Nicolas Sarkozy, Discours sur les territoires ruraux, Morée, 2010 ©Wikimedia

Être forts parce que faibles !

Parfois la Ve République a des accents années 20 et 30 du siècle précédent, et c’est comme un cauchemar sans cesse recommencé : témoin le grand retour de Nicolas Sarkozy, en l’an 2023, à travers des Mémoires qui ne sont qu’un exercice d’autocongratulation, dans une veine Michelle Obama. Ce qui reste de droite bourgeoise ne se contient plus et se pâme d’aise : on dirait Bonaparte débarquant à Golfe Juan ; l’oracle sur trépied est interrogé sur tout : quel temps fera-t-il demain, doit-on se faire vacciner, quel roman de Tolstoï conseillez-vous, comment prendre le pouvoir, Dieu existe-t-il ? C’est tout juste si on ne vient pas lui demander l’absolution et des indulgences plénières. Notons que le moment est particulièrement bien choisi : alors que se lance la campagne des élections européennes, venir faire allégeance à l’artisan du Traité de Lisbonne, là où tout a commencé, là où le déni du peuple s’est pour une fois vraiment manifesté (rappelons aux trop jeunes lecteurs que le Traité de Lisbonne est venu se substituer, alors que Nicolas Sarkozy était président de la République en 2007, au projet de Constitution européenne rejeté par les Français consultés en référendum en 2005), c’est la meilleure idée que les débris LR pouvaient lancer.

La droite de l’argent

Mais les affaires se corsent : cette droite qui ne tient finalement sa légitimité médiatique que de la Manif pour tous, même si elle cherche à le faire oublier, va devoir choisir entre François-Xavier Bellamy qui, lui, ne lâche rien et les cabots de l’éternel Sarkozy qui leur aurait jeté : « Je n’ai jamais été de gauche mais la ligne Bellamy, je ne peux pas. » En quoi Sarkozy est-il de droite, peut-on logiquement se demander ? (Et c’est là que le cauchemar continue, on a l’impression d’y avoir répondu cent fois). Si la droite c’est « plus de fric, plus de flics », alors oui, Monsieur Sarkozy est de droite. De droite extrême, même, le chantre de l’ordre, de la sécurité et de la prospérité, le profiteur de yachts, le Guizot du XXIe siècle. Il n’en faut pas plus pour que des chroniqueurs dont la pensée consiste en quelques arpents de neige le louent de « bousculer le débat public […] en invitant chacun à penser à l’échelle de l’histoire », certains qu’ils sont que « comme en 2007, il débloque la vie démocratique et la recharge d’un contenu existentiel ». Dieu nous en préserve.
Et comme un malheur n’arrive jamais seul, d’autres électeurs de droite se sont trouvé d’autres champion et championne, qui surenchérissent en matière d’ordre public, rendant tout « migrant » traverseur de Méditerranée responsable de tous les maux qui nous accablent. Et quoique pour certains ils se targuent de défendre la civilisation chrétienne et ses racines (noble tâche), ils ont tendance à changer le Christ et son Église en un Palais de César d’où sourdrait une paix impériale et immuable, comme si nous étions de vulgaires Chinois ou musulmans. Ils n’ont pas saisi, et c’est pas faute de le radoter, que le Christ est celui qui met tout sens dessus dessous et que c’est quand nous sommes faibles que nous sommes forts.

Le souci du faible et du pays d’accueil

Les arrivées massives de « migrants » (terme fourre-tout pour désigner candidats à l’émigration économique, réfugiés, demandeurs d’asiles, bandits, fuyards et rêveurs) à Lampedusa devraient ainsi être l’occasion pour notre intelligence chrétienne de résoudre une question brûlante, cruciale des deux côtés, autrement que le ferait une civilisation toute-puissante. Quelqu’un avertissait en 2014 que « l’Europe sera en mesure de faire face aux problématiques liées à l’immigration si elle sait proposer avec clarté sa propre identité culturelle et mettre en acte des législations adéquates qui sachent en même temps protéger les droits des citoyens européens et garantir l’accueil des migrants ; si elle sait adopter des politiques justes, courageuses et concrètes qui aident leurs pays d’origine dans le développement sociopolitique et dans la résolution des conflits internes – cause principale de ce phénomène – au lieu des politiques d’intérêt qui accroissent et alimentent ces conflits. Il est nécessaire d’agir sur les causes et non seulement sur les effets ». C’était le pape François dont le voyage à Marseille prouve qu’il n’a pas varié : souci du faible, et souci du pays d’accueil sont les deux bouts de la corde à ne pas lâcher.
Il est donc sot d’hystériser le débat en faisant croire que François encouragerait l’invasion de l’Europe par des hordes indéterminées. Il est sot aussi de laisser croire que les « migrants » venus par millions se trouveront mieux dans un continent qu’ils auront dévasté, et que quiconque invoque ce statut serait une victime supérieure.
Il est surtout lâche et idiot de ne pas comprendre combien ce flux nous doit être l’occasion de civiliser ces populations, osons le mot, bref de les christianiser. Soyons forts parce que nous sommes faibles.

Jacques de Guillebon

© LA NEF n° 362 Octobre 2023