Noël et les voleurs de couleurs

La maire de Nantes a décidé de remplacer dans sa ville les traditionnelles décorations de Noël par un parcours artistique intitulé « Voyage en hiver », dans l’idée que Noël devienne une fête plus « inclusive ». Ce qui a échappé à Johanna Rolland, c’est que précisément Noël est la fête de tous les peuples, la fête qui ne laisse personne sur le bord du chemin, la fête de la paix par excellence, et que c’est en fêtant dignement Noël qu’elle rassemblerait le mieux les habitants de sa cité. Analyse.

Un charmant conte pour enfants dessine un monde dans lequel un méchant exprime sa perversité en volant les couleurs. Et le héros qui le traque trouve son repère en suivant une sorte d’étoile inversée : à chaque croisement, il se dirige vers l’endroit le plus terne, et gagne une contrée finalement toute assombrie, dont le point le plus obscur est la demeure du méchant. Celui-ci a enfermé les couleurs dans de sinistres bocaux. L’âge adulte nous révèle hélas que, parfois, les méchants des contes prennent corps dans la réalité.

Ainsi Madame Rolland. Qui s’est réveillée un beau matin armée d’une nouvelle idée : Nantes, la ville qui semble avoir jugé bon de faire d’elle son premier édile, doit « revisiter Noël ». Rien que ça. Finies les décorations traditionnelles et les couleurs de Noël, bien trop classiques et trop peu « inclusives » ! Place à un « Voyage en hiver » et à des teintes issues de toute la palette de l’arc-en-ciel.

Le toupet de ces gens… Voilà plusieurs siècles que des millions d’honnêtes gens, nantais, français, occidentaux, chrétiens, fêtent tout simplement cette nuit merveilleuse où « un enfant nous est né », et accueillent Noël comme une date que leur transmet leur civilisation, un cadeau que leur fait leur tradition religieuse ou nationale, une occasion d’embellir les rues et les foyers, de réchauffer le rude hiver, de rassembler les cœurs, d’adorer l’enfant venu les sauver. Voilà plusieurs siècles que les hommes tissent un fil de permanence entre eux et les générations qui les ont précédés, qu’ils sauvent certains gestes, certaines œuvres, certains rites, de la disparition qui les guette, pour perpétuer leur culture, et pour qu’ainsi leur monde garde son identité (1).

Mais de cette continuité, Madame Rolland ne veut pas. Car elle a mieux à proposer : un renne vert et rose, une « petite mère Noël » en jogging, et une fête « de la créativité ». Il y a fort à craindre que, de l’avis de Mme Rolland, Giotto, Botticelli et Rubens n’ont prouvé que leur ringardise et leur manque de « créativité » en peignant bêtement des Nativités, alors qu’ils auraient pu proposer à nos yeux ébahis « des apparitions lumineuses en apesanteur » (2).

Les voleurs de couleurs des temps modernes passent, volant les rêves des enfants, dérobant ces moments que tant d’adultes et de vieillards gardent comme un trésor enchanté au fond de leur mémoire. Que restera-t-il aux enfants d’aujourd’hui quand Madame Rolland et ses amis auront fini de mutiler leur imagination et d’enlever toute féerie à leurs fêtes ? Un voyage en hiver ? Pauvre génération, promise à une identité aride et mécanique, à des souvenirs glacés, privée du poids et de la densité d’un passé long, maillon décroché de sa chaîne. La réalité, c’est que le woke en action ne sait que déconstruire et détruire, il n’a rien à proposer et c’est à cela qu’on le reconnaît (3). Il a perdu le goût, il ne voue un culte qu’à lui-même – ou au plus opprimé –, il refuse son héritage, désenchante le monde, ôte l’âme de nos fêtes, vole nos couleurs, mais sans rien bâtir ni repeupler ni recolorer en retour. Il habite la contrée du méchant du conte.

Noël, la fête de tous les peuples

Et parce que le toupet ne s’interdit jamais rien, ils désenchanteront notre monde tout en prêchant une société plus inclusive. Incapables de voir qu’ils ne manifestent que leur invincible ignorance et leur incompréhension totale de l’événement ! Car Noël est la fête de tous les peuples : le Christ y vient sauver toutes les nations de par la terre, et avec les mages ce sont les provinces les plus lointaines qui viennent l’adorer. Noël est la fête des faibles et des pauvres, qui honore la figure d’humbles bergers et se choisit une étable pour décor. Noël est la fête de la paix, et le roi qui s’y présente n’est pas un guerrier, mais le Prince de la paix, emmailloté dans une mangeoire. Congédier Noël en invoquant l’inclusivité : mais de quoi parlent donc ces imbéciles ? La nuit de Noël vient nous offrir tous les trésors que Mme Rolland aimerait tant pouvoir servir à sa ville. Elle nous fait contempler Celui qui nous apprendra la vraie fraternité, à savoir que nous sommes tous « frères et sœurs, enfants de l’unique Père qui, à partir du Père, sont en relation mutuelle » (4).

La nuit de Noël fait aussi retentir la joie des anges : « Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’il aime ». Or, nous explique Benoît XVI, on ne peut séparer les deux moments de cette acclamation : « la paix sur la terre entre les hommes est en relation avec la gloire de Dieu au plus haut des cieux. Là où on ne rend pas gloire à Dieu, là où Dieu est oublié ou même renié, il n’y a pas non plus de paix » (4). C’est une autre leçon de Noël : aucun maire ne bâtira de paix et d’amitié civiques sur le rejet de Dieu, encore moins sur le rejet de l’enfant de la crèche.

Au fond, peu importe que Mme Rolland ait volé nos couleurs. Car « le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu se lever une grande lumière ». Une lumière qui rend à toute chose ses plus belles couleurs, au point que nul ne peut plus jamais les lui dérober.

Elisabeth Geffroy

(1)  Cf. Hannah Arendt, La crise de la culture.
(2) https://www.levoyageanantes.fr/oeuvres/la-nuit-je-vois/
(3) Cf. Pierre Valentin, Comprendre la révolution woke (Gallimard, 2023) : ce point y est magistralement démontré au Ch. 1.
(4) Benoît XVI, sermon de la nuit de Noël 2012. 

© LA NEF n° 364 Décembre 2023