Fondés aux États-Unis au XIXe siècle, les Chevaliers de Colomb, influents dans leur pays d’origine, sont encore peu connus en France. Son responsable pour la France, Arnaud Bouthéon, nous présente cet Ordre dynamique.
La Nef – Qui est l’abbé Michael J. McGivney, fondateur des Chevaliers de Colomb ?
Arnaud Bouthéon – C’est un peu le curé d’Ars américain : un prêtre de paroisse ardent, mobilisé par le salut des âmes et sa volonté missionnaire, dans un pays où les catholiques étaient non seulement minoritaires mais aussi discriminés. Né en 1852 sur la côte Est des États-Unis, il est l’aîné d’une famille catholique irlandaise de treize enfants ayant immigré aux États-Unis quelques années plus tôt afin de fuir la maladie de la pomme de terre. Très tôt, le jeune garçon, inspiré par des figures remarquables de prêtres, répond à l’appel du sacerdoce et se révèle d’un caractère volontaire, pieux et entreprenant. Au séminaire Sainte Mary de Baltimore, il est marqué par l’accompagnement d’un Père sulpicien français, l’abbé Magnien. Il développe une spiritualité sacerdotale marquée par l’école française (Bérulle) en étant inspiré par saint Vincent de Paul et déjà, la dévotion au Sacré-Cœur de Jésus, dont il portait le scapulaire. Pour soutenir les femmes et les enfants, il fonde les Chevaliers de Colomb à 30 ans en 1882 meurt en 1890 d’une épidémie, épuisé par sa tâche de curé de paroisse. Il est béatifié en octobre 2020.
Pourquoi a-t-il fondé les Chevaliers de Colomb, qui sont-ils, quels sont leurs buts, comment fonctionnent-ils ?
Autour de sa paroisse, le jeune abbé McGivney voit des hommes catholiques un peu perdus, délaissant leurs devoirs d’états de baptisés, d’époux, de pères, de travailleurs et de citoyens, soumis à l’addiction de l’alcool et à la tentation de rejoindre des sociétés secrètes protestantes. De façon pragmatique, il identifie trois besoins concrets auxquels une nouvelle organisation catholique pourrait répondre. Le premier besoin est de soutenir les hommes matériellement et spirituellement, en créant une mutuelle pour couvrir les risques d’accidents et de décès, et en fondant simultanément une confrérie de prière, d’entraide et de charité. Le second besoin est de soutenir les prêtres, déjà harassés de travail et souvent isolés dans leurs tâches. Le troisième besoin est l’évangélisation du pays, en développant des équipes paroissiales et en faisant émerger des leaders catholiques qui soient non seulement les serviteurs de leurs familles mais aussi des citoyens exemplaires.
Y a-t-il une spiritualité propre aux Chevaliers de Colomb ?
Les Chevaliers de Colomb ne sont pas un mouvement de spiritualité mais une confrérie catholique de service unie autour des principes de charité, d’unité, de fraternité et de patriotisme. Nos repères spirituels seraient les trois blancheurs issues de la vision de saint Don Bosco : la sainte Eucharistie, la Vierge Marie et la fidélité à la sainte Église catholique et au Saint-Père. En France, dans le cadre de la cérémonie d’intronisation, en présence de nos familles, nous nous engageons à suivre quatre petits engagements spirituels : la confession mensuelle, le chapelet dans la poche et sa récitation quotidienne, pas de retard à la messe dominicale et un signe de croix au lever du lit, suivie d’une invocation à saint Joseph.
Quel est précisément le rôle des prêtres, notamment par rapport aux laïcs ? Sont-ils Chevaliers eux-mêmes ou aumôniers extérieurs ? Comment se recrutent-ils ?
Les groupes paroissiaux appelés « conseils » sont fondés avec l’accord et la bénédiction du prêtre de paroisse qui choisit de devenir formellement chevalier ou d’accompagner le groupe en tant qu’aumônier. Nous nous développons par la confiance, l’audace et l’amitié. Le conseil est animé par des laïcs, responsabilisés et autonomisés dans cette tâche et les assemblées mensuelles – qui durent une heure – obéissent à un cérémonial précis, pour être sobres et efficaces. Le prêtre, qui peut dispenser un court enseignement, identifie les besoins de service et de projets, oriente les chevaliers et appelle de nouveaux candidats.
Pourquoi les Chevaliers n’accueillent-ils que des hommes ? Quel rôle y ont les épouses en particulier et les femmes en général ?
