Abaya : fallait-il légiférer ?

Ce débat est-il si simple ? L’interdiction de l’abaya n’est, de prime abord, pas une mesure très enthousiasmante, elle est même le symptôme d’une défaite : celle de l’assimilation des mœurs françaises par une part importante de notre population. Mais face à ce constat d’échec, n’était-elle pas hélas devenue nécessaire ? Analyse des arguments en présence.

L’interdiction de l’abaya à l’école, annoncée fin août par Gabriel Attal, ministre de l’Éducation nationale, a été plébiscitée par les Français (71 % d’entre eux l’ont approuvée) tout en suscitant un vaste débat fort légitime. En effet, cette décision ne va pas de soi, certains arguments opposés à cette interdiction méritant attention. Résumons-les.
– En régime de laïcité, ce n’est pas à l’État de décider ce qui relève du religieux ou du culturel : on risque ainsi de verser dans une dangereuse subjectivité, en jugeant de l’intention des personnes (si ce n’est pas religieux de fait, cela l’est par intention ou destination). Et où commence et s’arrête le religieux ? Contrôlera-t-on demain la barbe des lycéens pour vérifier qu’elle ne s’apparente pas à celle préconisée par les salafistes ? Et qu’est-ce qui garantit qu’un jour ce ne seront pas les religieuses catholiques voilées qui seront victimes des rigueurs d’une laïcité qui aura sombré dans un laïcisme agressif comme il a déjà existé dans le passé ?
– C’est une mesure discriminatoire qui alimente un climat de suspicion à l’égard des élèves musulmans et exacerbe la défiance des musulmans envers la France, sans forcément aider les jeunes filles concernées qui subissent la pression de leur famille. Je passe sur les inévitables accusations d’« islamophobie », destinées en fait à discréditer tout contradicteur et ainsi étouffer tout débat.

Réponse aux arguments

Il faut reconnaître que ces arguments ne sont pas sans fondement et que dans un monde idéal ils s’imposeraient même aisément. Il est en soi bien regrettable d’avoir à légiférer sur le port d’un vêtement, ce qui ne devrait pas être du ressort de l’État et de la loi (sauf atteinte aux bonnes mœurs bien entendu). Le problème est que nous ne sommes pas dans un monde idéal et qu’il n’est pas possible d’ignorer le contexte qui justifie cette mesure imparfaite. Ce contexte, c’est une augmentation de 120 % des « infractions » à la laïcité à l’école en une année, c’est le renforcement d’un communautarisme islamique qui crée un État dans l’État avec des zones de non-droit (rappelons que 74 % des jeunes Français musulmans de moins de 25 ans placent les lois de l’islam au-dessus de celles de la République selon le sondage IFOP du 2 septembre 2020). C’est aussi à l’arrière-plan la multiplication des attentats et des violences islamiques depuis 2015, c’est aussi l’effroyable asservissement des femmes par les talibans en Afghanistan ou l’héroïque combat des Iraniennes pour se libérer précisément du voile dont on prétend ici qu’il n’est pas objet de soumission.
Dans un tel contexte, l’abaya, à l’évidence, n’est pas qu’un simple vêtement, mais, après le hidjab, le burkini, le halal, les piscines non mixtes… un moyen pour tester nos capacités de résistance et nous faire céder en imposant pas à pas la charia dans nos lois. Il est ainsi légitime de porter un coup d’arrêt à ces prétentions, seul moyen de contenir des revendications sans cesse croissantes à mesure que l’islam s’étend, même si ce n’est que par une disposition symbolique qui, si rien d’autre n’est fait, n’aura certes guère d’efficacité.

Quatre enjeux vitaux

Car, fondamentalement, le vrai problème est ailleurs et se résume en quatre mots derrière lesquels apparaissent des enjeux vitaux considérables.
Laïcité : la conception française, héritée de l’histoire, est par nature trop méfiante envers les religions qui sont toutes mises sur le même plan, ignorant ainsi le passé qui a façonné notre nation et ce que cette dernière doit au christianisme. Or, toute société a besoin de religion, le politique ne suffit pas à donner sens à une vie : pourquoi tant de jeunes sont-ils attirés par l’islam radical, sinon parce que la République ne leur offre aucun projet exaltant, aucune transcendance ?
Immigration : c’est par l’immigration massive depuis quatre décennies que l’islam s’est développé en France ; rien de durable ne sera efficace si l’on ne parvient pas à maîtriser les flux migratoires, 250 000 nouveaux étrangers arrivant chaque année sur notre sol, dont une bonne partie de musulmans.
Assimilation/intégration : si l’on veut éviter des divisions irrémédiables et insurmontables, il faudra revenir à l’assimilation (pour ceux destinés à devenir Français) ou l’intégration (pour les autres) des immigrés, ce qui suppose un tissu d’accueil qui retrouve dynamisme et fierté, ainsi qu’une croissance démographique, sans lesquels cela est impossible.
Démographie : les derniers chiffres publiés sont alarmants en ce qu’ils montrent une nouvelle baisse de la natalité (le solde naturel naissances/décès sera négatif en 2035) ; compenser ce déclin par l’immigration, comme le suggèrent certains à gauche ou dans les hautes sphères européennes, est suicidaire ; seule une véritable reprise démographie peut assurer l’avenir du pays, ce qui suppose d’encourager la natalité, donc de soutenir les familles stables, enjeu essentiel dont nos politiques semblent bien peu conscients.

Christophe Geffroy

© LA NEF n° 362 Octobre 2023