Les images de Gaza font le tour du monde. Selon un adage courant dans la presse anglo-saxonne ; US and Israël bomb, UN feeds, EU pays (les États-Unis et Israël bombardent, l’Onu nourrit la population, le contribuable de l’UE finance le tout). Voilà qui résume bien les choses.
Immeubles rasés, hôpitaux évacués, enfants ensanglantés dans les bras de leur mère… Face à l’opinion publique internationale, Israël est en train de perdre la bataille des symboles. Petit à petit, le spectacle du dénuement des Gazaouis efface des esprits les images odieuses de l’attaque terroriste perpétrée par le Hamas le 7 octobre 2023.
En quelques semaines, Tsahal a déversé onze mille bombes sur Gaza, petit territoire très densément peuplé. Cette quantité astronomique montre que la riposte israélienne n’est nullement ciblée. Cela pousse les pays non-occidentaux (voire certains pays occidentaux) à se poser des questions. Pourquoi avoir sanctionné la Russie suite à l’invasion de l’Ukraine alors que les ruines de Gaza valent bien celles de Marioupol ? La Bolivie a rompu ses relations avec Tel-Aviv. Des pays pourtant alliés des États-Unis, comme le Japon ou la Thaïlande, ont mis en berne le drapeau de l’ONU après le bombardement accidentel du Programme onusien pour le développement (PNUD) qui fit un nombre élevé de morts et de blessés. Par ailleurs, la « rue arabe » est déchaînée et le projet de rapprochement entre Israël et l’Arabie Séoudite est suspendu sine die. Israël est tombé dans le piège que lui tendait le Hamas. L’organisation terroriste a atteint ses buts médiatiques et politiques. Le Premier ministre Netanayahu n’en a cure : il a tout intérêt à une guerre longue, car tant que le conflit dure, son échec à empêcher les attentats du 7 octobre est relégué au second plan.
Israël ne semble pas percevoir les menaces de fond qui pèsent sur lui. D’une part, la bombe démographique palestinienne explosera un jour ou l’autre. D’autre part, la part relative des Juifs laïcs tend à se réduire face à l’expansion démographique de deux groupes à la forte fécondité : les Arabes israéliens et les Juifs ultra-orthodoxes, ce qui pose un problème politico-sécuritaire. En 2021, certains Arabes d’Israël avaient déjà été à l’origine de troubles, d’émeutes et d’attentats, et les attaques de 2023 auraient été impossibles sans les renseignements fournis par certains d’entre eux au Hamas. Quant aux Juifs ultra-orthodoxes, ils échappent massivement au service militaire. Préférant l’étude talmudique aux matières profanes, ils ont en général un faible niveau scolaire et contribuent peu à la vie économique. Ils se montrent hostiles à tout processus de paix et certains d’entre eux se sont livrés à des agressions gratuites contre des Palestiniens ou des Arabes d’Israël. Ce sont également eux qui ont fait pression sur le gouvernement pour que les soldats soient concentrés prioritairement vers la Cisjordanie afin d’y protéger les nombreuses colonies ultra-orthodoxes, illégales selon le droit international. C’est cela qui rendit possible l’attaque du Hamas. Arrivera un jour où les Juifs laïcs fatigués d’être pris en étau entre le Hamas et les ultra-orthodoxes, las de devoir servir dans Tsahal (trois ans de service pour les hommes, deux pour les femmes) quitteront en masse le pays pour émigrer aux États-Unis (mais pas en Europe, où l’antisémitisme islamique est bien trop fort).
Une réforme institutionnelle
À court terme, la sécurité d’Israël passe par la neutralisation des capacités militaires du Hamas. Mais à moyen terme, elle implique forcément l’arrêt de la colonisation et le démantèlement de la totalité des colonies, l’évacuation complète de la Cisjordanie, la reconnaissance d’un État palestinien et l’intégration commerciale et diplomatique du pays à son voisinage géographique arabe.
Hélas, le système politique israélien rend presque impossible un tel programme. La Knesset est l’un des parlements les plus fragmentés au monde. Les 120 députés que compte cette petite assemblée appartiennent à douze partis différents ! Le mode de scrutin à la proportionnelle intégrale favorise les apparatchiks de la politique politicienne et encourage les attitudes clientélistes, par exemple en faveur des colons ou des retraités. Les gouvernements se forment souvent après de longues tractations, peuvent être l’otage de toutes petites formations et, parfois, reposent sur des alliances contre nature. Pour apporter la paix au Proche-Orient, il faudra probablement opérer une réforme institutionnelle en Israël pour rendre le pouvoir exécutif israélien beaucoup plus fort, sur le modèle de la Ve République française. En France, c’est de Gaulle qui a permis le changement de Constitution. Mais qui sera le de Gaulle israélien ?
Jean-Loup Bonnamy
© LA NEF n° 364 Décembre 2023