Les hommes se retrouvent avec leurs frères, pour mieux retrouver ensuite leurs épouses. C’est « la présence de l’absente ». La question de la vie conjugale est très souvent abordée, en particulier les besoins primordiaux d’écoute et de sécurité attendus de nos épouses. Les études prouvent que le rôle du père de famille et d’époux est vraiment primordial et différenciant dans la transmission de la foi sur ce premier terrain missionnaire qu’est la famille. Comme le Père Doncoeur l’avait observé dans une magnifique méditation sur les hommes et la Vierge Marie, les hommes ont besoin de quitter les masques qu’ils portent, de sortir de leurs postures sociales ou professionnelles pour se retrouver à genoux, épaules contre épaules, avec des frères pèlerins pour avancer vers la sainteté dans le service et la charité.
Il me semble urgent d’affermir humainement et spirituellement l’homme catholique, qui ne peut plus être un bon petit gars bien élevé, lisse et poli. Nous ne pouvons plus être de braves enfants de chœur car les temps à venir convoquent déjà, dans l’espace public, des hommes de caractère et de vertu, « l’esprit dur et le cœur doux », selon la belle expression de Maritain.
Le besoin d’entraide et de solidarité qui prévalait à l’époque n’est-il pas encore plus urgent dans notre société éclatée où le lien social s’est relâché et où la famille s’est disloquée ? Que font concrètement les Chevaliers dans ce contexte difficile ?
Nous planifions nos actions selon des calendriers et des priorités mais restons disponibles pour des besoins ponctuels. Nous prenons l’engagement de nous soutenir et de nous entraider. Un adage des Chevaliers de Colomb dit « where there is a need, there is a knight », « quand il y a un besoin, se trouve un chevalier ». Souvent, au nom du respect humain, d’une forme de pudeur, voire d’orgueil, nous n’osons pas partager le besoin qui exprime une vulnérabilité. Or, exprimer un besoin, c’est permettre le surgissement de la charité, et l’Évangile rappelle cette vérité existentielle que notre joie de donner excède celle de recevoir. C’est ainsi, par une virile délicatesse, que nous essayons de récréer des liens et de l’unité.
Les Chevaliers de Colomb sont un soutien financier important du Saint-Siège : ont-ils de ce fait une influence spécifique ? En tant que Français, comment percevez-vous le rapport à l’argent des catholiques américains ?
Les Chevaliers de Colomb ont été fondés aux États-Unis et se sont très vite développés au Canada, autour d’une compagnie d’assurance-vie, doublée d’une fondation, qui reposent sur l’abondement et la générosité des membres. La diffusion de la foi catholique et le soutien à des œuvres de miséricorde sont au cœur de leur mission et les moyens collectés sont ordonnés à cette fin.
Chez les Américains que je rencontre, l’identité catholique est « patrimoniale » dans le sens où le mur de leur église est en quelque sorte leur copropriété, non seulement spirituelle mais aussi matérielle. Il y a davantage de simplicité et de pragmatisme dans le rapport à l’argent, avec un souffle très pionnier, loin de l’esprit de rente. Au sein des familles chrétiennes comme de l’Église, l’argent vient rémunérer avec justice la valeur sanctifiante du travail. La générosité, toujours avec exigence, en est plus naturelle et débordante.
Quels sont vos projets pour la France où les Chevaliers sont encore peu connus ? N’est-ce pas un ordre trop « américain » pour l’esprit français ?
Il y a dix ans, les dirigeants des Chevaliers de Colomb, se sont tournés vers la France en nous disant : « Vous êtes la fille aînée de l’Église, éducatrice des peuples, et il s’agit d’un devoir davantage que d’un droit. La famille internationale des Chevaliers de Colomb a besoin de la France autour de deux réalités : la première est votre histoire bénie et votre héritage de proximité avec les saints et la seconde est votre créativité missionnaire. » Notre attractivité viendra des actions de terrain et de notre joie à servir, sans nous regarder ou nous prendre au sérieux.
Nous sommes heureux de servir notre Église et notre pays et de diffuser la petite voix de la France au sein d’une grande organisation catholique internationale, qui suit un cap solide depuis plus de cent quarante ans. Je crois beaucoup à la fécondité des « grandes amitiés » célébrées par Raïssa Maritain. L’histoire montre qu’un petit groupe de personnes, unies autour de puissants idéaux, peut produire de grandes choses. Contrairement aux trotskystes, nous avons la communion des saints, le magistère et l’Esprit Saint. Comme le disait le maréchal Foch, fervent catholique et membre des Chevaliers de Colomb : « j’avance doucement, car je suis pressé. »
Propos recueillis par Christophe Geffroy
Les Chevaliers de Colomb :
+ 50 rue du Rocher, 75008 Paris
+ 0 661 482 240
+ www.chevaliers-de-colomb.fr
+ france@kofc.org
© LA NEF n° 364 Décembre 2023