Rares sont les saints ayant pu s’entretenir avec Jésus, Marie et les anges. Sainte Gemma Galgani (1878-1903), qui reçut les stigmates du Christ, en fait partie. Canonisée en 1940, priée tous les jours par le Padre Pio, cette sainte est étonnamment méconnue des catholiques français, qui trouveront pourtant en elle une puissante alliée depuis le Ciel.
Contemporaine de sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, sainte Gemma Galgani (1878-1903) n’a pas vécu plus longtemps qu’elle mais sa vie fut très différente. La carmélite de Lisieux n’a pas connu de phénomènes extraordinaires ; la jeune Toscane a été comblée de charismes : stigmates, apparitions de Jésus, de Marie, de son ange gardien et de son ami du ciel saint Gabriel de l’Addolorata. Thérèse était religieuse, Gemma n’a pu l’être malgré son vif désir.
Hervé Roullet propose cette comparaison dans l’introduction de sa belle biographie (1), fort utile, car Gemma Galgani est encore trop peu connue en France. Son étonnante et courte de vie fut marquée tant par l’irruption du surnaturel que par la participation à la Passion du Sauveur.
Née en 1878 près de Lucques, en Toscane, cinquième dans une famille de huit enfants, elle reçoit sa première locution surnaturelle lors de sa confirmation, à sept ans. Perdant sa mère puis son frère Gino qu’elle aimait beaucoup, elle est confiée à une pension religieuse. À quinze ans, elle voit pour la première fois son ange gardien. Il lui demande d’être moins coquette afin de devenir « l’épouse d’un Roi Crucifié ».
Orpheline de père à 19 ans, sa famille est plongée dans la misère. Une tante l’accueille à Camaiore.
Gemma est devenue une ravissante jeune fille, mais qui repousse les demandes en mariage et fait vœu de chasteté. Harcelée par des prétendants, elle quitte sa tante pour s’installer à Lucques chez les Giannini.
C’est alors qu’elle souffre physiquement du mal de Pott (infection due à la tuberculose) et en guérit miraculeusement par l’intercession de sainte Marguerite-Marie Alacoque. Son ange vient la soulager, ainsi que saint Gabriel de l’Addolorata, passionniste italien mort à 24 ans en 1862 (et patron de la jeunesse catholique italienne), qui vient prier avec elle.
Associée aux souffrances du Christ
Grâce à son journal que son confesseur avisé lui demande d’écrire, nous découvrons les événements surprenants qui vont se multiplier après ses vingt ans. En 1899, en présence de Jésus, de la sainte Vierge et de son ange gardien, Gemma reçoit pour la première fois des stigmates aux mains, aux pieds, à la tête, et au côté. Expérience douloureuse qui va se reproduire. Elle sera dès lors étroitement associée aux souffrances du Christ, vivant dans sa proche chair notamment la flagellation et le couronnement d’épines. Chaque semaine, ses extases commencent le jeudi un peu avant vingt heures et s’achèvent le vendredi à quinze heures. Les femmes de sa famille adoptive sont impressionnées par son immobilité absolue et la beauté surnaturelle de son visage (que l’on voit sur les photos prises à son insu). Elles notent les paroles de Gemma. Cela ne les empêchera pas de lui mener une vie dure, sa tante allant jusqu’à la gifler – peut-être par jalousie. Elle est parfois insultée dans les rues de Lucques.
Gemma fut également gratifiée de nombreuses apparitions de la Vierge Marie. Elle confie toutes ses visions à son nouveau directeur spirituel, le P. Germain de Saint-Stanislas, un religieux passionniste à la fois lucide et exigeant. Il a compris que, face à une âme d’exception, la médiocrité n’était pas de mise.
Les attaques du démon ne manquent pas : tentations, infestations, sévices… Le diable prend l’aspect d’un géant terrifiant ou d’un nain, d’un chien, d’un chat, d’un beau jeune homme ou d’un ange. Il va jusqu’à voler son autobiographie mais, vaincu par des exorcismes, il finit par la rendre… légèrement brûlée par les flammes infernales !
L’ange gardien de Gemma lui conseille de bannir la nonchalance dans la prière et d’obéir à son confesseur. Un grand motif de souffrance fut de ne pouvoir devenir religieuse cloîtrée ; après un bref échec chez les Visitandines, elle aurait aimé entrer chez les passionnistes ou, à défaut, dans n’importe quel autre couvent. Mais sa santé fragile, ses charismes, les expériences mystiques qu’elle traverse, l’empêchent de réaliser son souhait. Elle vivra donc une vie de laïque consacrée, pratiquant la pauvreté (y compris dans sa tenue, une simple robe noire grossière), la chasteté et l’obéissance.
Les assauts du démon
Dans les derniers mois de sa vie, Gemma doit affronter les assauts redoublés du démon et la progression de la tuberculose. Elle meurt le Samedi saint 11 avril 1903 et est enterrée dans l’habit religieux des passionnistes.
Le P. Germain publie en 1907 La Séraphique vierge de Lucques, Gemma Galgani, une biographie qui connaît un succès fulgurant ; elle est traduite en français dès 1912. Le procès de canonisation est ouvert la même année. Les grâces de conversion et les guérisons attribuées à l’intercession de Gemma se multiplient. Gemma est béatifiée en 1933 et canonisée en 1940. Sa renommée est considérable en Amérique latine grâce aux missionnaires passionnistes qui la font connaître. On dit que Padre Pio la priait chaque jour. L’une des filles de sa famille d’accueil, Euphemia Giannini, fut très impressionnée en faisant connaissance de Gemma alors qu’elle était adolescente. Elle dira : « Jamais je n’oublierai ce regard et ce sourire de cette première rencontre. » Elle fonda en 1939 la congrégation des Sœurs de Sainte Gemma Galgani, à vocation missionnaire et socio-éducative ; son procès de béatification est en cours.
Denis Sureau
(1) Hervé Roullet, Gemma Galgani, Éditions Hervé Roullet, 2020, 208 pages, 19 € (herveroullet.com).
© La Nef n°347 Mai 2022, mis en ligne le 17 octobre 2023