rires, de pleurs, de retrouvailles, de souffrance et de joie. La fin de vie est encore et surtout de la vie, de la vie intense et forte. L’euthanasie au contraire, c’est la mort. Si l’euthanasie était dépénalisée je ne pourrai plus exercer en soins palliatifs, comme nombre de collègues. Même si nous conservions une objection de conscience, je ne pourrais travailler dans un service qui donne la mort. La vraie culture palliative, au service de la vie, serait ruinée.
C’est cette culture qu’il faut développer d’urgence, dans toute la société, car la mort fait partie de la vie, dans la formation des soignants, à l’hôpital. Avant d’envisager une évolution, il faudrait que la loi soit connue (Loi Leonetti-Claeys de 2016) : or notre long cursus d’études n’y consacre que quelques heures. Le traitement de la douleur et les soins palliatifs sont moins enseignés que la cardiologie : pourtant tous les patients ne seront pas un jour concernés par des problèmes cardiaques, tandis que tous seront un jour face à la mort. L’acharnement thérapeutique demeure une réalité trop courante : manque de temps pour gérer les processus d’arrêt de traitement, peur de la mort chez les médecins, considérée comme un échec personnel, cruel défaut de lits de soins palliatifs (certains départements en sont totalement dépourvus ; chez nous à Toulouse, quatrième ville de France, on ne trouve que deux petites unités d’une dizaine de lits).
Pour moi, médecin en soins palliatifs, soigner c’est donner sans cesse de ce que je suis, de la vie ; donner la mort, ce serait faire mourir à chaque fois une partie de moi.
Dr Jean Fontant
(1) BMJ Open, « A survey on self-assessed well-being in a cohort of chronic locked-in syndrome patients : happy majority, miserable minority », Marie-Aurélie Bruno, Jan L. Bernheim, Didier Ledoux, Frédéric Pellas, Athena Demertzi, Steven Laureys.
- Le Dr Jean Fontant est médecin en soins palliatifs, porte-parole du collectif Soulager mais pas tuer.
© La Nef n°345 Mars 2022, mis en ligne le 17 octobre 2023